Acédia – Fracture

Le 23 décembre 2022 posté par Metalfreak

Line-up sur cet Album


  • Pascal Landry - Basse, guitare, chant
  • Marc-André Bérubé - Guitare
  • Cadavre - Batterie

Style:

Black Metal Progressif

Date de sortie:

07 octobre 2022

Label:

Les Acteurs de l'Ombre Productions

Note du SoilChroniqueur (Quantum) : 8.75/10

« Le plaisir, c’est découvrir avec stupeur le désir perdu corps et bien, la détumescence, l’inexicitabilité, dégoût, langueur, acédie, gêne, sommeil. » Pascal Quignard

De nouveau confronté à la misère catholique, je m’en vais vous conter une anecdote qui m’est arrivée, il y a peu, au boulot. Comme vous le savez probablement, je suis infirmier et suis amené parfois à prendre en charge des personnes ayant des croyances suffisamment ancrées pour compliquer quelque peu les prises en soins, c’est le cas de le dire. Récemment, j’ai reçu en entretien familial avec le médecin psychiatre le père et la mère d’une patiente, jeune fille ayant fugué et ayant décompensé un trouble dépressif majeur en lien notamment avec un environnement familial rude, très centré sur la religion catholique et le principe du purgatoire, de la souffrance nécessaire pour le Paradis. Enfin, je schématise mais vous voyez l’idée. Les parents ont été totalement opposés aux soins prodigués pourtant depuis trois semaines et qui portaient leurs fruits. Au lieu de voir la nette amélioration de l’état psychique de leur fille qui, par-dessus le marché, est majeure, ils n’ont vu que l’aspect contraire. Je ne vous parle pas des détails rocambolesques que le psychiatre et moi-même avons encaissés ce jour-là, notamment sur le nombre de péchés que nous avions amorcés en tentant de sauver de certaines idéations suicidaires leur fille, mais bon. Le discours religieux, même si je lui trouve une énorme hypocrisie, surtout dans les temps modernes, je le respecte. Vraiment. Mais quand j’entends des absurdités pareilles et qui entravent ce qui me tient le plus à cœur dans la vie, à savoir la santé des gens, cela m’exaspère. Pas étonnant que les apostasies et autres joyeusetés pas tellement catholiques fleurissent de nos jours ! Non mais, sans rire. Et sans tomber dans le cliché du metalleux anticlérical, vous ne trouvez pas qu’il y a un énorme archaïsme latent dans la religion ? Au nom de quelle croyance l’on mettrait la vie de quelqu’un en danger ? Toutes ces questions que notre société refuse de poser, au nom de je-ne-sais quelle tolérance. Moi, cela m’exaspère terriblement. Voilà. Je voulais vous exposer mon coup de gueule du soir, car le groupe que je m’apprête à chroniquer et pour lequel je suis tout apprêté moi-même (non je blague, je suis en tenue relax) porte un nom bien équivalent. L’acédie est selon Wikipédia « Dans la théologie catholique, une affection spirituelle qui atteint principalement les moines et qui se manifeste par l’ennui, le dégoût de la prière et le découragement. » Voilà de belles paroles! Et c’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai opté pour Acédia et son album nommé Fracture!

Mais évidemment, l’une des raisons pour lesquelles j’ai également choisi Acédia intervient en lien avec le label Les Acteurs de l’Ombre Productions. En tout cas, contrairement à ce que l’on pourrait croire, Acédia n’est pas un groupe français au sens où on l’entend. Il s’agit d’un groupe en provenance du Canada et la province que l’on aime tous, le Québec. J’en profite au passage pour saluer mon frère Guillaume qui vit là-bas et qui lit mes chroniques ! Le Québec qui est bien connu pour son vivier de groupes très talentueux, dont j’ai eu moi-même l’immense plaisir d’en faire des chroniques, ou tout simplement de les découvrir. Le groupe résidant dans la ville éponyme, il existe surtout depuis 2011 ce qui commence à faire pas mal d’années. Et pourtant ! Le groupe ne dispose que d’une discographie un peu famélique, avec simplement trois albums en comptant ce dernier Fracture. Ce que j’ai remarqué en farfouillant, c’est que le groupe est composé de deux membres de Cantique Lépreux dont j’ai eu le grand bonheur de faire deux chroniques ! Le monde est petit, et je sais que la scène québécoise en Black Metal est très fournie, il va donc de soi que l’on retrouve un peu les mêmes musiciens. En tout cas, sept années séparent l’avant-dernier album et celui-ci. J’espère que ces sept années ont été profitables au groupe Acédia, surtout au vu de leur présence sur le roster de cet incroyable label.

