Line-up sur cet Album


  • Roman Saenko – Guitares
  • Thurios – Guitare, chant
  • Krechet – Basse
  • Vlad – Batterie, claviers

Style:

Black Metal

Date de sortie:

11 novembre 2022

Label:

Season of Mist Underground Activists

Note du SoilChroniqueur (Seblack) : 10/10

Quelle meilleure saison que l’automne pour écouter Drudkh ? L’hiver peut-être… Au printemps ou en été aussi ceci dit… Pour se souvenir de l’automne et de l’hiver passés, dans l’attente de l’automne et de l’hiver à venir. Ou tout simplement pour s’évader.
C’est donc fort à propos que nous arrive ce nouvel album de la formation ukrainienne chez Season of Mist Underground Activists. Intitulé All Belong the Night, il se présente à nous avec un artwork d’Edward Novikov aux accents dostoïevskiens.
Drudkh…ce seul nom est évocateur de mille et une sensations : des sons, de la musique bien sûr, des images aussi, des paysages encore…
Drudkh…un nom presque mythique qui a conservé sa part de mystère. Une entité en grande partie protégée de la pollution médiatique par son géniteur Roman Saenko qui jamais n’a dévié de son cap.

Drudkh c’est un état d’esprit originelle du Black Metal. Un esprit préservé, un sanctuaire inviolable ou l’individu s’efface et s’éloigne de la communauté humaine.
Drudkh…c’est aussi désormais une multitude d’œuvres sonores comme seuls témoignages de son existence. Pas un concert, pas une interview. Tout juste quelques mots laissés ça et là par le biais des labels publiant ses œuvres.
Drudkh ne parle pas ou si peu…Enfin si …Drudkh parle. Il parle en musique…Il parle par sa musique et uniquement par sa musique. Et dans cette musique des mots…
Les mots de Drudkh….des mots souvent mystérieux parce qu’ils sont rarement imprimés sur les livrets et que, sauf exception, ils sont écrits et interprétés en Ukrainien. Et ce ne sont pas mes quelques rudiments de russe qui les perceront à jour…

Drudkh…c’est déjà vingt ans d’une musique mélancolique et ténébreuse dédiée à sa terre, sa nature, ses légendes, son histoire, sa culture…
Drudkh…c’est l’incarnation de l’âme slave dans le Black Metal avec sa poésie, sa grandeur, sa rage, son amertume, sa souffrance.
Que dire de plus si ce n’est que ce nouvel album de Drudkh c’est un peu tout cela à la fois. Quatre pistes seulement mais quarante-cinq minutes d’une musique dense aux multiples nuances.

All Belong to the Night est doté d’un son puissant et agressif mis au service de la rage et de la colère dont le chant de Thurios se fait le porte-parole. Un son qui peut s’entendre aussi comme une épaisse cuirasse protégeant un cœur empli de mélancolie.

Un spectre plane sur une grande partie de cet album. Ce spectre c’est celui de la guerre mais ce n’est pas forcément celle que vous croyez et qui s’étale sur nos écrans depuis quelques mois. Cette guerre, ou plutôt ces guerres ce sont celles qui se sont abattues siècle après siècle sans discontinuer sur ces terres gorgées de sang et d’ossements. Ces guerres que nous, Occidentaux, n’avons jamais vraiment voulu voir ou comprendre. Des guerres pour ne pas disparaître, des guerres pour survivre.
Même si ce n’est pas vraiment le propos de Drudkh, disgressons et prenons le temps de réfléchir à l’histoire contemporaine de cette terre ukrainienne. La seule évocation du XXe siècle vécu par cette nation devrait  faire frémir : la Première Guerre Mondiale (1914-1918), la guerre pour l’indépendance (1917-21) que certains appellent aussi guerre civile. Suivent dans les années 30, la collectivisation à marche forcée, l’Holodomor, cette grande famine orchestrée par Staline, la terreur des grandes purges, puis encore la Seconde Guerre Mondiale.
Et même lorsque la paix semble revenir, l’ombre de la guerre et de la disparition n’est jamais loin avec les différentes vagues de la politique de russification forcée. Même l’indépendance acquise, les spectres de la guerre et de la mort continuent à roder dans le Dombass, en Crimée ou ailleurs.

