Line-up sur cet Album
- Ulrich Wegrich : guitares, basse, batterie programmée
- Anne Wegrich : chant
Style:
Sludge / Doom MetalDate de sortie:
21 juin 2024Label:
Talheim Records GermanyNote du SoilChroniqueur (Quantum) : 9,75/10
« – Combien pèse une larme ? – Ça dépend : une larme d’enfant capricieux est plus légère que le vent, celle d’un enfant affamé est plus lourde que la terre toute entière. » Gianni Rodari
L’avantage de publier les chroniques d’un webzine, c’est qu’on a le contenu en avant-première certes, mais c’est aussi un parfait moyen de découvrir des pépites. Outre les albums décortiqués, j’ai découvert moi-même un grand nombre de beaux projets rien qu’en lisant mes consœurs et confrères. La plume, le phrasé y sont évidemment pour beaucoup, et je me remémore notamment les chroniques du boss Metalfreak, d’un genre qui n’appartient qu’à lui, subtil mélange de dialogues, de vocabulaire à la fois soutenu et à la fois grivois, voire metalleux pur dans le sens de l’emploi de termes propres à notre belle musique. De lui, je dois par exemple la découverte de projets comme Ice Ages mais aussi Metal Witch, chronique montée comme une bonne bouffe dans un restaurant entre chroniqueurs ; il y a aussi cette fantastique diatribe sur le groupe Piss on Christ qui m’aura fait me fendre la poire dans mon canapé et qui me fera aimer malgré tout le groupe parce que, rien que la pochette méritait d’orner ma discothèque personnelle. Certains et certaines qui nous ont quitté avaient au moins le mérite d’avoir aussi de belles plumes convaincantes et originales, me faisant penser que finalement, le but d’une chronique est bien de donner envie aux lecteur(e)s d’aller vers l’écoute, ou le contraire. Pour ma part, je le vois plus comme un exercice de dissection d’un album comme moi je le fais quand je penche une oreille attentive à une découverte fortuite. Le cheminement de mes chroniques gargantuesques fonctionnant en effet comme le processus que tout le monde ou presque emploie pour écouter un album, soit la pochette à regarder, puis l’écoute première, donnant les premières émotions, puis l’analyse et enfin la conclusion. Mais parmi tous les chroniqueur(e)s qui sont passé(e)s chez nous et que je regrette amèrement (désolé patron céleste et mirifique !), il y avait celles d’Arno, concises mais d’une plume remarquable, qui allaient droit au but pour vous faire aimer ou non un album. D’ailleurs, je lui dois par exemple la découverte du groupe de death metal polonais Eternal Rot dont je me sers parfois pour que ma gamine de sept ans pousse des hurlements hystériques, pour rire, dès que la voix caverneuse et gutturale du chanteur arrive. Il y en a d’autres que je pourrais citer, mais parmi tous les faits d’armes majeurs d’Arno, il y avait Blóð et l’album « Serpent« . Véritable bombe atomique dans ma tête, ce groupe a tellement résonné en moi que je les ai vus en concert à Chambéry (>> ici <<), sur la même affiche que les non moins géniaux Barus et les Lyonnais de Witchgrove à qui je rends hommage par cette citation de Bruno Masure : “Partisan du “tout à l’ego”, le mégalomane a souvent des fins de moi difficiles !” Bref ! Voici venu pour moi d’avoir l’honneur immensément sincère de faire le dernier album de Blóð nommé « Mara » en chronique. Je ne boude pas mon plaisir !
Blóð est un projet qui parlera à beaucoup d’entre vous si vous suivez comme moi la scène underground française, puisque l’un de ses créateurs n’est autre qu’Ulrich Wegrich, multi-instrumentiste et un des fondateurs d’Otargos, ancien chanteur de Regarde les Hommes Tomber. Deux groupes qui ont pignon sur rue si j’ose dire, et Otargos continue de jouer, certes plus sporadiquement qu’avant, tout en ramenant énormément de monde tant le groupe nous a marqué par le passé. Mais là cela devient intéressant est que Blóð, qui a été crée en 2018, a pour chanteuse Anne Wegrich, femme de notre fameux Ulrich. Un projet fondé sur un duo de musiciens en couple, ce n’est jamais banal car l’on sait que les émotions transfigurées ici sont souvent partagées et donc encore plus rendues vivantes ! A ce jour, Blóð en est à trois albums en comptant « Mara« , et c’est tout pour les bordelais. Largement suffisant pour aujourd’hui placer le groupe sur un formidable piédestal dans le domaine metal qu’ils exercent. On en reparlera mais il est proprement inadmissible qu’un groupe comme Blóð n’aie pas autant de reconnaissance. C’est dit, passons !