Pochette ô combien surprenante pour ce troisième album. L’idée d’une fracture est toujours un peu surprenante, et douée de plusieurs symboliques, et je dois dire que l’illustrer avec cette perspective visuelle est bien étonnante. Je suppose que la photographie est un lieu bien existant, et que ce pont est plutôt beau si on reste objectif. Après, la retouche photo donne un côté vintage surprenant aussi, quand on se doute que cette photo est récente, et j’aime bien la retouche image. Après, même si les photographies de promotion m’ont un peu plus éclairé sur le décorum général, soit un apport très industriel avec des usines, et ce fameux pont qui présente selon les angles des graffitis, je pense qu’Acédia a voulu se mouvoir sur la froideur manifeste de ce genre de constructions modernes, et qui représentent potentiellement la froideur de notre monde moderne en général. Qui dit froideur rappelle le Black Metal, donc l’idée est intéressante ! Et suit la même trame que beaucoup de groupes actuels, dans ce genre musical particulièrement extrême, suivent, en alliant le côté Old school et historique de ce genre de musique avec un contexte de modernité qui finalement est vu sous son pire angle. Après, je ne comprends pas tellement en quoi l’image relate une probable fracture. Peut-être est-ce en lien avec cette modernité décourageante et froide, et la condition humaine de plus en plus assujettie et insipide… Enfin, je n’ai pas grand-chose à dire sur la pochette. Elle est objectivement très belle, mais n’apporte pas tellement de décryptage pour entrer pleinement dans l’album. C’est un peu le souci des sorties actuelles je trouve, cette absence d’originalité. Mais bon…
NB : j’ai vite changé d’avis plus bas, une fois qu’on comprend la musique, on comprend la pochette. Mea maxima culpa.

NB 2 : mon petit doigt m’a susurré que Fracture pourrait être également le nom de la police de caractère du nom de l’album. Et mon petit doigt s’appelle tantôt Mémé Migou, tantôt Le Marquis Arthur qui ont été kamikaze au point de lire ma chronique en entier, et ensuite d’y réfléchir dessus. Vous voyez que cela communique chez Soil Chronicles? On s’entre-aide mutuellement!

