Line-up sur cet Album
- Ghassan Al Fudail : guitares, programmation
- Ahmed Mahmoud: chant, paroles
- Sessions :
- Diya Azzony: claviers, basse, programmation
- Sarah Belle Reid : synthétiseurs, trompette, boite d’effets
Style:
Blackened Doom Metal / Musique BruitisteDate de sortie:
31 octobre 2021Label:
AutoproductionNote du SoilChroniqueur (Quantum) : 8.5/10
« La liberté est un des dons les plus précieux que les cieux firent aux hommes. » Miguel de Cervantès
C’est une chronique particulière ce soir. Elles le sont par définition toutes, surtout quand j’essaye de les rendre uniques via des introductions pénibles et pompeuses. Mais ce soir, c’est spécial. J’ai une pensée toute tournée vers les pays dans lesquels faire du metal, et a fortiori de la musique extrême, est considérée comme le mal absolu, ou un concept hors la loi. L’exemple récent qui a animé les débats à juste titre concernant le groupe Arsames qui vient d’Iran. Condamné à quinze ans de prison pour « musique sataniste », le groupe a payé une caution et se retrouve semble-t-il en sécurité, peut-être en cavale si l’on peut dire. Mais je me demande jusqu’à quel point la religion ou la politique doit prendre le dessus sur l’artistique. C’est tout de même malheureux que l’on puisse empêcher un groupe de s’exprimer, et ce même si Arsames était contre le régime en place en Iran… Moi, je considère que tout le monde a le droit de s’exprimer mais qu’il faut mesurer la portée de ses paroles et qu’il faut prendre une place équilibrée pour tout un chacun. Après, cela n’empêche pas que l’on puisse avoir une opinion contraire! Mais qu’au moins, l’on puisse avoir de la place et une vitrine pour exprimer quelque chose qui, dans le cas de la musique metal, peut être choquant mais qui s’avère être en définitif que des mots et des notes. Je vous vois venir, certains extrêmes méritent qu’on les censure. Mais là n’est pas le sujet. Ce soir, je suis plutôt content de voir fleurir dans les pays très « reculés » (oups!) sur la question religieuse et quelque part trop punitif, un ou des groupes de metal. C’est le cas ce soir avec Deathnoisefrequency et son EP nommé « Omitted Horrid Chapters« . Vous allez comprendre pourquoi je suis spécialement content.
Deathnoisefrequency est un duo de musiciens qui provient tout droit d’Arabie Saoudite! Voilà la fin du suspense, et aussi ma première fois avec un groupe du Moyen-Orient. Djeddah est la ville de provenance de ce groupe formé en 2019 et qui a à son actif deux EPs avec ce dernier. De fait, il n’y a pas beaucoup d’informations générales sur le duo, si ce n’est les noms et les invités sur l’EP « Omitted Horrid Chapters« . Un groupe qui fait une part belle aux mystères, on peut le comprendre surtout dans ce contexte. Mais n’oublions pas que ces derniers n’ont fondé leur projet commun que très récemment, aussi la notoriété n’est pas encore définie clairement. D’ailleurs, le groupe est encore autoproduit à ce jour et poste uniquement les paroles sur Bandcamp. Voilà donc quelque chose de très mystérieux, un peu comme les Nuis d’Arabie si vous voyez ce que je veux dire.
On notera le gout un peu spécial également pour les pochettes. Bon, vous me direz, au moins le coup de crayon est bon et permet de distinguer à peu près correctement de quoi le groupe Deathnoisefrequency s’inspire. De fait, il faut connaître le folklore pour comprendre à quoi on a affaire présentement. A peine pourrait-on voir une iconographie démoniaque, avec les cornes, la figure flippante et les flammes, le costume qui évoque les démons asiatiques. Après, sur le style en lui-même, je n’ai pas tellement de reproche à faire, mais disons qu’on pourrait attendre mieux. Je ne connais pas les moyens du duo, mais il est vrai qu’un bel artwork bien construit et relativement fourni, cela claque bien! Ici, le design a au moins le mérite non négligeable de poser les bases d’une musique qui se voudra référencée sur le démoniaque, et correspond à un objectif primaire d’un EP autoproduit et en format uniquement digital. Espérons que le tout s’améliorera un jour, avec une production par un label par exemple. Mais voilà! Au moins, le boulot est fait. Et assez bien.
