Line-up sur cet Album
- Léa Lotz : composition, chant
- Guests :
- Vincent Kreyder : batterie sur 1, 2, 8 et 10
- Léa Jacta Est : theremin sur 6
- Stéphane “Neige” Paut : chant additionnel et guitare sur 7
- Lonny : alto sur 11
Style:
Shoegaze / Post-Rock / Indie RockDate de sortie:
01 décembre 2023Label:
Sanit Mils RecordsNote du SoilChroniqueur (Quantum) : 9.75/10
« Sans doute l’enfance est-elle toujours un enfer, l’enfance est l’enfer même peu importe quelle enfance, elle est l’enfer. » Thomas Bernhard
On n’en parle pas beaucoup dans nos chroniques, je crois même n’en avoir jamais vu qui en faisait mention dans leurs écrits, mais pour mon introduction, j’avais très envie de vous parler d’un dossier brûlant quand on se lance dans une chronique : les dossiers presse. Vous ne l’avez pas vu venir celle-là hein ? Eh bien, pourtant, j’avais très envie d’en parler parce que pour la première fois depuis que je fais de la chronique, j’ai vu un « vrai » dossier presse ! Soit extrêmement bien documenté, bien construit, avec des références beaucoup plus intéressantes que les éternelles dithyrambes des labels qui vous font presque du placement de produit par le biais d’un proxénète. Parce que, sincèrement, des fois, il faut voir les daubes que l’on se paye en dossier presse… Entre les trucs ultra élogieux qui sonnent faux, les dossiers presse qui n’ont pratiquement aucun contenu tangible et intéressant, ceux qui sont faits avec Paint, et ceux qui sont faits avec le logiciel Bloc-Notes, je ne vous raconte pas le désespoir. Et pourtant ! Comme jusqu’à présent je n’avais pas eu LA référence ultime en la matière avant ce matin, j’étais relativement indulgent. La preuve : il m’aura fallu attendre cinq ans avant de balancer ma gerbe sur les dossiers presse. Mais franchement, ce matin, au regard de ce que j’ai découvert, il n’y a plus de doutes possibles : les dossiers presse sont largement faisables avec un budget « normal », et arrêtons de nous pourfendre en excuses diverses et en indulgences outrecuidantes. Et je ne vous parle même pas des groupes ou labels qui ne vous envoient strictement rien pour se présenter et pour lesquels il faut aller à la pêche aux informations, histoire d’être un brin professionnel. Alors, je vous vois venir ! Soil Chronicles étant un webzine bénévole, on ne devrait pas crier au loup et se contenter de ce que les groupes veulent bien nous envoyer. Je vous l’accorde, et d’une manière générale on s’en contente et on ne s’en formalise pas. Mais ! C’est inéluctable : parfois, vous tombez sur LE truc parfait qui vous fait penser autrement. Et je veux bien que l’on reste à notre place, mais quand vous avez un dossier presse autant en béton, je vous garantis que vous changez d’avis. Alors, je profite de cette introduction pompeuse pour faire passer un message (qui ne sera probablement pas lu mais on s’en fiche) : prenez le temps de vous constituer un dossier presse digne de ce nom. Balancez le plus d’informations constructives et contextuelles possibles, pour que l’on comprenne aisément vos projets et que l’on n’y adhère encore plus vite ! Je me suis rendu compte, en écrivant cette chronique, qu’un dossier presse peut rapidement changer la vision que l’on a d’un genre musical ou d’un projet. Bleu Reine fait partie de ces projets que je choisirais par audace et perte de zone de confort plus que par réel intérêt pour le style itou. Et le dossier presse illustrant Bleu Reine et son album nommé poétiquement « La Saison Fantôme » m’a complètement influencé pour la suite ! Et c’est tant mieux.