Pour ce qui est de la musique, difficile de faire plus équivoque selon moi. Tous les ingrédients sont réunis pour aller sur un Black Metal moderne, qui reprend toutefois les codes qui lui siéent le mieux. A savoir une musique très linéaire, avec un bon paquet de blast beats et de mid tempos, le tout avec des guitares très froides, très peu enrobées mais laissant la part belle à quelques mélodies et harmoniques superbes, vraiment. La basse est très présente à ma grande surprise, car il est rare de l’entendre avec autant de place dans ce Black Metal actuel qui joue la carte, à juste titre, d’un son nasillard et tranchant, mais dans le cas d’Acédia, la basse joue un rôle important d’apport léger, mais apport quand-même, d’une touche un peu épaisse dans le son et d’accompagnement de cette batterie qui envoie du lourd tout le temps ! Après, ce serait réducteur de s’arrêter sur ce constat de facilité, tant le Black Metal est très mélodique, voire même un peu progressif sur les bords. Les riffs sont très variés, jouent sur une certaine déstructuration rythmique qui fait penser à une sorte de Black Metal avant-gardiste ou progressif, qui me rappelle par moment un groupe comme Emperor, ou à échelle modeste Cantique Lépreux, qui partage le même compositeur.
En fait, la musique est surprenante de prime abord puisque l’ensemble instrumental est modeste et jouit d’une sonorité classique pour ce style, mais la musique est complètement déstructurée, varie ses riffs pratiquement toutes les dix secondes, ce qui permet de ne pas installer l’auditeur trop vite dans un confort. Et on sent qu’il y a un gros distinguo entre les deux guitares, l’une étant clairement lead en parant les compositions de passages très aigus et mélodiques, l’autre étant sur un jeu d’harmoniques qui procurent une ambiance générale très prenante. Ce qui amène les pistes à se perdre dans des apports multiples et variés, en particulier dans la rythmique générale qui alterne entre des moments reconnaissables comme je l’ai mentionné plus haut, soit en mid tempo, et des moments où la batterie se fond dans un élan presque jazzy ou progressif qui est excellent. L’album n’a pas besoin de beaucoup pour captiver son auditoire, et c’est tout le talent des québécois d’Acédia qui, avec Fracture, amènent une musique complexe, un Black Metal qui se veut profondément chamboulé dans ses fondations Old school par des considérations rythmiques et mélodiques qui frôlent le chaos sonore, et qui perd l’auditeur dans son illogisme et ses secousses.
Franchement, cet album est excellent de bout en bout ! Je ne m’étais encore jamais frotté à un album de Black Metal progressif aussi excellent, c’est même une des premières fois où le genre progressif me fait autant bander ! Quelle découverte ébouriffante !

La particularité notable de ce Fracture est de se parer d’une production très moderne, dans une approche sonore mécanique et sans réelle composante organique. Je veux dire par là que si vous recherchiez un album plutôt Old school, pour ne pas dire carrément Raw, il vous faudra soit vous armer d’une ouverture d’esprit béante, soit passer votre chemin. Car Acédia joue la carte maîtresse et contestable, c’est selon, d’un son très moderne. L’ensemble sonne très carré, propre, épuré de toute impureté sonore et donc sonne peut-être un poil trop mécanique pour moi. Mais ce n’est que mon avis. Je retrouvais ce procédé sur le dernier Cantique Lépreux. Ici, étant donné les riffs rappelant clairement certains albums d’Emperor dans une approche mélodico-progressive, voire technique, on croirait vraiment entendre un album d’Emperor revisité à la sauce années 2020. Un Emperor 2.0 quoi. La batterie sonne très bien, les guitares aussi avec comme je disais un point d’honneur à discerner la guitare lead de la guitare rythmique qui est frappante tant la lead occupe un champ sonore plus important que sa collègue rythmique. La basse est très présente aussi, ce qui me fait énormément plaisir tant j’adore entendre la basse dans un album de Black Metal. On ne dirait pas, par habitude, mais la basse peut avoir un rôle prépondérant dans le Black Metal, dans un apport sonore plus épais ou dans un registre mélodique en addition. Vous avez un plus certain quand on entend bien la basse. Et le chant reste quant à lui à une place modeste, probablement qui mériterait un poil plus de place. Mais ce n’est que mon opinion là encore. Cela n’enlève en rien qu’en fait, la production est juste un peu trop moderne. La qualité est totalement au rendez-vous, franchement le son est impeccable. Mais mériterait un soupçon d’authenticité supplémentaire, histoire de ne pas gâcher de trop ce qui a toujours fait la richesse et la splendeur de ce style extrême : la sincérité.

