Broyeur d’Enfance – Suicide Social
Line-up sur cet Album
Zémus : tous les instruments, chant
Style:
Black Metal DépressifDate de sortie:
11 juillet 2022Label:
Acid ViciousNote du SoilChroniqueur (Quantum) : 9,5/10
« Ce bonheur est difficile à restituer en mots parce qu’il était fait d’ambiances calmes, de petits riens, de confidences entre nous, d’éclats de rire partagés, de moments à tout jamais perdus. C’est le parfum envolé de l’enfance. » Simone Veil
Vous vous souvenez que lors de ma précédente chronique pour le même groupe, j’avais parlé de l’enfance et de son rôle primordial dans le développement de l’adulte? Eh bien ce soir, j’ai envie de parler du contraire. Certains d’entre vous l’ont su puisqu’ils sont dans mes ami(e)s Facebook, j’ai perdu mon dernier grand-père d’un cancer du côlon il y a une semaine. Au-delà de l’immense vide et de l’incommensurable tristesse que cette perte me cause, je me suis surtout aperçu d’une chose que je n’avais jamais mesuré auparavant. Vous me direz, c’est complètement fou que cela ne me soit pas arrivé avant, mais je n’avais pas mesuré à quel point je lui ressemblais. Pourtant, je me suis évertué toute ma vie à penser que j’avais plus du sang maternel, très nordique dans les origines familiales (Allemagne, Hollande, Russie), alors qu’en fait, je me suis pris dans la figure que j’ai aussi des attraits sudistes (Maroc, Espagne, Italie) et cela, c’est mon grand-père paternel qui me l’a transmis.
Le côté clan, fierté aussi, et cette chaleur qui émane entre nous, je ne l’avais pas ressentie comme telle depuis un moment. C’était pour vous dire qu’on s’imagine combien notre enfance influence ce que nous sommes aujourd’hui, mais la vieillesse, l’expérience de nos aînés ne s’arrêtent pas à notre enfance. Elle continue de nous diriger toute notre vie. Et ce qui est un peu étrange, c’est qu’avec cette pause forcée pour les chroniques, vu que je n’étais pas en état, précédemment son décès, je suis allé voir un concert à Lyon des groupes FT-17 et Kanonenfieber.
Dans le genre « se servir de nos ancêtres et de leurs transmissions pour le message artistique », j’avoue que j’étais servi avant l’heure puisque les groupes traitent de la Première Guerre Mondiale. Il n’y a pas de hasard, je l’ai toujours dit, et je continuerai à le dire. En tout cas, je retiendrai de son départ que la sagesse est toujours dans les yeux et paroles de nos aïeux. Alors, même si cette chronique parle d’enfance et de ses ravages, je la dédicace à mon grand-père chéri René, qui est décédé le 29 octobre et qui va terriblement me manquer… Broyeur d’Enfance messieurs dames et son album Suicide Social.
Derrière ce projet au nom coup de poing se cache une seule et même personne : Zémus. Jeune musicien, qu’à titre personnel je connais via les réseaux sociaux, et que je connaissais surtout pour son autre projet intitulé Witchcraft Ecstasy (que je recommande chaudement d’ailleurs!), «Suicide Sentimental» constitue à ce jour son seul et unique méfait avant que « Suicide Social « ne vienne pointer le bout de son nez.
Un album sorti sous la bannière d’un label que j’affectionne toujours autant, pour une toute jeune formation dirigée par un tout jeune musicien, qui a donc vu le jour en l’an 2020. C’est étonnant cette envie de toujours créer des groupes alors qu’on a déjà, pour certains, tout un panel de projets montés et parfois en sommeil. Broyeur d’Enfance demeure donc le quatrième projet musical du nommé Zémus, avec comme je disais Witchcraft Ecstasy, un projet éponyme et Unseen Abyss. Que nous réserve donc cette nouvelle fondation? Que cache ce deuxième album au nom teinté d’énigme et de romantisme? La réponse, en lecture plus bas. Suspense!
