Line-up sur cet Album
- Fulmineos : composition, guitares, claviers
- M II : basse
- Khrudd : chant, batterie
Style:
Blackened Doom Metal / Dark Ambient / DowntempoDate de sortie:
04 mars 2022Label:
DusktoneNote du SoilChroniqueur (Quantum) : 9/10
« On a probablement tort de penser qu’il peut y avoir une limite à l’horreur que peut éprouver l’esprit humain. Au contraire, il semble qu’à mesure que l’on s’enfonce plus profondément dans les ténèbres de l’épouvante, une espèce d’effet exponentiel entre en jeu. Si déplaisant qu’il soit de le constater, l’expérience humaine tendrait plutôt à valider l’idée suivant laquelle l’horreur suscite l’horreur, une calamité accidentelle engendrant d’autres calamités – parfois voulues celles-là – jusqu’à ce que les ténèbres finissent par tout recouvrir à la façon d’une tache d’encre qui s’étale progressivement sur un buvard. Et de toutes les questions que l’on peut se poser à ce sujet, la plus terrifiante est sans doute celle de savoir la quantité d’horreur qu’un esprit humain peut endurer en demeurant intégralement lucide. » Stephen King
Quoi de mieux pour cette chronique que de vous citer la meilleure référence qui soit pour parler des cimetières, avant de parler de l’album du soir ? Je n’ai pas spécialement envie de m’amuser à trouver mieux pour le sujet, alors pour une fois je paraphrase un livre que j’adore, qui est « Simetierre ». Voici !
« – Je peux vous poser encore une dernière question ? demanda Louis
– Allez-y, dit Jud.
– Est-ce qu’on a jamais enterré un être humain là-haut ?
Jud sursauta avec tant de violence que son coude heurta le bord de la table et que les bouteilles de bière vides s’écroulèrent comme une rangée de quilles. Deux d’entre elles roulèrent au sol, et l’une des deux se brisa.
– Miséricorde ! s’écria-t-il. Qu’allez-vous chercher là, Louis ? Non ! Qui c’est qui s’en irait faire une horreur pareille ! Comment pouvez-vous seulement me poser la question ?
– Simple curiosité, dit Louis, mal à l’aise.
– Eh bien, il a des choses au sujet desquelles la curiosité est toujours malvenue, répliqua Jud.
Pour la première fois depuis qu’il le connaissait, Louis Creed lui trouva l’air vieux et décrépit, lui trouva l’air d’un homme qui sait que le bord de la tombe n’est plus qu’à quelques pas.
Un peu plus tard, chez lui, il réalisa que dans cet instant-là l’expression égarée de Jud avait trahi plus que ça.
Il avait eu l’air, aussi, d’un homme qui sait qu’il est en train de mentir. »
Voilà. Maintenant que j’ai attiré votre attention, voici Cursed Cemetery et son album nommé « A Forgotten Epitaph« . On y va ? Avant de voir les animaux ressusciter. Ce serait mieux non ?
Je ne connaissais pas du tout Cursed Cemetery et pourtant ! Le groupe est quand-même formé par un membre de Katharos XIII que j’ai chroniqué il y a peu, également ancien membre du très connu et feu Negură Bunget, et d’un ancien membre de Shape of Despair et Deos, excusez du peu ! Mais ce n’est pas tout. Le groupe sort cet album chez un label qui se nomme Dusktone, que je ne connaissais pas non plus et qui a pourtant produit les albums de Gorgon, groupe français de death metal mélodique dont la thématique tourne autour de la mythologie grecque, qui n’existe hélas plus mais que j’aimais beaucoup. C’est donc la soirée des découvertes et anecdotes croustillantes. Pour sûr que ce groupe Cursed Cemetery va me rendre curieux ! Groupe roumain, originaire de la ville de Timișoara, il faut savoir qu’il cumule pas mal d’années d’existence, depuis 1997 quand-même ! Respect. De multiples changements de line up et un trou de huit années entre l’avant-dernier et le dernier album que voici, font que le groupe n’a pas une discographie énorme. Quatre albums seulement, un split en 2008 avec le groupe DOG et une démo en 2007, voilà un bien maigre butin. Mais en tout cas, le trio roumain revient aux affaires cette année après donc huit années de silence, et ce « A Forgotten Epitaph » s’annonce soit comme un retour en disgrâce, soit l’inverse pour un groupe qui a de l’expérience. Je languis, comme toujours en fait, mais c’est beau de le dire !