Cet album sonnait déjà comme un hommage par son nom – Mara étant également le prénom de leur fille -, il sonnera probablement aussi comme une homélie à la souffrance. Blóð n’étant pas réputé de toute manière pour faire une musique joyeuse, la pochette plante un décorum particulièrement sombre. Aux oubliettes les couleurs noires et rouges des deux premiers albums, place désormais à la traditionnelle photographie en noir et blanc ! Beaucoup de symboles dans l’artwork et l’intérieur du digipack, avec notamment cette photographie d’une femme de dos (la chanteuse Anne ?) portant ce qui ressemble à une couronne d’épine, analogie de la souffrance et du purgatoire puisque l’on se souvient que le Christ aurait porté une couronne d’épine durant son chemin de croix. L’intérieur montre plutôt des figurations plus païennes, avec cette femme portant des cornes de cerf qui font d’ailleurs un bel effet, et ce personnage étrange, ressemblant à une sorte de seigneur des bois marchant en hiver. En fait, cela rajoute une touche très forte de mysticisme dans l’univers déjà dérangeant de Blóð, et ces références d’allure paganiques ne me gênent pas le moins du monde, bien au contraire. Alors, il me sera difficile de donner une interprétation potentielle au cerf, puisque les symboles se différencient selon les croyances et que Blóð, à ma connaissance, n’en a pas parlé davantage. Mais je devine qu’il est beaucoup question du sujet de la souffrance, Gehenna étant l’un des noms de l’Enfer chez les hébreux, la reine de Hadès en référence au dieu des Enfers, etc. En tout cas, changement radical de style pour cet artwork pour l’album « Mara » qui devient tout de suite plus photographique et plus personnel, ce qui ne me déplaît pas du tout. Et puis, je trouve que cette évolution marque une forme de maturation dans le projet. Pas de maturité puisque les musiciens du projet sont largement expérimentés et je n’ai aucune leçon à donner, mais la maturation dans la mesure où l’on sent que Blóð, par le nom de son album et ces photographies magnifiques, passe à un stade supérieur dans l’avancée artistique. Très bel ouvrage en mise en bouche !
La grande force du groupe de Bordeaux est de proposer un genre de metal qui n’a absolument pas besoin de faire dans la sophistication pour fonctionner. La noirceur est tellement partie prenante dans le style doom sludge metal qu’il suffit de peu pour planter des atmosphères terrifiantes et glaçantes. C’est le cas pour Blóð, et bien évidemment pour les trois albums du groupe. Jusqu’ici, la recette demeure la même hormis cette introduction avec les chants des enfants qui amène l’auditeur vers une forme déroutante d’insouciance et de fraicheur. Le chant des enfants me fait penser à un chant japonais, sinon asiatique, mais sans savoir exactement. S’agissant de la musique du groupe, comme je le disais sans vouloir brûler les étapes, Blóð fait exactement ce qu’il a fait brillamment sur les deux précédents méfaits, à savoir un metal lent et lourd, ne se privant pas par moment de quelques accélérations bien placées, avec ce son typiquement sludge metal, boueux et arrondi, comme si le son englobait tout l’espace sonore pour nous écraser de douleurs. La musique n’est pas la plus mélodique puisque l’objectif me semble être de poser une base rythmique solide et franche, afin de laisser la place au chant qui se charge de nous conduire vers ce côté à la fois mystique et torturé qui fait la beauté suprême du groupe. J’y reviendrai. En attendant, parce que je suis très curieux et sensible de la question des enfants, lorsque j’ai entendu Anne hurler littéralement le prénom / mot « Mara » sur le morceau éponyme, je me suis retrouvé pantois, scotché et en même temps complètement glacé d’effroi. Un peu comme sur le morceau « Hécate » du précédent album qui me foutait des frissons, encore plus en concert d’ailleurs. En fait, ce que l’on peut retenir de cette première écoute se situe principalement sur les intentions de Blóð. Proposant des compositions brutes de pomme, sans fioriture particulière, misant finalement tout sur le son, les parties instrumentales lourdes au possible et un chant clair envoutant et flippant, la continuité artistique est de rigueur tout en nous amenant sur une part plus personnelle et intime de la musique. C’est la grande force de « Mara« , de nous noyer encore dans un océan de mystères et de noirceur, tout en amenant un peu plus de touche secrète pour nous ouvrir les portes des Enfers. Et franchement, c’est exceptionnellement amené. Je me suis régalé, mais en même temps, étant fanatique de leur musique, quoi de plus normal ?
