GraveNoire – Devant la Porte des Etoiles
Line-up sur cet Album
- Emmanuel Zuccaro – Batterie, Claviers
- Maximilien Brigliadori – Guitares, Basse
- RMS Hreidmarr – Chant
- Vicomte Vampyr Arkames – Chant
Style:
Black MetalDate de sortie:
23 aout 2024Label:
Season Of MistNote du SoilChroniqueur (Vince le Souriant) : 8.5/10
« Tout a déjà été écrit, heureusement que tout n’a pas encore été pensé » (Stanislaw Jerzy Lec)
Le 31 août 1794, l’abbé Grégoire, écœuré par les destructions qui ont lieu pendant la période révolutionnaire, présente devant la convention dont il est député un Rapport sur les destructions opérées par le Vandalisme et les moyens de le réprimer. C’est la naissance en France de l’idée de patrimoine. C’est à cette même notion, le patrimoine, que rend hommage cet EP de Gravenoire, tant sur le fond – les paroles – que sur la forme – musique, artwork et même clip. Et ce n’est guère surprenant, quand on sait que le quatuor est emmené par deux monstres sacrés de la scène Black Metal hexagonale : Rose Hreidmarr et Vicomte Vampyr Arkames. Je ne ferai pas au lecteur l’insulte de les présenter, tant on touche ici au B à Bâ’a du Black francophone (pardon, c’était trop tentant !). L’EP est un condensé de black à l’ancienne de belle facture, réparti sur six titres, qui clament tout à la fois l’amour de la terre et le dégoût de ce qu’elle est devenue. Si l’hommage au passé est omniprésent, que ce soit au travers des textes, ou de la musique elle-même, qui semble tout droit venue des années 90, et enregistrée sans fioritures, le disque ne saurait se résumer à une resucée d’Anorexia Nervosa ou de Seth, loin s’en faut. Bien plus que le symptôme d’une nostalgie de quadras regardant par-dessus leur épaule, le disque est un manifeste dans lequel tout semble volontairement tourné vers l’avant, et ce, jusque dans la prise de son, les instruments ayant été enregistrés en studio avec trois micros. Le somptueux clip de « France de l’Ombre », bien que tourné au drone et en 4K, coche également toutes les cases : paysages naturels, vieilles pierres, backpatchs et mines belliqueuses.
Le fond, lui, est encore plus complexe. Les paroles évoquent la France des aïeux, la ruralité et les traditions par opposition aux villes modernes et dénuées d’âme. Textes, titres, détails dans le clip (le backpatch évoqué plus haut a fait couler quelques larmes, de nostalgie pour les uns, d’indignation pour les autres), sont autant de cailloux semés par nos Petits Poucets. « Ordo Opera Cultura » se traduit ainsi par « Ordre, Travail, Culture ». Tout cela respire allégrement le « Against the moderne world » cher à Evola. Et pourtant, le projet n’est pas tant politique que d’ordre individuel. Pourquoi, parce qu’est politique ce qui concerne les affaires de la Cité, la « polis » de la Grèce ancienne. Or, ce que chantent les membres de Gravenoire, c’est leur non-inclusion dans cet espace. Du fait d’une différence qui touche au plus profond de leur être, à leur nature même, à une weltanschauung qui leur serait propre. Entre autres amabilités, nos contemporains sont ainsi appelés « écœurants germes révoltés et impies » dans France de l’ombre, « pantins » dans plusieurs titres… La fin d’Aux chiens dissipe toute ambiguïté : « Dégager de ce monde devenu mitard/Pourri, inerte, corrompu, vicié », tandis que le refrain de Granit clame « À la lisière de l’humanité/Aux confins des terres sacrées/C’est ici que je vis/C’est ici que je suis ». Bien sûr, de cette ode au vivre-ensemble résulte immanquablement une certaine solitude propice à la contemplation, à la spiritualité.
Cette plongée dans l’ailleurs commence dès l’écoute du morceau d’introduction, « Pavens » (littéralement, en tremblant, en latin). Majestueux et solennel, il donne l’impression de contempler les voûtes d’une haute cathédrale. Verticalité. Transcendance. Oui, la beauté élève. Pèlerins arpentant un champ de ruines, les musiciens recueillent goutte à goutte ce qui reste d’un savoir ancestral, suintant des vestiges. La quête – car c’en est une ! – est annoncée dès le dernier couplet de France de l’ombre : c’est le voyage à travers l’espace et le temps, un temps plus noble et glorieux Un temps éternel ? Peut-être. « Devant la porte des étoiles/Rien ne meurt, rien ne se gâte » (« Ordo, Opera, cultura »). Sur la pochette, une silhouette en ombres chinoises se découpe sur un ciel de crépuscule. Elle tient une torche et ce qui semble être un crâne, et convoque la figure du sorcier, du rebouteux. Le titre de l’EP, « Devant la porte des étoiles », n’est quant à lui pas sans rappeler la devise Per aspera ad astra : « par des voies ardues jusqu’aux étoiles. ». Mais c’est dans Gravenoire, à la fois nom de groupe et d’album mais aussi village et volcan que culminent le mysticisme, l’émotion, la dignité, le recueillement. Dans ce morceau, composé par Emmanuel Zuccaro, le batteur, est lu un extrait de l’ouvrage du regretté Jean-Paul Bourre, auvergnat lui aussi, parti avant de pouvoir enregistrer lui-même la lecture de l’extrait ici donné à entendre. Ce titre est à l’image du volcan dont il tire son nom : à la fois sommet et porte d’entrée vers des entrailles autrement inaccessibles. Dans une scène du Cercle des Poètes disparus, film de Peter Weir sorti en 1989, un manuel d’étude de la poésie propose aux élèves de mesurer la valeur d’une œuvre poétique à l’aide d’un graphique mettant en relation l’importance du thème abordé et la qualité artistique de son traitement. Méthode qui déplaît fortement au professeur Keating, incarné par Robin Williams : « Il ne s’agit pas de mesurer de la tuyauterie. Il s’agit de poésie. ». La toute petite demi-heure que dure « Devant la porte des étoiles », mérite d’être considérée avec le même esprit, tant il est vrai que la brièveté d’un plaisir ne dit rien de son intensité, de sa richesse ou de sa profondeur. Disons-le tout de go, Gravenoire n’est pas un album facile d’accès. A l’instar d’un bon vin, il mérite d’être décanté pour être apprécié à sa juste valeur. Incroyablement bien écrits, les textes ont d’ailleurs donné le ton à cette chronique où il est davantage question d’eux que de la musique qui les accompagne. Peut-être la métaphore qui rendrait vraiment justice à l’ensemble est celle d’une matriochka : écoute après écoute le disque dévoile de nouvelles couches, chacune plus finement ciselée que la précédente.
Après cette expérience, ô lecteur, puisses-tu être à ton tour convaincu « qu’il n’y a aucun risque à s’enfoncer l’aiguillon du Diable dans la tête ».
Tracklist :
- Pavens (1:27)
- France de l’ombre (5:53)
- Ordo Opera Cultura (4:03)
- Aux chiens (4:18)
- Granit (5:21)
- Gravenoire (4:11)
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