Etonnant choix de pochette pour un groupe du genre ! Se rapprochant du style graphique du dernier Dordeduh (pas fait exprès !), je ne vois pas tellement, de prime abord, comment le groupe Cursed Cemetery va assumer sa dimension funeste avec un artwork aussi pétant. C’est le mot ! Avec cette couleur dorée prédominante, ce style graphique très psychédélique, cet œil au milieu qui rappelle des œuvres d’art d’époques lointaines et ce milieu de pochette qui mélange (pour le coup) habilement ésotérisme et gothique, je trouve que c’est surprenant ! Vraiment surprenant ! Mais pas dénué du tout d’intérêt, je trouve même que le groupe prend un risque énorme pour mettre en image son album. Parce que je pense que les puristes vont grincer des dents, tandis que d’autres beaucoup plus ouverts d’esprits comme moi se trouveraient enchantés. Après, il y a un truc de l’ordre de l’impossible sondabilité dans ce visuel. Non pas que le groupe fasse dans l’incompréhensible total, mais j’ai quand-même du mal à voir où le groupe veut en venir. Pour « A Forgotten Epitaph« , on a le mérite de faire dans le très original, très beau aussi il faut le dire, mais peut-être un peu trop chiadé. Moi qui adore cela, je trouve que pour cet exemple précis, c’est un poil trop. On ne voit pas où Cursed Cemetery veut en venir et les noms des pistes ne nous fournissent pas plus d’explications que cela. On pourrait donc considérer, au regard de cet artwork très beau mais très étrange que le groupe cultive un côté mystérieux qui lui va terriblement bien ! La musique nous poussera à affirmer cela. En tout cas, très beau choix visuel. Un brin trop complexe, mais au moins très joli ! C’est déjà ça !
Pour la musique, on part sur du très long avec peu. Trois pistes, mais la dernière dure quand-même vingt-cinq minutes. Il faut se les farcir ! Mais, heureusement, la musique est un pur bonheur auditif. Je ne savais pas trop sur quoi je partais, le groupe étant estampillé black metal avec des influences Abruptum, Shining (le Suédois) et Silencer. Autant dire que moi qui aime désormais beaucoup tout ce qui est doom metal, je pars sur des bases perplexes. En fait, ce n’est franchement pas ça ! Cursed Cemetery fait dans le doom metal avec effectivement un son qui se rapproche plus du black metal que du death metal, mais ce n’est pas le point fort d' »A Forgotten Epitaph« . Sur la base séculaire, cela se rapproche d’un blackened doom metal, avec la lourdeur et la lenteur idoines, allant même sur un tempo tellement lent que l’on a la sensation d’être sur du funeral doom metal, et les accords sont des classiques du genre. Il faut quand même souligner que le groupe ne se contente pas de faire dans le minimalisme, loin s’en faut. Ce dernier se lance dans des apports tantôt mélodiques avec des lignes de guitares qui sont dans des harmoniques superbes, parfois des passages en clean ou des introductions calmes et éthérées, et parfois une seule guitare qui occupe avec des effets magnifiques tout l’espace. La basse n’existe que pour mettre de l’épaisseur, histoire de ne pas tomber dans le black metal pur. Mais le plus gros point fort de cet album, on y vient, ce sont les longs, voire très longs passages dark ambient et / ou downtempo. Vous avez effectivement de très longs instants, parfois des moitiés cumulés de morceaux, où vous n’avez que des ambiances extrêmement malsaines, sombres et torturées. On a des éclats de voix, des gémissements flippants, des nappes de fond très oppressantes, et je me suis surpris à pénétrer pleinement dans les ambiances au point de sursauter, dont un vrai sursaut à en faire voler mon pc dans le salon sur le premier morceau. Mais ce n’est pas tout les ami(e)s ! Parce qu’on parle aussi et surtout de downtempo. Franchement, je ne pensais pas que c’était possible d’avoir ces ambiances plus électro-ambient sur du doom metal, et encore moins sur un doom metal très flippant, très lent, et j’ai A-DO-RE l’idée ! Mais vraiment ! Les samples électro-ambients sont incroyables, très bien distillés selon les besoins et selon les pistes. On croirait des ambiances à l’Ixion, mais en plus noires encore. On reste sur de l’ambient pur, mais le côté downtempo est bien représenté et je reste sur la perspective enchanteresse et éthérée que procure ces ajouts par MAO, absolument sublimes, non écrasants comme l’est parfois l’électro, et donnant une coloration folle aux trois pistes, chacune y allant de ses ambiances particulières. En tout cas, je ne pensais pas du tout me prendre une telle baffe en première écoute. J’étais un peu rebuté par la longueur des pistes, ne sachant pas combien de pauses il m’aurait fallu pour digérer le tout, mais l’album « A Forgotten Epitaph » s’écoute merveilleusement bien, avec un fluide intense et langoureux, des ambiances apeurantes au possible et quand le metal arrive, généralement en plein milieu des pistes, enrobé assidûment par les ambiances avant et après ou en démarrant doucement, la lourdeur et la noirceur sont exceptionnelles. C’est une vraie surprise, une vraie claque de forain que je viens de me prendre. Quelle tuerie en première intention, putain !