Au niveau de la production, à moins d’avoir une oreille totalement experte, je n’ai pas eu le sentiment qu’elle avait profondément évoluée, mais bon. Elle était déjà complètement dingue sur les deux précédents albums, il n’y avait donc aucune raison que cela change, sauf pour changer d’orientation musicale. Mais le plus important est de parer le doom sludge d’un son lourd et pesant, oppressant même ! Ce qu’effectue Blóð à la quasi perfection, le « quasi » étant posé parce que pour moi la perfection n’existe pas, mais c’est plus pour chipoter bêtement en vérité… C’est un redoutable travail de fait en studio pour parer cet album de cette sonorité caractéristique du doom sludge metal et qui fait sa marque de fabrique. Cet ombrage terrible qui vous tombe dessus comme une chape de plomb et vous tue le moral à petit feu. On a donc ce son boueux comme on dit vulgairement dans le milieu pour le décrire, avec cette sensation de glisser sur les parties guitares et basses, et de retomber durement à chaque coup sur la batterie. La lenteur du doom metal rajoutant de la lancinance au marasme ambiant, on a l’impression que le son occupe de manière malicieuse tout l’espace sonore, sans saturer partout comme cela arrive parfois. Bref, pour faire simple, c’est du travail d’orfèvre. Il n’y a rien à redire de plus si ce n’est que c’est là encore exceptionnel.
Là où le challenge a été plus difficile revenait à essayer de percer le mystère qui plane sur ce troisième album. Les noms des morceaux, très succincts, ne laisse en fin de compte aucune possibilité de comprendre quoi que ce soit. La musique en elle-même étant, je le crois, présente pour nous perdre dans ce brouillard fondamental et même en concert, l’absence de décor sophistiqué sur scène plaide également à cette sobriété déconcertante. C’est vraiment la très très grande force de Blóð. Faire énormément avec une musique minimaliste, c’est une prouesse dont je suis hyper admiratif. Et je tiens à préciser que le mot « minimaliste » n’est absolument pas péjoratif, puisqu’il existe un style de musique minimaliste dont je suis un grand admirateur également. En tout cas, cette part de mystère transpire, conjuguée aussi à cette noirceur extraordinaire, qui prend aux tripes et plombe littéralement l’ambiance. Maintenant, je reste fixé sur l’idée que le nom de l’album revient à un hommage à leur enfant, mais ce n’est que mon hypothèse et elle sera, s’il le faut, démenti par le groupe ! Je trouve cela magnifique de dédier un album entier à son enfant, mais quand cela revient à traduire une musique aussi noire et aussi oppressante pour exprimer un amour inconditionnel comme celui que l’on porte à son enfant, comment l’interpréter ? C’est là tout le mystère que je ne résoudrai jamais, hormis sur une interview un jour peut-être. On retiendra ainsi que « Mara » est un album fabuleux, transfigurant à souhait et poétique au possible. C’est un sans-faute absolu pour le groupe bordelais me concernant et je n’ai pas fini d’avaler des couleuvres en cherchant des arguments objectifs pour dire un tout petit peu de ressentiment pour leur musique. Non ! Sincèrement, je ne comprends même pas que l’on ne mette pas plus en avant ce style de groupe, authentique, avec une vrai histoire personnelle derrière, avec un tel pedigree concernant les artistes, je ne comprendrai jamais…