J’ai été totalement charmé par la présentation que Bleu Reine, par l’intermédiaire de sa seule capitaine à bord nommé Léa Lotz, a offert à mes yeux ébahis. C’est un projet solo existant depuis 2018, avec à la clé un premier EP sorti en 2019 nommé « Elementaire » sorti en format vinyle chez le même label, et les trois années qui ont suivi ont permis l’élaboration de ce premier album donc, appelé « La Saison Fantôme« . Du reste, réduire la présentation de ce projet français à ce constat discographique me paraissait trop discret. Je me permets donc de laisser cette musicienne de talent vous parler de son projet par cette citation directement tiré de ce dossier presse : « Il m’a permis d’explorer longuement les liens complexes entre solitude et liberté, de faire cohabiter mes inclinaisons romantiques et mon affrontement du réel ; différentes manières de résister à l’appel du vide ou de le transformer. Il doit son nom à la période qui l’a vu naître : un moment où se sont mêlées la sensation d’être traversée par différents fantômes, et la sensation d’être moi-même si égarée que j’avais fini par devenir l’un d’entre eux. « La Saison Fantôme » parle de ce point de bascule où l’on cesse peut-être d’être étranger à soi-même ; où l’on retrouve le chemin de la sortie pour s’extraire de cette “5eme saison” métaphorique, comme d’un endroit parallèle qui ne figurerait pas sur la carte. » Quand on lit cela, on ne peut que se sentir submergé. J’ai franchement adoré la lecture du dossier presse dont vous n’avez finalement qu’un petit extrait, et je dis un grand bravo à Bleu Reine pour cette présentation poétique et intimiste. Place à l’album « La Saison Fantôme » désormais !
Comme il est d’usage, je vais vous parler de la pochette. Une photographie en noir et blanc dans une vieille bâtisse dont j’ignore la provenance, mais qui me fait penser à une vieille maison abandonnée mais plutôt bien préservée. Le décor simple de cette vieille pierre permet de mettre en avant Léa Lotz qui pose dénudée, n’ayant sur elle qu’un sous-vêtement et les chaussures, assise au sol de profil dans une posture qui me fait penser à une forme de repli sur soi. De fait, cette posture ne me semble pas dénuée de sens puisque l’album est présenté en dossier presse comme une forme d’introspection de l’artiste, comme une mise à nu au final. Et cette posture assise fait penser à celle que l’on occupe quand on réfléchit, quand on a besoin de se concentrer et que l’on pense intensément. Donc j’y vois une belle représentation visuelle du principe d’introspection et d’exposition du résultat de cette dernière dans un format musical et visuel. Le décor autour rappelant par ailleurs une sorte de vide, comme pour laisser la place à l’introspection. Et j’irais même plus loin en disant que la vieille bâtisse représente idéalement pour moi le passé, sujet souvent prépondérant du bilan que l’on fait de soi-même. En fait, on pourrait échafauder tout un tas d’hypothèses avec cette photographie, on pourrait aussi y voir une métaphore de l’inconscient, ce vide avec ce sujet humain mis en avant-plan. Bref ! Tout ce qui fait qu’une photographie est amplement réussie, outre le style, c’est qu’elle fait réfléchir, parler et imaginer des potentielles théories. Voilà en quoi l’apparente simplicité de cette photographie pour illustrer « La Saison Fantôme » est en tout cas une franche réussite ! Et je ne pense pas que Bleu Reine aurait pu trouver mieux. On voit qu’il y a eu un vrai travail de réflexion autour de l’artwork de ce premier album, une vraie volonté de trouver l’image parfaite. Et de mon point de vue, la mission est largement remplie ! Excellent choix, plein de maturité.