Oui je sais, j’ai été un peu fainéant mais j’aimais bien ma présentation. La petite évolution est que Broyeur d’Enfance a produit ce nouveau méfait chez Acid Vicious, qui est un label que je recommande chaudement.
Petit changement dans l’artwork. Pour « Suicide Social« , notre ami Zémus s’est attaché les services de Macchabée Artworks, qu’à titre personnel je connais très bien et dont j’admire le travail. Mais pour cette fois, je n’ai pas tant reconnu le genre du camarade Matthias! Preuve en est que son talent est très grand, car le style ne m’était pas du tout familier. Ce décor en noir et blanc, très macabre, est déjà quelque chose que je n’avais jamais vu chez lui. Et le fait de détourner l’univers Disney comme il le fait, pour le bien de Broyeur d’Enfance, si j’étais son bébé récemment venu au monde, je me ferais du souci! Non je plaisante. J’adore la pochette, un peu dans la lignée de la précédente mais en encore plus flippante avec cette armée de Mickey assoiffés de sang.
Il y a un côté macabre et mortifère dans ces Mickey, mais je trouve aussi une profonde folie destructrice. Avec l’arbre des pendus à droite et le château enchanteresse complètement terne et à l’abandon, on dirait surtout une métaphore filée de la Folie furieuse, sinon de la dépression qui en découle. Le côté horreur va bien avec la musique, Broyeur d’Enfance ne faisant pas dans le banal dépressif, on y reviendra. En tout cas, j’ai aussi bien aimé l’intérieur du bootleg, qui est fait comme une sorte de DVD, avec « fiche technique » et « acteurs », l’idée est originale quand on voit le détournement de Disney. Et enfin, la belle photo bucolique et mélancolique, en format sepia, de Zémus qui regarde par-dessus un pont, le regard dans le vague, tout ce décorum contribue à faire du format CD que l’auteur m’a gentiment confié un vrai concentré d’émotions et, vous allez voir, un aspect horrible qui va surprendre.
Le travail autour de l’artwork est à la fois superbe dans le style et plein de sens dans le fond, et je ne peux m’empêcher de penser que derrière ce détournement d’une machine symbolique aussi puissante que Disney, il y a une volonté justement de provoquer un « suicide social ». Parce qu’en se mettant à dos ce Mickey que des générations d’enfants ont connu et connaîtront encore, on peut supposer que c’est une manière de tuer le poussin dans l’œuf. Excellent boulot!
Je parlais de dépression et de folie furieuse pour décrire la musique de Broyeur d’Enfance. En vérité, je pense avoir trouvé le terme idoine : « dépression furieuse ». Parce que le black metal proposé par Zémus est tout sauf conventionnel.
Oscillant entre des passages d’une brutalité incroyable et des moments beaucoup plus mélodiques, en adéquation totale avec le terme « dépressif » qui revient souvent pour décrire sa musique, utilisant des passages en clean, des moments au piano ou même des samples pour remettre des ambiances mortuaires et d’une tristesse rare, « Suicide Social » n’est indubitablement pas un album de black metal comme les autres. Il faut aimer cette production que certains trouveraient hasardeuse, mais qui n’est en fait que le reflet de la saleté qui émane d’une dépression carabinée, et qui procure à l’auditeur un sentiment mélangé de malaise et d’émotion.
Pour le reste, on est sur un black metal très old school, avec une base instrumentale classique et avec une alternance intelligente de moments mélodiques et de moments linéaires très froids et incisifs. Mais attention! Car réduire l’album de Broyeur d’Enfance à ce constat simpliste serait une insulte, tant l’apparence old school cache en vérité un énorme boulot de réflexion sur la composition pour atteindre une sorte de seuil infranchissable dans l’explosition émotionnelle. De fait la grande force de cet album, outre son élévation permanente dans l’émotion, demeure le travail autour de la composition. Je rappelle que Zémus mène sa barque strictement tout seul hormis pour la production, et cela se sent. La musique est pensée pour fonctionner comme le reflet de ses états d’âme qui, je n’en doute pas, sont authentiques et donc doublement flippants quand on cerne un minimum ce qu’il y a autour. La musique est donc varié dans les riffs, avec un black metal qui se veut incorporé avec des samples, claviers, et j’en passe.
