Line-up sur cet Album
- Nogh : guitares, chants, claviers, programmation, instruments folkloriques, luth baroque, tzouras, oud, psaltérion
- Carol : basse, chants, violoncelle flûte
Style:
Dark Metal FolkloriqueDate de sortie:
26 mars 2021Label:
AutoproductionNote du SoilChroniqueur (Quantum) : 9.5/10
« Un petit animal gris au museau pointu, longue queue, courtes pattes, était sorti d’entre deux planches disjointes. Personne ici ne savait encore qui il était. Un deuxième le suivit. Un troisième, un quatrième. Une légion de rats venus d’ailleurs se répandit dans le pays. » Les frères Grimm
Ce que je trouve « marrant » (ce mot devenu à la mode et qui désigne à peu près tous les états d’âme possible) à la longue, c’est le poids des contes et légendes sur notre vie d’adulte. On mésestime grandement le pouvoir des histoires, et autres contes, dans le développement psychologique de l’enfant jusqu’à l’âge adulte. J’ai en mémoire les nombreuses interdictions que mes parents me faisaient étant petit, notamment de ne pas regarder… Les Power Rangers et Dragon Ball Z. Bon, je vous l’accorde, on tombe probablement dans des extrêmes avec mon anamnèse! Mais ce que je veux dire, c’est que, vous interrogez n’importe quelle génération, il y a toujours des légendes qui marquent plus que d’autres. Mon exemple le plus frappant est un livre que j’ai trouvé un jour en rangeant des affaires à mon grand-père. Ce livre avait été écrit du temps de mon arrière-arrière-grand-mère Victorine, qui racontait comment le loup dont parlaient ses parents le soir lui faisait peur, seule dans sa chambre dans la maison familiale des hauts plateaux d’Ardèche. Sans compter la chronique que j’ai faite récemment du groupe Carcolh, qui tient son nom de la légende d’un escargot géant mangeur d’hommes. On s’aperçoit facilement que malgré notre vie bien rangée et bien monotone, il y a un impact sous-jacent, une fissure endormie dans notre barrage subconscient qui rompt légèrement et qui nous rappelle nos traumatismes d’enfance, notamment autour de ces contes si macabres et de ces légendes si dérangeantes. Bon, je vous ennuie sûrement avec mes introductions bizarres, mais tout cela pour dire que, maintenant qu’à l’aube passée de mes trente ans, je baigne de manière assidue dans le milieu artistique, je me rends compte du poids terrible de ces légendes. Et je ne suis pas vraiment étonné de découvrir un groupe qui parle dans son deuxième album Hameln, du conte bien connu du Joueur de Flûte de Hamelin! Ce groupe s’appelle Death of a Dryad, et va m’offrir un belle surprise, digne de mes yeux d’enfants devant un livre Disney (un peu ceux de ma fille désormais).
Derrière ce nom très mythologique et un peu triste (les dryades étant des nymphes représentant les arbres), Death of a Dryad est un duo de musicien crée en 2008 à Lyon, duo de multi-instrumentalistes se mettant donc au service du metal mais pas que! Le groupe en est à « simplement » deux albums avec ce dernier à paraître, le premier se nommant éponymement et étant sorti en 2014. Sept ans auront donc passé avant de voir un deuxième album parvenir à nos esgourdes, un bel évènement. D’autant que ce deuxième album parle donc d’une légende allemande très connue et surtout très reprise pour les lectures d’enfants : le Joueur de Flûte de Hamelin. Hamelin est une ville allemande bien réelle, qui aurait connu le 26 juin 1284 une incroyable invasion de rats. Tous les remèdes possibles à l’époque avaient été tentés, et seul le jeu mélodieux d’un inconnu joueur de flûte aurait permis d’en libérer la ville. La promesse des habitants était une prime de mille écus que les habitants ne tinrent finalement pas et ces derniers chassèrent le joueur de flûte par lapidation. Une nuit paisible, le joueur revint en ville et jouant de sa flûte enchanteresse, embarqua les enfants de la ville au même endroit où précédemment il avait conduit les rats pour les tuer… Les habitants ne revirent jamais leurs enfants. Ainsi s’achève la légende du Joueur de Flûte de Hamelin. Un conte particulièrement sombre, et l’on a tous lu des histoires du même acabit. Ma curiosité me pousse fortement à me demander comment Death of a Dryad a pu faire pour retranscrire ce conte incroyablement noir dans sa musique. La réponse, plus bas! A noter que le duo de musiciens Nogh et Carol sont les fondateurs du groupe lyonnais Mind Imperium, que je connais bien.
