Lunar Tombfields – An Arrow to the Sun
Line-up sur cet Album
Äzh : batterie, guitare M. : guitare, basse, chant
Style:
Black Metal AtmosphériqueDate de sortie:
06 octobre 2023Label:
Les Acteurs de l'Ombre ProductionsNote du SoilChroniqueur (Quantum) : 9.5/10
« Il fallait être Newton pour apercevoir que la lune tombe, quand tout le monde voit bien qu’elle ne tombe pas. » Paul Valéry
La Lune est décidément un élément de notre vie qui fascine et qui nous influence grandement. Sans s’en rendre compte, puisqu’il s’agit pour la plupart du temps de légendes urbaines, ou de croyances ancestrales. Je ne crois pas qu’il existe un être humain qui ne soit pas, un jour, fasciné au point de regarder fixement cet astre magnifique, les soirs où la Lune apparaît dans toute sa beauté, soit pleine, et qu’il n’éprouve pas à ce moment de l’ébahissement, même inconscient. Pour ma part, depuis tout petit, je suis féru d’astronomie. J’avais un télescope, je m’amusais à regarder les étoiles, les planètes (du moins, je les fantasmais), et bien évidemment, j’allais à la rencontre de la Lune, souvent le soir. Et puis, la vie passe. On oublie les petits détails qui ravivent le coeur, on s’habitue à la beauté de la Nature. On délaisse un peu son âme d’enfant rêveur, « dans la Lune », pour devenir une personne terre-à-terre et responsable. C’est l’inéluctabilité du temps, comme diraient certaines personnes, c’est normal ! Mais en ce qui me concerne, même si je dois admettre qu’aujourd’hui, peu de choses m’émerveillent à tous les coups comme avant, il reste deux choses dont je ne me lasserai probablement jamais : les montagnes au soleil couchant / levant, et un magnifique ciel étoilé orné, dans toutes ses parures lointaines, par un joyau gigantesque, recouvert de cratères : la Lune. D’ailleurs, moi qui suis branché mythes et légendes, mythologies comprises, je crois que la Lune a sa place de choix dans chacune des croyances. Vous prenez la mythologie grecque, romaine, nordique, mésopotamienne, maya, ou tout simplement les superstitions, vous avez au moins un long chapitre en cosmogonie qui est accordé à l’astre lunaire. Même les scientifiques s’accordent à penser que la Lune, factuellement, joue un rôle dans notre vie quotidienne et notre métabolisme ! La fameuse pleine Lune qui fait que mes patients décartonnent complet en psychiatrie, ou que certains dorment très mal, d’autres voient leurs humeurs changer. Moi-même, je constate plus chez les autres que chez moi ces changements, et je dois reconnaître que mes années de pratique du soin en psychiatrie m’ont forgé la conviction selon laquelle, oui ! La Lune influence l’Homme. Cela ne m’étonne donc pas de découvrir des groupes qui font de la Lune, ou de la nuit en général, le cheval de bataille de leur musique. Qu’il s’agisse d’un simple nom de groupe, d’albums, d’imagerie ou de paroles, vous avez forcément à un moment donné un groupe de metal qui va évoquer la Lune. Alors, il est bien évident qu’au titre de mon côté enfant, le groupe Lunar Tombfields allait m’intéresser, et que l’album An Arrow to the Sun itou.
Dans le cadre du flambeau partagé avec Les Acteurs de l’Ombre Productions, je vous propose donc une chronique du dernier album de Lunar Tombfields. Groupe venant de Nantes, donc français, la formation composée d’un duo de musiciens dans son format studio, et accompagnés de sessions pour ses performances concert, en est à ce jour à sa deuxième sortie officielle depuis 2020. Avec, il faut le souligner, un album par an entre 2022 et donc cette fin d’année qui a vu naître An Arrow to the Sun, le premier se nommant quant à lui The Eternal Harvest et étant sorti également sur le même label. Alors, je pourrais passer pour un mec dithyrambique quand il s’agit de vanter les mérites de ce label français dont le sérieux et la renommée ne sont plus à démontrer à l’échelle hexagonale (et probablement européenne), mais je pars dans l’idée que chaque sortie estampillée les Acteurs de l’Ombre Productions doit être considérée comme une sortie « normale », et non acquise. Mais pour avoir déjà vu Lunar Tombfields en concert à Lyon début d’année, je sais déjà par avance que l’album va me plaire. Autant expliquer pourquoi, et pointer les éventuels défauts ! Allons-y.