La production est excellente. Tout simplement. Loin de donner son doigt à la moissonneuse, le son est vraiment très bien travaillé. J’avais peur au vu de l’abondance d’effets électros voire symphoniques par moment que le mixage principal se voit noyer dans le flux sonore que dégagent les samples mais, finalement, même si de temps en temps c’est un peu le cas, le tout est très bien sonorisé. On a donc cette dimension black metal très prenante qui, mélangée à la lenteur du doom metal, lui donne un côté à la fois nasillard comme j’aime dire, et à la fois lourdingue. Sans outrance, rien de méchant, mais suffisamment équilibré entre lourdeur et froideur pour prendre aux tripes littéralement. Un blackened doom metal qui est excellemment sonorisé comme je disais, je pense même que si les groupes cherchent une référence en matière de travail en studio, ils peuvent aller écouter « A Forgotten Epitaph » les yeux fermés. La batterie, que je n’avais pas mentionnée plus haut, est également bien mise en avant et participe sonoriquement parlant à cet ensemble quasiment parfait, y compris dans la seule notable accélération de l’album sur le dernier morceau. Et si j’avais placé largement au-dessus les passages dark ambient et downtempo en écoute, sur le plan sonore ils sont à égalité. C’est vous dire combien j’aime cette production. Pour ces fameux moments ambients, je m’y connais moins bien en MAO mais on sent que si on parvient à se faire hypnotiser absolument par ces derniers, c’est qu’ils sont ultra bien ficelés. Mention spéciale pour les moments plus dark ambient car j’adore ce genre musical peu connu. On ressent un peu du Nagaarum, voire effectivement quelques apports très Abruptum. Et ça, c’est le nec plus ultra pour moi. Bref ! Superbe production, bravo ! Et je pèse mes mots.
Cursed Cemetery cache bien son jeu. Sincèrement, je partais sceptique avec les changements multiples au niveau du line up et les huit années révolues avant de voir naître ce « A Forgotten Epitaph« . Mais il s’avère être un album fantastiquement riche sur le plan musical. Maintenant, j’ai réfléchi un peu. Et je pense, et il s’agira de mon seul regret sur cette chronique, que le groupe n’a pas mis de réel concept sur cet album. On a trois morceaux qui sont totalement différents, qui n’ont pas de lien particulier si on exclut la musique générale mais comme les incorporations ambient et downtempo sont extrêmement disparates, on ne peut pas spécialement les relier entre elles. Il y a un indice spécial qui illustre mon propos : la deuxième piste porte le nom de l’album. En général, quand ce cas de figure existe, c’est qu’il n’y a pas réellement de concept derrière. Je pense donc que cet album doit être pris presque comme une compilation, ou un recueil de morceaux. Il n’y a pas tellement de liens conducteurs, et cela peut surprendre. Moi, si je suis un tout petit peu déçu (ma déception fait la taille d’un centième de crotte de mouche), c’est que je suis intimement convaincu que Cursed Cemetery a largement de quoi faire des albums conceptuels extraordinaires ! Et je trouve que c’est toujours un must de pondre des concepts. C’est mon seul et unique regret. Il est tout petit tant l’album « A Forgotten Epitaph » est monstrueux à bien des qualités. Je ne le conseille pas, je l’imposerais si je pouvais ! Quel bijou.
Il n’y a même pas tellement de chant sur cet album. On est plutôt selon moi sur des déclamations dantesques, des sortes de cris monstrueux, profonds et intenses. Mon sursaut de peur est d’ailleurs intervenu sur le chant apparu d’un coup après l’introduction ambient de la première piste. Un chant sludgien pour le coup, excellent ! Après, on est sur différentes techniques de chant. Cela va du grunt grave très profond, digne des groupes de funeral doom metal, jusqu’au chant sludgien comme je disais, en passant par des interférences de chant en growl divers. Cela reste d’ailleurs très succinct, le chant fonctionnant selon moi plus comme un sample ordinaire qu’un vrai lead sur l’album. On a donc le sentiment que les techniques de chant sont étendues pour permettre aux morceaux d’avoir des ajouts samplés en plus du reste. J’aime beaucoup cette démarche ! Moi qui suis sensible aux textes, à l’articulation et à la technicité pure, avoir comme ici des petites phases de chants, différents qui plus est, sans prétention autre que de se glisser insidieusement dans le mixage, cela me fait un bien fou ! Et en plus, chaque technique est bien maitrisée. Que demander de plus ?
Je vais mettre un point final à cette nouvelle chronique sur ces termes dithyrambiques, dont je n’avais pas mesuré l’hyperbole depuis longtemps. Cursed Cemetery, groupe qui ne payait pas franchement de mines sur le papier, revient donc aux affaires après huit ans de silence, et l’émergence de ce « A Forgotten Epitaph« , quatrième méfait du groupe roumain. Je partais sur une forme instinctive de scepticisme, sans que je comprenne pourquoi. Force m’est de constater que le groupe a balayé mes doutes d’un revers de main digne de celui de Nadal. Le blackened doom metal teinté d’apports électro-ambient, downtempo voire même symphoniques, offre une richesse de composition ultime et une vraie claque. L’album collectionne absolument toutes les qualités, mais l’absence de réel concept présent me force à nuancer mon emphase. Cela reste toutefois un album extraordinaire, riche et sombre. Je pense que cette chronique me fera retenir comme leçon qu’il ne faut pas s’arrêter à la première impression, chez un disquaire surtout. Prenez le temps d’écouter même si vous avez un doute. Cela vous permettra de sortir de son écrin de silence un album aussi brillant qu' »A Forgotten Epitaph » ! Quelle baffe !
Tracklist :
1. Daimon 18:53
2. A Forgotten Epitaph 15:10
3. Burned Anchor 25:37
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