Et sans suspense, la pochette de ce deuxième album annonce la couleur! Enfin, façon de parler. Puisque l’artwork est dessiné selon le style crayon à papier, donc en nuance de gris. Un truc très à la mode mais qui, je dois le reconnaître, fait ici son plus bel effet. Cet amoncellement de rats qui semblent se diriger anarchiquement vers la même direction, comme s’ils étaient attirés et hypnotisés par la mélodie envoutante de la flûte, je trouve que cela donne une perspective de mouvement intéressante. Loin de figer l’image comme une photographie, le style de dessin de l’artwork donne l’impression que les rats bougent. C’est très étonnant! Je note aussi qu’un duo de rats semble moins pressé, et contemplent la scène comme deux spectateurs de leur propre sort. Est-ce une volonté de rendre hommage au duo de musiciens qui forment Death of a Dryad et une métaphore de leur destin artistique? Je ne sais pas mais je trouve l’idée curieuse. Pour le derrière de l’album, on a une vraie représentation du joueur de flûte mais sur un versant plus fou! On dirait un peu la Mort, ou un personnage souffrant d’une maladie psychiatrique qui s’amuse à sautiller en jouant de la flûte. Là, je trouve le choix beaucoup moins judicieux parce que pour moi, le joueur de flûte doit être calme, pondéré et maitre de la situation. Et ce dessin me fait sincèrement penser à un détraqué qui loin de réfléchir, va à vau-l’eau et ne maitrise rien. Après, je souligne que c’est sûrement une volonté du duo de proposer un autre regard sur la légende, et je respecte cela. En tout cas, l’imagerie en elle-même est très macabre et j’aime beaucoup, mais j’aurais préféré une représentation plus fidèle, plus romancée. Mais ce n’est que mon point de vue. Le style d’écriture va étonnamment bien avec le style du logo du groupe, et confère à l’ensemble un regard autre que le côté médiéval de la légende. Je chipote toujours un peu, l’artwork est très joli en tout cas, j’aime vraiment beaucoup!
Et alors la musique… Bons Dieux de bons Dieux, qu’est-ce que c’est bon! La première écoute se déroule comme l’on lit une histoire, c’est exactement cela. Je trouve que la grande puissance de cet album est de clairement fonctionner comme un livre musical : l’histoire se défile comme un jeu de vielle à roue, fluide et mélodique à la fois, d’une grande puissance émotionnelle. Je trouve toutefois très réducteur l’étiquette de dark metal atmosphérique pour définir la musique de Death of a Dryad. La musique est surtout un formidable assemblage de plusieurs genres comme de l’instrumental, du folklorique, du médiéval voire même de l’industriel. Et surtout, SURTOUT, la musique metal, contrairement à d’habitude, se met totalement au service des samples, et ça je trouve que c’est extraordinaire. Les instruments metal ne sont pas sophistiqués, ils sont simplement un accompagnement rythmique et je trouve que cette tournure composale est particulièrement intéressante. D’ailleurs, il n’y a pas de batterie, juste une programmation rythmique samplée et extrêmement variée. Les instruments folkloriques sont légion avec une flûte bien sûr, un luth baroque, un oud, un tzouras, un psaltérion, un violoncelle et puis certainement une guitare classique. Pour les instruments saturés, on retrouve tout de même une basse et des guitares, les chants aussi sont quelques fois saturés. Ce formidable ensemble instrumentale offre donc des morceaux changeants, très variables dans l’intensité et dans le décorum général, et confère à cet album une écoute vraiment folle. J’ai littéralement adoré la première écoute, je me suis régalé comme quand je regarde un film ou lit un livre, il faut prendre cet album ainsi et savourer l’instant d’écoute. Je tâcherai de détailler un peu plus les compositions plus bas, mais il faut retenir que la première écoute est totalement validée!
La production est juste affolante. Il y a un travail de forçat qui a dû être fait en studio, je ne vous en parle même pas! La grande variabilité instrumentale et dans les riffs font que la production est sublime. Il faut parvenir à assembler chaque passage entre eux, alors que certains sont purement clean, d’autres en saturés, d’autres encore atmosphériques purs, bref. C’est un immense boulot de fait, et le résultat est incroyablement bien réussi. On a de tout! L’album est totalement riche de ses différents assemblages sonores, et c’est probablement l’un de ces points forts. Je ne sais pas exactement qui a accompli ce boulot de malade, mais je lui tire allègrement mon chapeau et lui prie de recevoir, au-delà de mes salutations distinguées, mon plus grand respect. Quel boulot!