D’emblée, à la première écoute de l’album, on prend toute la dimension intimiste et poétique de la musique de Bleu Reine. Mais difficile, comme toute œuvre poétique qui se respecte, de donner une identité propre. De fait, il me semble avoir reconnu des éléments shoegaze, post-rock et un petit versant indie rock qui pointe le bout du nez par moment, le tout baignant, et c’est le dénominateur commun de tous les styles potentiels qui abondent de l’univers superbe de « La Saison Fantôme« , dans une grande ambiance très atmosphérique. Pas nécessairement onirique comme le ferait l’indie rock d’Of Monsters and Men, ou le post-rock sauvage de Sólstafir. Il est vrai que Bleu Reine nous propose une musique qui fait manifestement la part belle à l’émotion d’abord et avant tout. L’émotion dans son sens large, nous passons en effet dans la commune émotion négative avec les doutes et le vague-à-l’âme, mais aussi des moments plus interrogatifs, de crainte, et puis peut-être aussi à peine dissimulés des instants plus positifs. Le tout vient selon moi surtout se frotter au genre shoegaze pour ce côté émotif à outrance. On retrouve par ailleurs pas mal d’éléments qui font shoegaze, cette basse omniprésente, les éléments aux claviers qui sont surtout sur des nappes de fond que de réels samples, le chant lointain accompagné quelques fois de chœurs, les lignes de guitares qui sont rythmiques mais très sonores. J’aime beaucoup la richesse instrumentale en amont qui frôlent l’étiquette électro ou -wave, mais qui me rappellent énormément le procédé post-rock avec une utilisation parfois de la guitare qui va au-delà d’une utilisation habituelle, principe du post-quelque chose par ailleurs. En fait, c’est l’une des nombreuses richesses de l’album « La Saison Fantôme » mais d’une manière générale, du genre post-rock : c’est le fait de mettre totalement au service de l’émotion les instruments, et donc de leur conférer une utilisation originale, qui sort des éternels sentiers battus et bouleverse les codes. C’est ce qui m’a toujours fasciné dans ce style de musique, alors quand en plus il est potentiellement associé aux genres indie rock et shoegaze, voire aux incorporations de musique électronique, cela donne un fantastique et merveilleux résultat. Ce qui fonctionne et vient de la contextualisation de la sortie et de la composition de « La Saison Fantôme » intervient dans les années nécessaires pour l’avoir mis au monde. Trois années pendant lesquelles on sent que Bleu Reine a maturé sa musique, n’a pas cherché à faire vite pour satisfaire quelqu’un d’autre qu’elle-même, mais a permis l’éclosion d’un album abouti, ce qui pour une première entrée dans la cour des grands, si on exclut l’EP, est une belle prouesse ! Non, franchement, la première écoute m’a totalement conquis. Une musique en première écoute bouleversante à bien des égards, avec une vraie recherche de retranscription des émotions qui font les fondations de l’introspection. Franchement, l’album est d’une complétude bluffante, c’est magnifique !
Un album ne peut se targuer d’être complet dans son processus composal que s’il se pare d’une production adéquate. C’est le cas ici. Bleu Reine, outre l’extrême maturité de sa musique, nous propose un son harmonieux au possible, ce qui n’était pas chose aisée par la richesse instrumentale et la complexité de sa musique qui n’ennuie jamais. J’ai eu au début un moment un peu de doute quand-même car sur la première piste, je trouvais la basse trop forte, et le chant était un peu trop noyé. Mais après, c’était du petit lait. Je ne sais pas s’il s’agit d’une maladresse ou de mon support d’écoute, mais hormis ce premier morceau, le reste est impeccable. En fait, cela rejoint le but de nous faire vivre les émotions de son autrice, et il fallait pour cela que la production suive. Nous avons donc un son superbe, très atmosphérique, très aérien et léger, il n’y a guère de brutalité ou de moments très agressifs dans cette musique. Il peut y avoir en revanche des soubresauts un peu plus rapides, mais le tout demeure très planant et apaisant. Je trouve par ailleurs que la complexité de la compostion suit celle de la production à la perfection, puisque chaque poste plante un décor différent et se dote donc d’une production non pas différente mais qui s’adapte à moitié à les émotions qui visent à être exprimées. à où une piste va avoir un élan plus sauvage, l’autre sera plus tranquille. Et vice versa. Le tout fonctionne donc en totale osmose et ce malgré les différents ingrédients qui constituent chaque piste, ce qui est une magnifique prouesse là encore. On a donc une richesse composale, mais aussi une incroyable richesse sonore, ce qui n’est pas donné à tout le monde, surtout dans le cadre d’un premier album. Chapeau bas !