Mais là où la subtilité composable demeure avec une véritable recherche d’esthétique dans la construction des pistes, et dans la suite logique de l’album « Suicide Social« , c’est aussi et surtout dans ce côté raw dans lequel transparait une incroyable sincérité. Il ne cherche pas à éblouir, sinon à s’exprimer et se mettre à nu et quoi de mieux que de faire un travail de désophistication sonore?
En tout cas, je me suis régalé à la première écoute. Honnêtement, le deuxième morceau m’a fait un effet plutôt contraire avec cette guitare lead trop en avant dans le mixage, mais le reste de l’album est dans la même veine que son prédécesseur. Et outre la suite logique d’une saga de noirceur faite de black metal raw et dépressif annoncée, c’est la grande force de l’album!
Mention spéciale à Christine Chubbuck et son suicide en direct à la télévision en 1974.
Pour la production donc, j’ai un peu annoncé la couleur en parlant de raw. Il est vrai que si vous êtes à la recherche de la super production black metal fadasse qui se fait actuellement dans les labels mainstreams, il vaut mieux que vous passiez votre chemin. Parce que Broyeur d’Enfance n’a pas pour vocation de faire du mainstream, et encore moins des concessions pour plaire.
La musique est donc dans une verve « garage », avec un son étrange, fait avec les guitares bien mises en avant, mais des samples ou des jeux de claviers qui paraissent lointains. Une batterie programmée probablement mais la qualité est bluffante je trouve, comparée à d’autres albums. A mon grand étonnement également on entend bien la basse. Alors vous allez me dire que c’est normal! Mais il faut savoir que non, dans la réalité les groupes de black metal un peu raw n’accordent pas spécialement d’importance à la basse, mais dans le cas présent j’ai été très agréablement surprise de l’entendre comme cela, prenant de temps en temps une légère place lead que mon ami Nekros de Kosmos ne renierait pas. C’est très plaisant cher ami Zémus!
Mais pour moi, le gros rapport qualité / prix si j’ose dire dans l’album « Suicide Social« , revient à aller sur les samples, le piano et les claviers qui sont dans une mouvance sonore totalement à propos. C’est très important de savoir doser efficacement ces instruments moins saturés dans un mixage aussi raw, et je trouve que Broyeur d’Enfance a toujours su faire.
Cela relève presque du génie d’ailleurs parce qu’on n’a pas de dissonance particulière entre les passages Metal et ces fameux instruments. L’ensemble est très harmonieux. L’adage disait qu’on peut toujours faire du beau avec du sale, ce n’est pas monsieur Weirdo qui dira le contraire avec ses bougies au caca! Mais quoiqu’il en soit, cet album est clairement une pièce maitresse de production raw. Typiquement ce que je recherche et « Suicide Social » mérite les louanges que je lis sur Internet depuis sa sortie.
Si je devais apporter une comparaison supplémentaire à « Suicide Social », c’est que selon moi, il a une approche similaire à un roman. On vit l’histoire tumultueuse, sous fond d’alcool, de vague-à-l ‘âme et de pulsions archaïques d’autodestruction, d’un personnage qui, comme le précédent opus, était en proie à une descente dans la folie. La musique est donc dans une mouvance très intimiste.