J’expliquais qu’il était difficile d’étiqueter avec précision la musique de Death of a Dryad, pour la raison évidente que les compositions, et l’immense intelligence du cortex qui leur a donné la vie, permet de faire en sorte que la musique de Hameln balaie large et fait fi des conventions. Je pense que de loin, cet album est l’un des plus audacieux et des plus anticonstitutionnels qui m’aient été donné de découvrir. Comme je disais, les instruments metal se mettent au service d’un autre ensemble instrumental beaucoup plus élaboré, jonglant astucieusement entre des ambiances médiévales, des annotations atmosphériques et de rares instants un peu plus agressifs où les cordes pincées reprennent le dessus. J’ai particulièrement apprécié le dossier presse du groupe, qui explique avec luxe de détails chaque morceau, pour bien appuyer le fait que cet album soit une vraie histoire. Du coup, cela permet de contextualiser chaque piste, et de bien comprendre les multiples variations et expérimentations de Death of a Dryad. On sait par exemple que le premier morceau est celui où le flûtiste débarrasse la ville des rats, le deuxième est la période des festivités, etc. Je trouve d’ailleurs que le groupe réussit à condenser en six morceaux (le sixième étant une reprise de Project Pitchwork, groupe de dark wave allemand), toute l’histoire et en ériger une morale très pessimiste sur la condition humaine, rendant tout son statut philosophique à cette légende qu’est celle du Joueur de Flûte de Hamelin. Vraiment, je suis épaté par la construction littéraire et logique de cet album, probablement l’un des plus élaborés que j’ai eu à écouter.
Je trouve surtout que l’autre point fort à mettre en avant, et qu’on a tendance à oublier, c’est le talent du duo. On a le sentiment qu’ils fonctionnent un peu comme un (vieux) couple, qui se trouve facilement et sont en totale osmose sur la direction artistique à tenir. Du coup, la première chose que l’on a, qu’une question de feeling d’ailleurs, c’est la symbiose quasiment parfaite qui accouche de cet album, et qui montre toute la force de ce duo pour trouver des compromis suffisants et aller sur le même sentier. Ensuite, l’aspect multi-instrumentaliste des deux musiciens est prépondérant dans la richesse artistique de l’album. La capacité de proposer plusieurs instruments avec une telle maitrise pour chacun d’entre eux, même si la plupart sont de la même famille, permet d’affirmer que Hameln est un album extrêmement foisonnant de secrets et de découvertes. J’adore le fait que les musiciens jouissent de leur talent pour affiner la palette instrumentale et ainsi approfondir leur musique jusqu’à des options complètes. En gros, les musiciens sont juste énormes en termes de talent, et je suis épaté par le résultat final. Un groupe en duo très prometteur en tout cas pour la suite, j’espère que les futurs albums seront aussi riches.
Et pour terminer cette éloge totale de l’album, je m’attarde comme je fais d’habitude sur le chant, enfin LES chants. Là encore, tout est pensé comme une histoire avec une majorité de passages narrés, légèrement chantés en clair pour la voix masculine, mais avec une base de voix posée et gutturale comme pourrait le faire un Tom Warrior dans Triptykon, entre le chuchotement et la voix saturée. Une technique que j’affectionne particulièrement et qui me fait énormément d’effet sur l’album Hameln. La présence de petits passages en chant saturé masculin rajoute méthodiquement de la tension dans les moments qu’il faut comme quand le flûtiste se venge des habitants. Et la voix féminine, ponctuelle mais importante dans ses placements, est encore une panoplie supplémentaire vers la sublimation. Les chants sont très importants dans le processus créatif, cela s’en ressent, et leur présence est ponctuée de manière intelligente là aussi, de telle sorte qu’ils ne soient ni abondants, ni absents. Le juste milieu parfait dans un ensemble instrumental parfait. Excellent!
Pour conclure, Hameln, du groupe lyonnais Death of a Dryad est le genre d’album qui ne laisse personne indifférent par son immense complexité et sa capacité incroyable à conter la légende si macabre du Joueur de Flûte de Hamelin sans dénaturer le conte, ni trop alambiquer l’ensemble narratif. Une sorte de retranscription parfaite de la légende allemande, remise à la sauce musicale, dans un assemblage instrumental d’une grande intelligence. Résultat, l’album, qui n’est on le rappelle que le deuxième du duo fondé par Carol et Nogh, est un des plus prometteurs et l’un des plus complexes qui m’aient été donné de découvrir. L’aspect mutli-instrumentaliste des deux acolytes et la vision musicale de cette légende allemande font que l’on revient dans les couloirs du passé et que l’on s’immisce profondément dans les peurs ancestrales qu’encore aujourd’hui, l’on perpétue pour faire peur aux enfants le soir, avant de dormir. Une oeuvre extraordinaire, pleine de poésie et de savance voire de non-savance, qui entraine l’auditeur dans un conte médiéval aussi sombre que philosophique. Un de mes coups de cœur de l’année, et les Dieux (et le groupe) savent qu’il s’est fait attendre cet album. Exceptionnel.
Tracklist :
01. Enter the Piper
02. Hameln
03. Apud Omnes Hostes
04. Moths to a Flame
05. Left to Die
06. Requiem (Project Pitchfork cover)
07. Freedom Lies
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