Deux petits morceaux et puis s’en va! C’est un peu court pour un EP, qui plus est un deuxième. Je pense même que l’on n’est pas bien loin d’un format réduit d’une démo. Mais là n’est pas l’essentiel. La musique que propose nos amis saoudiens de Deathnoisefrequency est un metal résolument blackened doom, avec des expérimentations clairement noise, soit bruitistes. J’entends par là la lenteur extrême du tempo général, le son particulièrement nasillard et qui fait l’essence même d’une dimension blackened doom metal, et enfin l’occupation extrême de l’espace sonore avec des bruitages multiples à la frontière même avec un drone ambient, et qui installe une sorte de malaise intense et qui prend aux tripes. J’ai été frappé par l’apparition du chant à chaque moitié de parcours et qui apporte une dimension beaucoup plus forte encore! Car la part belle est incroyablement ésotérique, démonologique et donc un peu méditative. Le blackened doom metal associé à des rajouts excessifs de musique bruitiste, c’était d’une originalité inattendue. Deathnoisefrequency a su trouver une expérimentation que je considère comme l’une des plus intéressantes de cette année. En l’état, le groupe aurait probablement pu faire plus, mieux c’est discutable. Mais en tout cas, des bases solides et très prometteuses sont posées en deux pistes. A noter par ailleurs que, pour rajouter encore davantage de l’originalité, les deux morceaux sont exactement de la même longueur, six minutes et quatorze secondes! Ce n’est pas banal. En tout état de cause, j’ai trouvé la première écoute franchement agréable et bluffante sur bien des points. Il faudra sûrement revoir un ou deux petits trucs, mais je peux d’ores et déjà affirmer qu' »Omitted Horrid Chapters » se pare de milles parfums!
La production est l’élément qui m’a le plus bluffé justement. Pour une autoproduction, je suis épaté par la qualité profonde du son de ce deuxième EP. Un son qu’il convient de resituer sur un contexte de blackened doom metal, soit un brin nasillard et tranchant, ce qui contraste avec l’habituelle lourdeur du doom metal. Mais c’est ce qui fait tout le charme de ce genre qui mélange habilement, dans le cas de l’EP « Omitted Horrid Chapters« , le doom metal et le black metal. Quoiqu’il en soit, cela impliquait tout d’abord des guitares aux harmoniques très aigus, une basse qui se montre discrète et peu mise en valeur, une batterie qui répond au besoin de marquer de manière plus aiguisée la rythmique lancinante de la musique. Et vous avez un très bon exemple de ce que doit donner le style blackened doom metal! Deathnoisefrequency a donc parfaitement réussi son travail en studio, et propose un EP au son très froid et par définition, au vu de son cousin black metal, démoniaque. Enfin, je dirais que la dimension bruitiste de la musique de Deathnoisefrequency repose sur l’occupation quasiment exclusive du spectre sonore, permettant donc d’installer la gênance chez l’auditeur. Les samples utilisés sont bien construits, les banques sons se mettent surtout en situation contradictoire avec le metal de nappes en fond, et au moins cette simplicité qui cache une infinité de possibilités fonctionne très bien! Non, vraiment, la production m’a bluffé sur ce coup-ci. Une bien belle surprise!