Et comme pour la première sortie, le groupe a su faire le bon choix ! Et l’artiste derrière ce projet d’artwork ne m’est pas inconnue puisqu’il s’agit de Sözo Tozö, alias de Sophie Turbé, à qui l’on doit notamment le dernier album d’Ars Moriendi et celui de Vosegus, deux ouvrages peints absolument superbes. Et le travail accompli pour l’album An Arrow to the Sun l’est tout autant. Il illustre tout d’abord parfaitement le nom de l’album qui peut se traduire par « une flèche jusqu’au soleil ». On a effectivement la présence d’un personnage humain, mais un peu décharné, qui tire avec un arc une flèche en direction d’un astre lumineux mais vraisemblablement barré par un autre, comme une éclipse, que l’on pourrait donc interpréter comme étant le soleil. Le décor est choisi sur des tonalités de couleurs qui évoquent potentiellement plusieurs choses comme le feu, les cendres, ou un ciel nocturne contrasté avec des tons rouges. On croirait même déceler une sorte de légère pluie dorée, ou incandescente, comme si le soleil était blessé par la dite flèche. J’y vois d’ailleurs un côté probablement un peu cynique, sinon en contradiction, avec justement le nom du groupe Lunar Tombfields qui semble entrer en opposition avec cet album qui parle visuellement du soleil, d’un soleil tourmenté par la Lune en format éclipse, voire même attaqué dans sa vulnérabilité par un archer. Enfin, pour moi, il y a une sorte de cynisme à l’égard du soleil que je trouve très intéressant conceptuellement parlant, et qui me pique de curiosité pour la suite. Visuellement, nous avons donc en résumé un artwork très beau, empreint de poésie et de sens, avec un jeu de couleurs bluffant d’efficacité, et une efficience à l’égard du soleil qui me laisse presque pantois d’admiration. Je savais le projet intéressant sur le plan musical, très empreint de poésie, justement, mais aussi de torture et de mélancolie, je ne savais pas que j’allais trouver les premières sensations idoines aux prestations live. Franchement, très très beau travail et excellent choix de pochette.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que Lunar Tombfields ne fait pas dans la dentelle ! Mais c’est un peu sans surprise, étant donné le roster sur lequel se trouve notre duo nantais. Il allait donc de soi que la musique qu’il nous sera proposé sur cet An Arrow to the Sun est black metal, c’était évident. Mais là où j’étais un peu étonné se situait dans le fait de retrouver cette forme de mélancolie avec autant d’intensité que ne l’avait retranscrite la performance live à Lyon, et en mieux ! C’est à dire que la musique est totalement sublimée par la retranscription studio. Ce black metal là, fort de rythmiques un peu plus linéaires que ce que le roster m’avait proposé auparavant, limite en mid tempo majoritaire, m’a donc hypnotisé par sa froideur et son incision. Après, on ne va pas se mentir, la musique fait également très black metal atmosphérique, en témoigne les lignes de guitares lead qui sont sur des tonalités bien aiguës, rehaussées par l’apport rythmique en arrière-plan. En écoutant la première fois l’album, j’ai cru entendre des groupes comme Cantique Lépreux, Der Weg Einer Freiheit ou encore à moindre mesure Harakiri for the Sky, qui distillent des mélodies lead extrêmement puissantes, véritable plus sur une musique bien connue pour