Line-up sur cet Album
- Berg - Guitares, Basse, Claviers
- Fluss - Chant
- J - Batterie
Style:
Black Metal AtmosphériqueDate de sortie:
13 mai 2022Label:
Debemur Morti ProductionsNote du SoilChroniqueur (Seblack) : 9,5/10
C’est sur une peinture d’abbaye en ruine que se découvre ce quatrième album d’Aara intitulé « Triade II : Hemera« . Le choix de cette peinture de Mickaël Handt n’est pas anodin, ce type de représentation s’inscrivant parmi les motifs classiques du romantisme noir dans la première moitié du XIXe siècle (pensez notamment aux œuvres de Caspar David Friedrich). Oh le romantisme noir… Il en est beaucoup question dans la musique d’Aara et dans cet album en particulier. En effet, celui-ci constitue le deuxième volet d’un triptyque consacré au monumental roman « Melmoth ou l’Homme Errant » de l’écrivain irlandais Charles Robert Maturin. Injustement méconnue, cette œuvre est considérée par beaucoup d’historiens de la littérature comme l’un des archétypes de la littérature gothique (fin XVIIIe – première moitié du XIXe siècle). On y retrouve des thématiques qui parleront beaucoup aux amateurs de metal et de black metal en particulier : pacte faustien, monastères mystérieux, errances spirituelles, goût pour l’effroyable, le fantastique, l’occulte… Les plus férus apprécieront ce fond très fouillé mais honnêtement on peut fort bien apprécier l’album sans être passionné ou même intéressé par ce livre ou ce courant artistique.
Car musicalement parlant, Aara est devenu en quatre ans à peine (et quatre albums ainsi qu’un EP) l’une des formations les plus intéressantes et, disons-le, envoûtantes de la mouvance black metal atmosphérique. Dès ses débuts le duo helvète (devenu trio) a trouvé une identité sonore qui lui est propre, ce dont peu de groupes peuvent se targuer. Les labels Naturmacht Productions et Debemur Morti ont eu bon nez en dénichant et produisant leurs albums.
Ce « triade II » ne déroge pas à ses prédécesseurs. On y retrouve le son Aara, l’univers Aara avec suffisamment de petites nouveautés glissées çà et là pour le rendre plus captivant encore.
L’une des grandes qualités et marque de fabrique du groupe, ce sont les mélodies. Et une fois de plus Berg déploie tout son talent pour habiter l’ensemble de l’album de motifs souvent rapides qui s’entrelacent les uns aux autres pour un effet des plus envoûtants et hypnotiques. C’est prenant, ça emmène loin, ça emmène très vite car ces lignes mélodiques sont parfaitement mises en valeur pour que l’attention se fixe dessus presque de manière obsédante. Cela emmène également longtemps car la manière dont les lignes s’entrecroisent fait qu’à chaque écoute on va trouver un petit quelque chose qui nous avait échappé avant. Enfin, en plus de savoir capter l’attention de l’auditeur, Berg sait aussi la maintenir par des variations parfois infimes de la mélodie ou par des ruptures plus nettes : par exemple avec une ligne légèrement dissonante au milieu du morceau « Fantasmagorie » où avec un semi soupir au cœur de « Sonne der Nacht ». C’est flamboyant de maîtrise.
D’un point de vue rythmique, Berg, toujours lui, n’est pas en reste pour nous balloter en tous sens. Aara sait comme personne faire suffoquer son auditoire sous des rythmiques très rapides. Mais pour autant pas de linéarité, les changements de variations sont nombreux permettant d’installer des atmosphères plus pesantes épaulées par une basse, certes discrète, mais dont le bourdonnement sait aussi se faire entendre sur ces passages plus éthérés. Dans cet ensemble implacable la batterie n’est pas en reste et la frappe de J (arrivé sur l’album précédent) s’avère redoutable d’efficacité quel que soit le registre sans pour autant écraser l’ensemble en étant trop en avant dans le mix.
Une fois de plus donc Aara fait mouche et parvient à construire une musique à la fois accrocheuse et complexe, une musique très expressive aussi à l’image du roman de Charles Robert Maturin. De ce chaos minutieusement orchestré émerge la voix lointaine et criarde de Fluss également auteure des paroles (en allemand). Possédée du début à la fin elle contribue pleinement à l’identité sonore d’Aara et à cette atmosphère aussi attirante qu’étouffante. Quelques chœurs et surtout une voix orientale sur le titre « Sonne der Nacht » amènent une atmosphère empreinte de spiritualité au milieu d’un monde où se déchaînent les ténèbres. Là aussi, on peut y voir une référence au roman où Fluss puise son inspiration, celui-ci évoquant aussi bien les monastères que les contrées de l’Inde où le héros Melmoth rencontre une jeune femme, Immalie, dans ce qui sera l’un des rares passages lumineux de l’ouvrage.
Très fouillé dans son fond comme dans sa forme, « Triade II : Hemera » nous montre un groupe toujours aussi inspiré. Cet album étant le second volet d’un triptyque, il ne fallait pas s’attendre à de grandes évolutions musicales qui plus est pour un groupe qui a trouvé sa signature sonore depuis belle lurette. Oh il se trouvera bien quelques grincheux pour dire que c’est un peu toujours la même chose mais bon… Ce sont souvent les mêmes qui s’offusquent parce qu’un groupe a trop changé et a perdu son âme.
Donc non « Hemera » ne constitue pas une révolution dans la musique d’Aara mais il n’est pas non plus une simple répétition d’ »Eos » ou des albums précédents. D’abord on y trouve des compositions plus contrastées : à bien y regarder certains passages sont probablement les plus rapides et les plus violents que le groupe a proposés jusque-là, d’autres à l’inverse sont peut-être les plus calmes. Ensuite Aara parvient toujours à glisser quelques petites nouveautés sans dénaturer son univers (des dissonances discrètes, la voix orientale évoquée un peu plus haut, l’utilisation de sonorités nouvelles dans les introductions comme la corne de shofar). Et puis enfin, tout simplement, le trio suisse maîtrise encore plus son sujet en termes de composition. Tel un alchimiste se rapprochant de la formule de la pierre philosophale, Aara continue d’avancer par petites touches sur la voie de l’excellence.
Tracklist :
1 Phantasmagorie (8:05)
2 Adonia’s Elegiere (6:33)
3 Sonne der Nacht (6:15)
4 Das Dunkel der Welt (6:11)
5 Strepus Mundi (8:04)
6 Mitgift (6:35)
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Chronique de « Triade I : Eos«
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