Line-up sur cet Album
Dee Calhoun : Chant, tous les instruments
Style:
Folk AcoustiqueDate de sortie:
10 juillet 2020Label:
Argonauta RecordsNote du SoilChroniqueur (Quantum) : 9.5/10
“Si le monde explose, la dernière voix audible sera celle d’un expert disant que la chose est impossible.” Peter Ustinov
Ce que je préfère le plus dans la musique dépasse quelquefois le soin que l’on peut apporter à sa technique et son ouvrage. Je pense que nous avons tous des artistes que nous apprécions, non pas parce qu’ils sont bons techniquement, mais parce qu’ils sont doués, ou mieux encore qu’ils ont le truc en plus. Le détail qui change tout. J’ai découvert récemment un musicien de cet ordre-là, que mon adorée et moutardée consœur Cassie di Carmilla m’a fait connaitre lors d’une pérégrination dans sa ville burgonde, et qui se nomme Amigo the Devil. C’est typiquement ce que je veux dire : un artiste qui pose sa voix avec généralement un accord de guitare ou de banjo, et vous avez un album exceptionnellement magnifique. Avec une voix, vous êtes au septième ciel, prêt à toucher le sommet du mont Olympe. Et des artistes comme celui-ci, j’en ai pléthore dans ma discothèque familiale! Je ne pensais pas que je toucherai de nouveau l’état de grâce avec l’album qui suit, de l’artiste Dee Calhoun et de son dernier album appelé Godless. Et pourtant, les Dieux savent que j’ai énormément de mal à m’octroyer des artistes dans un cercle fanatique. Traduction : je n’ai pratiquement aucun artiste, de quelconque horizon artistique que ce soit, dont je me considère comme réellement fan.
Pour ceux qui ignoreraient qui est Dee Calhoun, il vous suffit d’aller jeter un coup d’œil sur les groupes Iron Man et Spiral Grave pour comprendre qu’il s’agit d’un chanteur. Un vrai, si vous suivez mon raisonnement. Membre de plusieurs autres groupes américains, il est également l’auteur d’un livre qui s’appelle Tales of the Screaming and Mad et a contribué à poser sa voix pour H.P. Lovecraft Historical Society. Mais ce n’est pas tout! Animateur d’emissions de radio, cet homme est un touche-à-tout total. En même temps que je vous le présente, je le fais pour moi puisque je ne connaissais pas du tout l’oeuvre immense de ce monsieur! Honte à moi. Mais bon, qui n’est pas passé à côté d’un artiste digne de ce nom dans sa vie? J’en ai fait l’amère expérience dans ma dernière chronique concernant Jan Akkerman, je recommence concrètement ici. Né en 1968, ayant commencé ses bases musicales à l’âge de douze ou treize ans. Cinquante-deux ans plus tard, le voici qui présente son troisième album solo, et « Screaming Mad » Dee Calhoun est en quelque sorte de retour sur les planches pour nous déverser sa rage artistique.
Et que ne fut pas mon étonnement lorsque j’ai découvert l’artwork! Surfant sur des clichés perpétuels du pentagramme en feu, surplombé de pages elles-mêmes en train de brûler et du titre de l’album, Godless, qui présente une croix renversée dans le « O ». Ce qui me saute aux yeux, c’est que je ne m’attendais pas du tout à une telle provocation. Ok, des éléments basiques auraient dû me mettre la puce à l’oreille, je vous l’accorde. Notamment le nom de l’album, rien que lui. Mais partant toujours sur des bases neuves, n’en découvrant que le moins possible sur les artistes et les albums que ce que l’on me donne dans les pressbooks, j’ai été totalement pris de court! C’est un peu comme si je découvrais qu’un écrivain ultra commercial comme Marc Lévy ou Guillaume Musso, s’adonnait à l’ondinisme. Là, j’ai un artiste qui a un certain âge, qui cultive il est vrai une imagerie rock très prononcée et pour ainsi dire, une provocation à peine dissimulée, et qui s’attaque avec un cynisme désarmant à la chrétienté! Pour ce qui est de l’artwork d’un point de vue plus factuel, je le trouve bien cliché, sans réelle intérêt autre que le gout du sarcasme et je pense que je m’attendais sincèrement à mieux qu’un vulgaire détournement de ce qui se fait mille fois depuis des années dans le metal. Surtout pour un album acoustique et de la part d’un artiste avec autant d’années d’expérience, je m’attendais à une imagerie plus folk, quitte à continuer cette provocation à l’égard du christianisme mais d’une manière plus métaphorique. On a surtout le sentiment que Dee Calhoun est tombé idiotement dans le piège de la banalité. Pas franchement un bon point pour moi même si graphiquement il est bien travaillé et que la simplicité de l’artwork qui a son sens péjoratif ici, n’enlève en rien la suite qui ne sera que magnificence.
