Line-up sur cet Album
- Mick : tous les instruments, mixage
- Sotte : chant
Style:
Black MetalDate de sortie:
15 novembre 2024Label:
Les Acteurs de l'Ombre ProductionsNote du SoilChroniqueur (Quantum) : 9/10
« Quand l’esprit est attiré par une feuille, l’œil ne voit pas l’arbre. Quand l’esprit est attiré par l’arbre, l’œil ne voit pas la forêt. Ne pas s’attacher aux détails mais voir l’ensemble sans vraiment regarder. Voilà le secret… c’est ça « voir« . » Takehiko Inoué
L’histoire de Time Lurker est manifestement basée sur un préambule familial puisque selon Metal Archives, le nom du groupe est une sorte d’hommage au groupe français Catacomb, jouant du death metal et venant de Toulon, où officiaient l’oncle et la tante du dénommé Mick, initialement seul maître à bord du projet. Toujours est-il que le projet est né en 2014 dans la belle ville de Strasbourg et compte à ce jour une discographie éclectique avec un premier EP sorti en 2016, suivi d’un single et d’un premier album éponyme sorti en 2017. Puis un split avec le groupe Cepheide en 2019 et enfin, après sept ans d’attente derrière le premier album, ce deuxième opus sort ce mois-ci et vous est proposé en release du jour auprès de notre webzine ! J’aime l’idée qu’un artiste prenne plusieurs années pour sortir un autre album, cela démontre qu’une forme d’authenticité est encore possible au devant de la nécessité fausse de devoir sortir des albums à foison. A noter que depuis le premier album, Time Lurker se situe sur le roster des Acteurs de l’Ombre Productions. Un fidèle au label depuis le premier album, split compris, label qui manifestement n’a pas poussé pour que ce dernier sorte des albums tout le temps. Je trouve cela très plaisant ! Et je dois reconnaître que j’ai démontré une réelle curiosité concernant cet « Emprise » dès sa visibilité sur les réseaux sociaux. Je suis donc heureux de le faire en chronique d’autant qu’au chant, s’est greffée une certaine Sotte que je connais un peu par son parcours avec son projet éponyme et pour sa participation visuelle et musicale au premier album de Bovary. C’est l’occasion de découvrir quel potentiel présente-elle sur un album entier !
Sur le visuel, je sais que je peux en parler parce qu’elle ne m’en avait pas fait reproche pour Bovary, mais Sotte a présenté – du moins, je lui souhaite que cela soit du passé – des troubles alimentaires. Ces derniers ramènent à une problématique symbolique et plus générale autour du corps, avec la dysmorphophobie et le rapport entre le corps, l’esprit et l’estime. Je ne suis donc pas du tout surpris de découvrir un visuel qui met en exergue un corps de femme nue dans une position de soumission ou d’attente, en ayant à la place de la tête une sorte de forme vague et fumeuse, qui semble être soit fantomatique, soit dans une phase de mort, comme si l’esprit était totalement avili par ce corps qui s’expose aux yeux des autres. A noter que le corps est plutôt bien portant, voire peut-être que cette femme est enceinte, mais cela reste à prouver. Après, cela reste mon interprétation, elle est possiblement mauvaise. En tout cas, je trouve cette mise en abime du corps et de l’esprit qui se délient avec cet esprit qui part en fumée, au sens propre comme au sens figuré, particulièrement intéressante mais un peu trop déjà-vu. J’aurais vu autre chose, une autre représentation métaphorique de l’emprise. Pour moi, cet artwork manque un peu d’originalité et se voit rattraper par son aspect dérangeant, voire horrifique. Cette dimension lui confèrera surement un côté attrape-l’oeil qui lui servira chez un disquaire, mais quand on s’amuse à creuser la forme en lien avec le fond, on ne peut pas s’en satisfaire pleinement. L’intérieur du CD reprend quant à lui des symboles déjà utilisés comme la face de démon, les anges déchus et la couronne d’épine, tous des symboles que l’on connait déjà pour traduire une forme de rejet, de souffrance et probablement un pamphlet contre l’emprise religieux sur les âmes en détresse. Donc pour moi, ce design plutôt réussi sur la forme appauvrit un peu trop le fond et l’intérieur du CD manque un peu aussi d’originalité. Ce serait à améliorer.