Deux pistes, en l’état c’est assez rapide à analyser. Mais je me suis aperçu d’un tout petit problème : la ressemblance frappante entre les deux, d’un point de vue composal. En gros? Ils se ressemblent beaucoup. Voire très beaucoup. En soi, ce n’est pas un gros problème puisque c’est fréquent d’avoir cette impression quand on écoute le doom metal. Qui plus est que l’aspect bruitiste ne sert qu’à apporter comme je disais en haut des nappes de fond sonores. Mais je dois dire que j’ai apprécié les morceaux dans cette dimension ésotérique que je retrouve souvent dans des groupes asiatiques. On sent qu’il y a une énorme part de sincérité et de recherche intérieure. La musique qui est résolument malaisante, permet en tout cas de s’intéresser à ce qui pourrait se dérouler en amont de la composition. La souffrance humaine représentée d’un horizon géographique différent c’est toujours intéressant, et je trouve l’idée de la transposer via une musique blackened doom metal et noise, c’était un choix judicieux, surprenant et extrêmement bien foutu! On devine que Deathnoisefrequency essaye d’insuffler via sa musique des croyances ancestrales flippantes, et certainement rejetées. Moi, je considère que la mission, s’il s’agit bien de celle-ci, est accomplie. Cet EP est un très bon début pour le duo saoudien et que la musique ne peut qu’être prometteuse. Il faut persévérer, c’est évident!
Et que dire du chant. Alors, on rajoutera une potentielle étiquette en plus, quoique. Mais je trouve la technique vocale très voisine avec le sludge metal. C’est à dire des cris d’agonie intenses et profonds, une voix qui est bourrée d’effets de résonance et qui donne le sentiment de n’être qu’un hallali interminable et souffreteux. La technique vocale est très bonne aussi. J’aime également beaucoup les phrasés plus parlés que chantés, comme des incantations noires, presque de sorcellerie. L’assemblage, si l’on se contentait des mots, serait un peu hasardeux, ce qui renforce encore plus le côté bille en tête du groupe Deathnoisefrequency. J’ai donc bien aimé les parties chant que je trouve néanmoins un poil trop rares pour avoir une importance sur le piédestal que les instrumentations. Un peu plus de lignes de chant, et le tout sera impeccable!
Ils sont courts mais ma curiosité de petite fille m’ont poussé à écrire sur les textes. De quoi peut parler un groupe saoudien? C’est complètement con comme question. Eh bien j’ai été un peu déçu. Les textes sont relativement random, soit des phrases toutes faites sans sujet distincts. Pourtant le nom de l’EP était prometteur avec une traduction comme « chapitres horribles omis », on aurait pu voir une référence religieuse par exemple, ou ésotérique. Mais finalement, les textes qui sont courts sont surtout comme je disais totalement random. C’est un peu dommage… Mais par contre le style est un peu métaphorique et fait de rimes par moment. C’est déjà cela de pris.
Pour conclure cette chronique exotique, je dirais que Deathnoisefrequency a signé une découverte des plus inattendues. Celles que l’on ne peut estimer au départ au vu des méconnaissances qui en découlent. Groupe composé d’un duo saoudien, avec donc deux EPs au compteur depuis cette année, on peut dire que la musique n’est largement pas dénuée d’intérêts et de talent. Deux pistes, c’est court mais au moins le blackened doom metal agrémenté d’accentuations olfactives bruitistes offre une dimension musicale pleine de croyances autour d’une entité de noirceur. J’aurais préféré un éclairage supplémentaire sur le concept album, ou celui du groupe en général, mais je considère ce deuxième EP, ou démo déguisée, comme une forme de confirmation. Confirmation d’une musique hautement malaisante et d’une production incroyablement surprenante pour un ouvrage qui se fait tout seul. Franchement, ils gèrent nos camarades saoudiens et méritent que l’on encense un chouia leurs talents. Heureusement qu’au moins, le talent n’a pas de frontière sinon on serait passé à côté d’un EP presqu’excellent! Bravo!
Tracklist :
1. The Beast’s Lamenting Dirge 06:14
2. The Children’s Lamenting Dirge 06:14
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