sa froideur linéaire et sa face incisive. Lunar Tombfields joue énormément sur la carte atmosphérique donc, nous entraînant dans un profond marasme rempli de noirceur, tout en évitant de tomber dans le trop-plein. C’est par ailleurs, selon moi, la force de ce type de musique extrême, d’être capable comme ici de nous transcender de fureur et de noirceur avec de simples lignes de guitares comme celles-ci, une batterie qui ne fait « que » dicter une rythmique en mid tempo en gros, et une basse qui se fait discrète. C’est donc la particularité des groupes comme Lunar Tombfields, qui trouvent un juste milieu entre ce côté old school du black metal et cette modernité qui rajoute de la mélodie, des sons différents, un chant sludgien plus que high scream, et le tout donne ce savant mélange de nostalgie, finalement très Taake, et de morosité actuelle. La longueur qui peut sembler excessive à la minorité de curieux qui existent toujours en dehors du metal, est finalement très raccord avec cette installation progressive et insidieuse de la dite morosité, et le tout ne souffre d’aucune contestation possible, puisque même cette fameuse longueur joue son rôle dans une partition sans faute de langueur et de torpeur presque. Petite pause avec un interlude curieux, en clean sur le morceau « As Iron Calls, So Pile the Dreams ». Vous l’aurez compris, première écoute totalement convaincante pour An Arrow to the Sun, avec un black metal atmosphérique puissant, parfois aérien, pesant même, et qui distille un élixir de souffrance qui finira par devenir un vrai poison addictif. Cela devient décidément une habitude de subir un sans-faute sur ce label !
Dans ce style de musique qui se veut, comme je disais, aérien et pesant à la fois, il ne faut pas se tromper dans la production. Clairement. Un black metal atmosphérique qui est mal produit devient rapidement une purge auditive, et même si les souvenirs n’abondent pas particulièrement ce soir pour étayer mes propos, je sais que j’ai déjà eu à faire avec des albums complètement loupés concernant le son. Bon ! Ici, ce n’est absolument pas le cas. La production de An Arrow to the Sun est, je pense, ce qui peut se faire de mieux dans le registre. Et je pèse mes mots. J’ai trouvé notamment l’harmonie entre les deux lignes de guitares parfaite, et c’est rare que j’utilise ce mot. L’arrangement sur les guitares, aussi léger soit-il, permet également d’améliorer davantage les lignes rythmiques atmosphériques, et donc installe sur le spectre sonore tout entier un envahissement sonore qui est vraiment excellent. Il est agréable parce qu’on sent que les guitares, loin d’en faire trop dans ce fameux spectre, donne une coloration entièrement harmonieuse pour les oreilles. La basse y joue surement un rôle, aussi minime soit-il, particulièrement de gonfler les basses fréquences pour donner à la batterie et aux fréquences des guitares un son plus puissant. Le chant quant à lui se voit doter d’une place impeccable pour apporter toute sa bestialité. Bref. Franchement, Lunar Tombfields a pondu une des meilleures productions du style black metal de cette année 2023 qu’il m’ait été donné de découvrir. Il y a véritablement rien à envier aux gros groupes ou aux prédécesseurs tant le son est quasiment parfait. Le « quasiment » fait figuration en fait, mais chut ! C’est un secret.