Et pour aller vers la dernière étape avant la fin, une fois n’est pas coutume, je vais m’attarder sur l’instrument qui m’est le plus cher dans le metal : le chant. Dirais-je, le seul instrument organique ! D’ordinaire je ne suis pas très friand du chant féminin dans le metal, surtout dans cette époque très moderne, alambiquée au possible avec toutes les retouches que l’on connait, j’ai du mal. Mais concernant Blóð, pour la fameuse authenticité que j’ai citée plus haut, et s’agissant des différentes techniques de chant adoptées par Anne Wegrich au chant, je ne peux que tomber en pâmoison. Le chant clair, loin d’en faire des caisses, demeure sur des tonalités basses et envoutantes, avec un timbre de voix plutôt grave pour une femme ce qui est loin de me déplaire également. Quand ce dernier prend soudainement un côté plus enraillée, une voix plus « rock » ou « rauque » c’est selon, alors tout de suite il se passe des frissons dans les entrailles de l’auditeur qui ne trompent pas : on va en prendre plein la tronche. Et surtout, cette transfiguration de la douleur qui rendrait envieuse la vieille dans le film « Martyr » au travers du chant clair sur « Mara » m’a toujours complètement impressionné. Mais alors, quand notre camarade prend tout à coup sa voix saturée qui était beaucoup plus discrète par ailleurs sur les deux précédents albums, il y a une sorte de montée des émotions dans mon corps qui me met au bord de l’apoplexie. En fait, c’est simple : quand elle hurle littéralement dans une technique de chant sludge pure, je suis tétanisé d’effroi ou je deviens tout simplement fou. C’est une des rares chanteuses dans le milieu du metal underground qui me fait autant de peur quand elle part en chant saturé. C’est glaçant au possible ! Et cela fait selon moi toute la magie et tout l’aspect enférique de la musique de Blóð. Le chant est résolument THE instrument majeur de la musique présente, et même si les parties instrumentales ne donnent pas leur part aux lions, franchement rien que pour le chant Blóð est un projet absolument incroyable.
Vous l’aurez compris pour aller vers la conclusion de cette chronique, je suis tombé en profonde admiration durablement pour Blóð et son dernier album, troisième dans l’ordre de succession et nommé « Mara » ne m’aura pas fait varier d’un iota. Déjà doté d’un formidable pedigree à l’échelle du metal underground français, Ulrich et son épouse Anne ont monté un des projets de metal extrême français les plus incroyables qui soient. Proposant une base musicale résolument doom sludge metal, genre qui n’est pas facile à vendre ou proposer du fait du caractère extrême et très sombre, il n’en demeure pas moins que pour les amateurs du genre comme moi, on ne peut pas rester indifférent, ce n’est pas possible. D’abord parce que les compositions sont totalement efficaces et au service d’une noirceur qui se pare également d’un voile de mystères. Ensuite parce que le projet est monté par deux personnes qui s’aiment et qu’il y a ce partage des sentiments, qu’ils soient joyeux ou macabres, et qu’en cela l’osmose est totale ! Et enfin, parce que l’on sent qu’il y a un tel souhait de laisser l’auditeur K.O. technique, que tout l’album est un sans-faute. Les émotions sont impossibles à laisser endormies en nous à l’écoute d’un tel ouvrage, et je crois qu’il va falloir enfin que l’on reconnaisse que des projets comme Blóð ne peuvent pas rester dans l’indifférence du milieu. Et avec tout le respect que j’ai pour le label Talheim Records Germany qui est sans aucun doute un très bon label, je ne comprends pas comment un label français n’a pas pu s’intéresser un tant soit peu au groupe bordelais tellement le talent est évident… Je refuse cette fatalité, et je crois dur comme fer qu’au devant de cet album rare et exceptionnel, vous ne serez pas flegmatique. C’est un pur bijou.
Tracklist :
1. Gehenna (Intro) 05:38
2. Malignant 03:44
3. Martyr 05:12
4. Mara 04:11
5. The White Death 03:44
6. Chthonia 03:22
7. Frost 01:46
8. Covenant 04:22
9. Queen ov Hades 05:28
10. Mother of All 12:48
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