Connaissant bien évidemment le roster des Acteurs de l’Ombre Productions, il allait de soi que l’on irait sur une musique black metal. Le tout étant de découvrir ce qui se cache derrière le voile principal. Depuis maintenant presque un an, je chronique du black metal pou le label, mais j’en écoute depuis mes débuts avec le metal, soit plus de vingt ans. Mais je peux d’ores et déjà dire que Time Lurker n’est pas loin de se figurer dans le top 3 de mes récentes découvertes. La musique est absolument monstrueuse de noirceur et d’intensité ! On a coutume d’associer le black metal à la froideur et l’incision, voire la violence, mais depuis des années plus avancées, ce dernier va vers une extrême noirceur que l’on attribuerait initialement au sludge metal par exemple. Cette seconde vague offre donc des albums comme « Emprise« , avec une musique oppressante et ténébreuse au possible. La particularité ici réside dans l’incorporation quasi permanente de passages ambiants, ou tout simplement plus calmes, limite oniriques, qui rajoutent tantôt un profond désespoir, tantôt une impression de s’enfoncer dans des abimes terribles. On a parfois le sentiment de se répéter quand on écrit une chronique, et des albums qui produisent une musique sombre comme celle-ci, on pourrait en trouver plusieurs. Mais il convient de préciser que le chant féminin ne donne pas sa part aux lions si j’ose dire. Loin de tomber dans les bassesses de l’ultra féminisation du metal, Sotte nous gratifie d’un chant qui amène encore plus de noirceur dans un ensemble instrumental déjà bien enrobé. Mais j’y reviendrai. La particularité de la musique de Time Lurker réside d’ailleurs dans cette accumulation de parties en blast beat étouffantes et cette production qui englobe sonoriquement parlant l’auditeur, comme si la musique essayait de bloquer dans ses bras ce dernier pour l’emmener dans son marasme. Vous l’aurez donc compris, cet album m’a transporté. J’adore quand le black metal fonctionne dans cette vague de noirceur extrême, avec cette part atmosphérique et sur des riffs agressifs et incisifs, laissant quand-même de belles mélodies en clean ou en blast beat. C’est un black metal d’une belle richesse en première écoute malgré le nombre restreint de morceaux, une très belle surprise !
Le gros du travail revient également à Déhà, bien connu désormais dans le milieu, qui s’est occupé du mastering uniquement, le mixage revenant à Mike en personne. Le résultat est stupéfiant ! D’abord, on se situe sonoriquement parlant sur une frontière ténue entre le black metal bestial et primaire, et le black metal atmosphérique par les ambiances diverses, oscillant entre un spectre sonore bien envahi, des passages en clean et des incorporations dark ambient qui fonctionnent à merveille. Toutes ces abondances d’éléments sonores différents n’a pas empêché nos deux protagonistes à la production de pondre un résultat époustouflant. On est littéralement aspiré par le son, qui se veut à la fois oppressant, et à la fois hypnotisant. C’est la grande force de Déhà, de pouvoir offrir un mastering incroyable pour avoir des sonorités qui font la part belle aux atmosphères, y compris dans d’autres styles que le black metal ! J’émettrai cependant une petite réserve mais qui va plaire au groupe, je le pense : la durée de l’album. Pour moi, c’est trop court pour prétendre proposer un « album » digne de ce nom. Un EP aurait été plus approprié, d’autant que la longueur des pistes n’étaye pas tellement la dimension raisonnable d’un album. Ce qui me permet de vous dire que la production générale d' »Emprise » m’a réellement plu au point de réclamer davantage de morceaux. Je trouve le chant un poil trop en retrait, mais je dirais que c’est surement une volonté artistique car en le mettant lointain, on a une forme de « profondeur » que ce soit au sens propre comme figuré du terme. Bref ! Une production vraiment très bonne, avec de légers détails qui questionnent mais somme toute, le résultat proprement sonore est fou. Mais vraiment !