C’est donc ce spectre ancestral qui semble planer sur le très épique titre d’ouverture  « Нічний » (« The Nocturnal One »). Un titre qui puise, en partie, son inspiration dans les vers du poète ukrainien Yakiv Savchenko qui fut exécuté lors des grandes purges staliniennes en 1937. Un premier titre qui dégage une puissance sans pareil. Un titre qui recèle aussi des sonorités nouvelles pour Drudkh avec, par exemple, cet interlude de basse et quelques discrets arrangement électroniques. La basse un instrument qui est d’ailleurs bien mis en valeur dans cet album et vient, tour à tour, appuyer les parties les plus rageuses tout apportant une coloration particulière aux passages davantage baignés par la douleur ou la mélancolie.

Car de mélancolie et de douleur, All Belong to the Night n’en manque pas non plus. Partout Roman Saenko distille ces leads incroyablement expressives qui sont l’une des caractéristiques fondamentales de la musique de Drudkh. Je disais tout à l’heure que Drudkh parlait en musique, et bien prenez le temps d’écouter ces notes de guitare qui illuminent « The Nocturnal One » comme la lumière froide des étoiles qui scintille dans une nuit d’encre.
Ecoutez la tristesse et la douleur de « Млини » (« Windmills ») évoquant des paysages dévastés et ces pauvres gens fuyant pour sauver leur existence…Ecoutez….
Mais écoutez aussi ces tambours des anciens temps qui résonnent. Ecoutez les qui appellent au rassemblement, à la vengeance, au déchaînement de cette rage sauvage et sacrée, cette rage nourrie par une douleur sans fond, cette rage qui a fait de cette terre le cimetière de tant de hordes. La musique puise alors son souffle dans cet esprit Pagan qu’incarne Drudkh. Certains le croyaient peut-être mort, mais cet esprit a toujours été là, tapi au fond de l’âme et du cœur, prêt à ressurgir et à déverser sa hargne, à l’image du chant totalement déchainé de Thurios. Un chant particulièrement expressif.

Une expressivité que l’on retrouve toujours avec “Листопад” (« November ») où Drudkh nous transporte dans de véritables paysages sonores. Le titre s’ouvre sur un motif mélodique presque Doom, un phrasé lancinant, mélancolique aux saveurs automnales.
Novembre où les feux de l’automne resplendissent autant qu’ils ploient sous les premières morsures de l’hiver. Novembre où peu à peu la nuit l’emporte sur la clarté du jour. Novembre où la nature dénudée se pare de son manteau de brume. Cette brume que nous sommes tous destinés à devenir et que dépeint le très riche morceau final “Поки Зникнем у Млі” (« Till We Become the Haze »).
Avec cette dernière pièce de quinze minutes, Drudkh clôt son album un peu de la même manière qu’il l’a entamé. La musique est traversée par une tension qui navigue. entre épopée et moments plus intimistes. La flamme brûle ardemment, vascille, résiste, faiblit…mais elle ne s’éteindra pas. Drudkh reviendra….

Avec All Belong to the Night, Drudkh révèle, à qui voudra bien le voir et l’écouter, sa splendeur et sa majesté. Mue par une inspiration inépuisable la formation ukrainienne délivre un album saisissant par sa noirceur et ses atmosphères contrastées. Ne se départissant jamais du Black Metal qui est le sien, Drudkh montre qu’il sait aussi s’aventurer sur d’autres sentiers sans s’y perdre.
Inspiré autant qu’inspirant All Belong to the Night dépeint un univers d’infinies ténèbres, un chaos duquel émerge toutefois une lueur. Une lueur infime mais farouche et invincible.

Tracklist :

1. The Nocturnal One/ “Нічний” (10.23)
2. Windmills/ Млини (11.30)
3. November/ Листопад (08.25)
4. Till We Become the Haze/ “Поки Зникнем у Млі” (15.32)

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