Maintenant, toute la difficulté est d’avoir quelque chose de captivant à raconter, et au vu des paroles de l’album, on pourrait presque douter de l’efficacité de cette histoire tumultueuse racontée par Zémus. Mais en fait, là où le talent est fort, c’est que l’album « Suicide Social » utilise des figures de style plutôt classiques, une écriture qui peut sembler simple de prime abord mais qui, mise bout à bout avec la musique, permet une harmonie bluffante. Je sais que la plupart des projets de l’acabit de Broyeur d’Enfance souffrent de quelques moqueries pour le côté manque d’esthétisme, ou que sais-je. C’est simplement que les gens n’ont rien compris.
Encore une fois, il faut parvenir à trouver la quintessence sincère qui émane d’un projet intimiste, et qui plus est dans une appartenance au raw black metal, voire au black metal dépressif comme c’est le cas ici précisément. Mais une fois cette palpation passée, vous en prenez plein les oreilles!
Je pense que cet album restera dans les futurs albums cultes que l’on se passera quand on traitera de cette belle scène black metal française, et qu’on cherchera une tranche de marasme pour accompagner nos dépressions. Car n’oublions pas que la France est le premier consommateur d’antidépresseur du monde! Alors, pourquoi ne pas jeter vos Venlafaxine et autres Citalopram pour aller écouter « Suicide Social« ? Vous ne le regretterez pas, futur album culte les ami(e)s.
Enfin, parlons du chant si vous le voulez bien. D’ailleurs, si vous ne le voulez pas c’est pareil, puisqu’on va parler du chant. Certainement là encore un gros point fort de cet album, Broyeur d’Enfance utilise un registre beaucoup plus sale et tortueux qu’un high scream très courant et très retouché. Ici, point de réel retouche hormis un effet reverb’ qui donne une profondeur et un lointain très apeurant à ce chant. De même que je pense qu’en termes de techniques de chant, notre ami Zémus a dû utiliser une quantité phénoménale de Strepsils pour enregistrer son album! Parce qu’à l’entendre s’arracher la gorge comme il fait, j’en ai très mal pour lui.
La technique n’est pas impeccable et je le prends avec beaucoup de dérision, mais en vrai, l’effet sur la musique est époustouflant. On croirait véritablement un dément, un fou furieux qui se met à vociférer tout seul chez lui, à vomir sa haine par paquet de boyaux et qui en plus trouve encore les ressources à la fin de chaque piste pour remettre une couche de démence. C’est tout le côté authentique qui ressort, et même si l’on pourrait se moquer gentiment de cette technique un peu hors norme dirons-nous, il n’en demeure pas moins que le résultat dépasse de loin ce que la plupart des chanteurs de black metal produisent aujourd’hui. Au moins, le mal en valait la chandelle! Parce que le chant est dantesque, tout simplement.
Pour conclure cette chronique, Broyeur d’Enfance signe ce deuxième album comme une suite logique du précédent opus. « Suicide Social » prend donc les rênes pour continuer dans cette musique estampillée black metal dépressif, et qui en a de larges attraits! Plus encore, cette musique pleine de souffrance, de torture morale et de folie amène l’auditeur dans un état de mal-être important, si tant est que ce dernier soit doué d’un minimum d’empathie, l’effet est immédiat et durable.
Un black metal qui oscille habilement entre le mélodique et le bestial, avec un soin tout particulier apporté à la production pour un résultat raw et désespérant au possible. Une sorte d’ode à la saleté qui conduit à la beauté poétique, cet opus sent bon ce que j’appelle la « dépression furieuse ».
Un album incontournable pour tous les amateurs de sensations malaisantes et de ramages souffreteux. Un bijou!
Tracklist :
1. De retour dans le broyeur… 01:05
2. Liberté, egalité & suicide assisté 08:53
3. Zémus ou les 365 jours d’ivresse 05:25
4. Funérailles de ma blonde 02:03
5. Les larmes de Christine 06:59
6. Amis de la mélancolie 07:52
7. Mourir sur Seine (Ode à la solitude) 01:30
8. Suicide social 07:49
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