C’est en développant mon argumentaire sur cette production ultra mécanique que j’ai finalement compris ce qui me semble être le fil conducteur de cet album. Acédia a planté un décor photographique très industriel, pour ne pas dire « moderne ». La modernité est clairement la victime de cette diatribe musicale propre et sans bavure, qui déverse un torrent de malsanité et de noirceur associées à la froideur du métal et du béton, enfin de toutes ces choses qui finalement font le monde moderne. Et je crois que c’est la grande force des québécois que d’orienter l’habituelle noirceur du Black Metal dans sa sphère démoniaque sur une planète moins explorée, ou faite par des groupes plus modestes comme Aborym par exemple : le côté envahisseur de la modernité humaine. Et cela, je crois que c’est une des plus belles choses que j’ai vues dans un album Black Metal depuis With No Human Intervention d’Aborym par exemple. En fait, plutôt que de reprendre cette vieille recette tantôt insipide de ce qui faisait la gloire méritée du Black Metal des années précédentes, des groupes comme Acédia assènent un vrai camouflet à cette époque révolue pour orienter la décadence et la honte humaine dans sa soif de conquête métallique et industrielle. Si cela, ce n’est pas un coup de génie ! Moi en tout cas, j’adore. Et je comprends parfaitement la démarche artistique de faire une musique Black Metal Progressive pour son approche chaotique et déroutante, sa sonorisation mécanique au possible pour aller sur une absence d’authenticité humaine et presque sur un aspect robotique, et ce mélange donne Fracture. Une Fracture assurément géniale et grandiose ! Quelle approche musicale intelligente. Au-delà du grand talent pour aller sur un Black Metal Progressif aussi abouti, il faut aussi une sacrée abnégation pour accoucher d’un album aussi réussi conceptuellement parlant. Bravo tout le monde ! Chapeau bas !

Seul regret notable pour moi sur cet album, c’est le placement du chant. Sur la technique de chant, je n’ai pas grand-chose à redire tant ce dernier est sur un high scream plus retenu mais terriblement efficace, pas plus sur l’articulation. Mais je trouve le placement difficilement appréciable. Je comprends tout à fait que caler des pistes de chant sur un Black Metal progressif relève d’un travail colossal et pour un résultat non garanti, et cela enlève un poids de culpabilité certain. Mais quand même… Le rendre aussi faiblard en n’allant pas sur des rythmes de chant un peu plus soutenu que des phrases courtes dites à la sauvette, et une présence aussi reculée sur le mixage… C’est vraiment dommage. Franchement, il faut le dire si le chant est le cadet de vos soucis les copains. Mais là, pour moi, cela relève d’une faute grossière parce que je suis certain qu’avec plus de rythme et plus de présence, vous auriez pondu des lignes de chant redoutables, surtout avec cette technique vocale et les petites retouches studio qui le raccordent au style moderne du Black Metal. Non là, je ne valide pas. Désolé.

Voilà donc le moment de la conclusion. Acédia sort ce troisième album nommé Fracture chez Les Acteurs de l’Ombre Productions. Sept années se sont écoulées depuis la sortie de l’avant-dernier, et je dois dire que ce nouvel album marque une sacrée avancée vers la perfection. D’abord en allant sur un Black Metal Progressif quasiment invincible dans sa conception, une pièce musicale complexe mais extrêmement solide, et surtout, SURTOUT, moderne. Car c’est bien selon moi le maître mot de ce Fracture : un pamphlet retentissant sur les ravages de la modernité humaine, et toute la connerie qui en découle qu’on commence à (enfin) (re)connaître, dans ce marasme métallique et bétonné complètement froid et incisif. Et comme le tout est en parfaite corrélation avec le style froid et incisif du Black Metal, vous ajoutez une sonorisation très moderne et vous avez un album complètement solide sur ses bases, cohérent et riche. Acédia signe donc une excellente sortie, petit bémol sur le chant toutefois. Mais on ne peut pas faire parfait, autant aller vers l’excellence. Ce que les québécois ont réussi à faire ! Bravo.

Tracklist :

1. La Fosse (07:10)
2. Mont Obscur (08:05)
3. Fracture (03:10)
4. L’Art de Pourrir (07:24)
5. L’Inconnu (06:18)
6. Brûlure du Temps (07:56)

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