Je dirais que pour comprendre l’essence conceptuelle d’un groupe comme Lunar Tombfields, il faut comprendre comment le black metal en général a pris un virage moderne impressionnant ces dernières années, virage que Les Acteurs de l’Ombre Productions s’efforcent de perpétuer de plus en plus. Un black metal qualifié soit de post-black metal, soit de black metal atmosphérique qui fait la part belle à la dimension mélancolique plus qu’à la démoniaque des années 90, par exemple. Résultat : beaucoup de groupes intimistes dévoilent leurs états d’âme au travers d’un black metal planant et pesant sur la psyché, tout en s’échinant à trouver LA métaphore qui va sublimer leurs émotions. An Arrow to the Sun ne déroge pas à ce constat plus ou moins subjectif, et je trouve que de toutes les sorties du label de cette année que j’ai faites en chronique, il s’agit sûrement de la métaphore la plus parlante qui soient. Jour Pâles avait mis la barre trop haut fin d’année dernière pour être dépassé, Pénitence Onirique n’était pas loin du tout de le faire par ailleurs, mais Lunar Tombfields figure dans mon top 3 concept-album du label avec les deux précédemment nommés. Avec cette imagerie d’un soleil malmené et torturé, lui qui serait l’astre tout-puissant, quoi de plus symbolique que de voir ce dernier s’effondrer devant l’attaque de l’âme humaine ? Mon seul regret sur cet album demeure la légère incohérence sur le concept en lui-même où finalement on a le sentiment que les pistes ne se suivent pas logiquement, comme dans un vraie déroulé. J’ai le sentiment que le groupe gagnerait à mettre plus en exergue cette métaphore inhérente au genre de musique d’ici, plutôt que de rester soit trop intimiste comme cela peut arriver chez d’autres comme Limbes par exemple (que j’adore), soit trop vague. Si j’ai un humble conseil à leur donner, ce serait de vraiment insister sur la métaphore visuelle qu’ils ont proposée magnifiquement pour An Arrow to the Sun !
Enfin, petit paragraphe pour parler du chant, lui aussi en totale adéquation avec ce qui se fait de nos jours sous l’étiquette parfois galvaudée de black metal atmosphérique moderne. Un chant résolument sludgien, avec une part belle offerte aux hurlements éraillés plus qu’à la technique ultra old school du high scream, procédé très mélancolique que l’on retrouve dans l’écrasante majorité du roster de Les Acteurs de l’Ombre Productions. Mais dans ce cas précis, je trouve que l’on monte encore d’un cran dans l’intensité du chant, avec des textes très lents, très pesants eux-même, et une voix plus « nature » que ce que l’on peut écouter dans les sorties précédentes. On note finalement assez peu de retouches sur le chant, lui donnant un côté bestial que je trouve bien plus authentique et présent qu’ailleurs. La voix est d’une réelle intensité rare, et j’ai adoré le chant. Moi qui suis tatillon sur ce point précis, je dois bien reconnaître que le chant ici joue un rôle prépondérant sur les miasmes qui découlent de chaque note, et je suis sincèrement impressionné par les émotions qui en ressortent. Non, c’est époustouflant à ce stade. En concert je n’avais pas ressenti autant de souffrance. Là, je me suis pris une baffe, tout simplement. Incroyable…
Au final, avec cette chronique, me voilà devant vous humblement pour évoquer le groupe Lunar Tombfields et leur deuxième album, et deuxième sortie tout court, nommée An Arrow to the Sun. Un album totalement tourné au service presque sacré du black metal atmosphérique bien moderne, bien LADLO quoi. Un album racé et puissant, tout en alliant un aspect old school, très mid tempo et froid, avec cette ardeur et cette apesanteur moderne qui, loin de faire une émulsion, se transforme en un élixir incroyablement efficace. Rarement la musique de ce style parvient à procurer le sentiment à la fois de mourir de froid, et de le faire dans des souffrances atroces, et le duo nantais arrive avec un génie déconcertant de facilité à nous embarquer dans ce… Duo de ressentis profonds. Il ne manque, selon moi, qu’un peu plus de cohérence dans l’élaboration du concept-album, si tant est qu’il s’agisse de l’intention du groupe. Je crois qu’il serait toutefois de bon ton de dire qu’objectivement parlant, An Arrow to the Sun est bouleversant d’authenticité et de mélancolie. Un vrai poème décortiqué en six étapes vers la noyade dans le marasme humain le plus noir. Un vrai bijou du genre !
Tracklist :
1. An Elegy to the Fog Dancer (03:00)
2. Solar Charioteer (09:17)
3. Représailles (09:02)
4. As Iron Calls, So Pile the Dreams (08:39)
5. The Amber Her (08:08)
6. Le chant des tombes (08:02)
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