Dans cet album effectué pour la première fois en duo dans le parcours de Time Lurker, on sent qu’il y a eu un apport déterminant de la part de Sotte. Outre ce black metal qui, instrumentalement parlant, était déjà d’une oppression folle, l’apport au chant, aux paroles et donc factuellement dans la conception d' »Emprise » est un vrai nec plus ultra. Cet album concept se situe principalement sur le principe général de l’emprise dans sa définition psychologique de « l’influence ou domination exercée sur une ou plusieurs personnes et qui a pour résultat qu’elle s’empare de son esprit ou de sa volonté. » Il y a toute sorte de facteurs pouvant amener vers une emprise, et je sens que dans le cas de l’être humain, c’est le vide qui octroie la plus perfide emprise. Ce vide se sert de nos addictions et de nos idéaux pour nous offrir un semblant de vie, une réalité parallèle mais toxique, et je ressens ce nouvel ouvrage de Time Lurker comme étant centré sur cette dimension philosophique. Sotte amène selon moi un aveu de faiblesse, une mise à nu totale et une sorte d’introspection mais qui n’amène à aucun résultat autre que l’impuissance. C’est en cela que ce deuxième album est séculaire dans le paysage français black metal. Rarement un album n’aura offert dans ses paroles et l’intensité à la fois de sa musique et de son chant, une telle souffrance. Et pas besoin pour cela, de faire dans l’outrancier black metal dépressif ! Le black metal a cette possibilité inouïe de proposer une allégorie sonore de la souffrance, si tant est qu’elle n’est pas feinte comme beaucoup de groupes actuels. Pour moi, Time Lurker vaut véritablement le coup car il (et elle) ne triche pas. Et c’est toute la force d' »Emprise« . C’est un excellent album, et je le redis : une véritable bonne surprise !
Passons désormais au sujet qui me tenait le plus à cœur depuis que je rédige cette chronique : le chant. Je connaissais Sotte par son projet éponyme qui expérimentait déjà une musique étrange et terrifiante, à grand renfort d’ambiances éthérées ou affreuses. Puis, j’ai découvert plus en évidence son chant dans le premier album de Bovary, chant qui amenait quelque chose de sublime à la chanson déjà superbe de Françoise Hardy « Mon Amie la Rose. » Et puis, si j’ose dire, plus rien ou presque. Un anonymat retrouvé sauf sur les réseaux sociaux, mais finalement ce n’est pas grave. Car les artistes ont parfois des passages à vide et soudainement, ils sortent d’on-ne-sait-où un truc monstrueux qu’ils ont soit maturé pendant de longs mois, soit d’un coup. C’est en cela que Time Lurker a remis son identité artistique au gout du jour et j’ai pu « tester » son chant sur un ouvrage accompli instrumentalement parlant. Le résultat n’était pas si surprenant que cela pour moi, puisque je connaissais un peu son potentiel. Mais au-delà de la technique de chant qui est terrible, allant sur la force du roster du label avec ce chant sludgien qui amène sincèrement quelque chose de profond et de sombre au black metal dit « moderne », j’ai surtout adoré et été scotché par les textes. J’ai trouvé que ces derniers, que ce soit rythmiquement parlant ou simplement dans la rédaction, la syntaxe, sont absolument dingues. Secs comme des coups de couteau, recherchés comme la douceur d’un poison, et surtout… Noirs, mais noirs ! Comme si l’âme de son autrice était tombée dans des abysses insondables, et qu’ils émergeaient via ce chant lointain, des tréfonds des Enfers. Enfin, vous l’aurez compris, j’ai tout simplement été soufflé. Je crois que définitivement, Time Lurker a fait un choix prépondérant pour son devenir. En espérant que cette collaboration perdure. Petit bémol : l’articulation. Moi qui suis sensible à la sublimation des textes qui en valent le coup, je trouve que Sotte pourrait faire mieux là-dessus. Mais c’est mon opinion.
Pour conclure, Time Lurker revient après sept longues années de silence pour nous proposer ce jour « Emprise« . Cet album est le premier que j’écoute du projet strasbourgeois, et je reconnais ma bévue de ne pas avoir commencé plus tôt, mais je crois au destin. Il fallait que je commence par « Emprise« , album très court, qui propose un black metal qui fait la part belle aux atmosphères de souffrance, à la noirceur funeste et à ces inclusions existentielles qui pourrissent la vie. L’arrivée de Sotte au chant est un véritable atout pour ce black metal à la sauce moderne, avec des sonorités envahissantes et un chant sludgien lointain, puissant, pas forcément très articulé mais dont le simple timbre, la tessiture seule suffit à foutre les pétoches. La musique est excellente et n’est pas là pour enrober de pétales de roses les cœurs sensibles. Elle est là pour planter un violent coup de poignard dans l’âme des auditeurs, et c’est en cela que je recommande vivement « Emprise » !
1. Emprise 03:01
2. Cavalière de feu 07:38
3. Poussière mortifère 09:08
4. Disparais, soleil 05:26
5. Fils sacré 08:33
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