En fin de compte, il m’est apparu évident que Bleu Reine usite la musique comme un outil de réflexion sur elle-même. Cela n’a rien d’évident de mettre à nu ses émotions et ses difficultés, y compris le chemin de croix que constitue son cheminement personnel. Peut-être est-ce une recherche de soutien, une volonté d’avancer via ce projet musical dans sa vie. Toujours est-il que le style proposé par « La Saison Fantôme » m’a inspiré tout un tas de ressentis différents, me faisant vivre un vrai ascenseur émotionnel. N’est-ce-pas ce que l’on attend d’un album, peu importe le style par ailleurs ? Je crois donc que ce premier concentre tout ce qu’il est nécessaire de faire retranscrire par la musique, à savoir de l’émotion, et une musique extrêmement bien composée. Tout est relatif dans le style proposé, mais j’ai tout simplement adoré vivre cette musique présente. Je n’ai pas plus à rajouter tant l’évidence de cet album abouti et magnifique saute aux yeux et aux oreilles. C’est probablement un de mes coups de cœurs de l’année.
Et je voudrais bien évidemment faire un aparté habituel sur le chant, qui est mon instrument de prédilection. Ici, nous avons donc un chant féminin en voix claire, un chant plutôt calme et apaisée, ce qui contraste avec la teneur des paroles qui sont d’ailleurs écrites en français, ce que j’adore. Un chant qui ne varie guère, qui reste sur la même doctrine, qui apaise mais qui hypnotise via cette douceur étrange, presque onirique, contrastant comme je disais avec cette introspection revendiquée qui pourrait connaître de grandes turbulences mais qui demeure calme et sereine. Je trouve au passage que cette voix claire apaisée donne une forme d’assurance à l’album « La Saison Fantôme« , comme si la chanteuse avait trouvé une sérénité, un repos comme une sorte d’aboutissement personnel qui, finalement, loin de nous tenir en haleine, nous rassure aussi. Un chant que je qualifierais d’empathique. Et cela fait un bien fou ! Pour les paroles, on reste sur des thématiques personnelles, un peu insondables via l’application de principes métaphoriques divers, mais qui sont extrêmement bien écrits et qui témoigne d’un réel talent et d’un soin très poussé. Franchement, même le chant et les textes frisent le sans-faute absolu.
Pour conclure cette chronique, Bleu Reine nous propose un album nommé « La Saison Fantôme« , sorti sur le label Sanit Mils Records. Premier album qui transpire la complexité qui est la même que celle qui émane d’une introspection longue et sinueuse. Une musique que je me risque à identifier comme étant sur la frontière tricéphale entre le shoegaze, le post-rock et l’indie rock, pour surtout accoucher de compositions chargées en émotions diverses, et qui pose sur l’auditeur non pas une chape de plomb comme c’est d’usage quand on a un album estampillé personnel, mais plutôt une sérénité. Une sérénité que notre amie Léa Lotz n’hésite pas à partager dans un cheminement personnel qui s’exprime de manière qualitative mais spontanée par la musique, et qu’il convient de prendre comme un formidable et remarquable outil d’empathie. Une musique fabuleuse, qui nous entraine dans une sérénade de sérénité et qui se veut bluffante de talent pour un premier album. Probablement un de mes coups de cœurs de cette fin d’année, à ne pas manquer ! Sous aucun prétexte.
Tracklist :
1 – Sighisoara
2 – Un Visage sur un nom
3 – Le Bal des Sabres
4 – Comme un seul homme
5 – Grenat
6 – Belle qui tiens ma vie (avec Léa Jacta Est)
7 – Pâle Lumière (avec Neige – Alcest)
8 – L’Eau qui dort
9 – Retournée
10 – Les Braises
11 – Lorelei (avec Lonny)
12 – Automne Orange
13 – Outro
Laissez un commentaire