J’ai vendu la mèche un peu plus haut en parlant de l’artwork : l’album est du folk acoustique. Pas de saturation ni d’instruments metal, on a simplement une ou deux guitares acoustiques, éventuellement quelques instruments par-ci par-là genre harmonica, basse, pas de batterie ni de percussions, et bien entendu, la voix de Dee Calhoun. Une musique qu’il serait inapproprié de qualifier de « simple mais efficace » même si ce constat prévaut assez et colle bien. J’ai toujours peur que le mot « simple » soit mal interprété, trop souvent détourné à des fins péjoratives. Alors que la simplicité a toujours écumé les citations positives sur l’Art, ma préférée étant celle-ci : “La simplicité est la sophistication suprême.” (Léonard de Vinci). Je pense que l’album Godless est un parfait exemple et me vient une autre citation qui montre bien que la simplicité est un cheminement vers la consécration, celle de Chopin qui dit « La simplicité est la réussite absolue. Après avoir joué une grande quantité de notes, toujours plus de notes, c’est la simplicité qui émerge comme une récompense venant couronner l’art.” Dee Calhoun, comme beaucoup d’artistes, a joué une grande quantité de notes et contribué de près ou de loin à son émancipation artistique suprême, et l’on pourrait voir cet album, au même titre que les deux premiers, comme un couronnement. Un couronnement de succès tant la musique ici est géniale.
Au fond, qui dit musique simple dit musique au son irréfutable. On n’en attendait pas moins surtout que l’enregistrement de l’album s’est fait dans le propre studio de Dee Calhoun, le DustBuster à Walkersville dans le Maryland, aux Etats-Unis. Le mastering a été assuré, quant à lui, par Doug Benson qui au vu de son pedigree sur son site Internet, n’est pas un premier venu dans le milieu. Ainsi, vous avez un album agréable à écouter, et ce sur n’importe quel support. Pas besoin d’en dire plus, l’écoute se suffit à elle-même pour en attester le travail colossal fourni et la technicité de Dee Calhoun pour enregistrer ses albums de manière carrée et concrète. Bon boulot!
Mais ce qui m’a le plus plu dans ce troisième album, c’est le spirituel. L’identité américaine, si reconnaissable dans la musique par son aspect « texas cow-boy » et son rock millénaire, transpire tellement que les yeux fermés et plein d’assurance, vous vous retrouveriez sur la route 66 à bavasser pendant vos pauses avec les autochtones du coin. Ne recherchez pas la sophistication, elle serait tant pompeuse que l’on s’en dégouterait. Les albums qui ont une âme, on les reconnait par cette absence de réflexion, ce raptus artistique qui s’exprime tel les chutes du Niagara (mais côté USA!). J’adore cette musique! L’album est un concentré de morceaux tantôt country, tantôt ballade, qui s’accommode selon les besoins d’expressions de leur auteur et sonnent avec beaucoup de logique, rendant l’écoute de cet album comme un voyage spirituel vers les tourments très américains de « Screaming Mad ». Cet album ne se raconte pas, il se vit avec ses douze chapitres tous aussi excellemment écrits les uns les autres, un point c’est tout.
Question âme, le principal intéressé n’en manque pas, et au-delà de sa musique, elle apporte toute sa conviction, sa colère et sa révolte dans le chant. « Screaming Mad », voilà un surnom rarement aussi bien porté! Le cri intervient dans sa symbolique car Dee Calhoun en vérité, ne crie pas. Il n’a nullement besoin de cela pour vomir sa rage et sa révolte, il lui suffit de monter dans les octaves en voix clair, de prendre une voix limite de crooner poète par moments, ou de juste nous narrer ses impressions pour que l’on devine tous les tourments de l’artiste qui sommeillent en lui. Les tourments, le fameux « mad » qui amène le grain de folie nécessaire à la création musicale, là encore il n’en manque pas notre chanteur aux faux airs de Billy Gibbons. Je suis tombé dans le piège de ces clichés en même temps que lui car, si je m’étais arrêté sur l’artwork et n’aurait pas creusé le fond, j’aurais loupé un grand album d’un très grand musicien. Rarement un chant ne m’aura autant foutu « le seum » comme disent les jeunes, et pour cela, le talent n’y est pas pour rien, sans une bonne dose de charisme et de vieille âme. Une grosse claque pour moi, une de plus.
N’ayant pas pu étudier les textes en entier, je me suis arrêté sur les deux vidéos lyrics que j’ai partagées dans cet article pour percer le mystère et peut-être crever l’abcès. Loin d’être des textes faisant bombance sur les clichés que j’avais identifiés plus haut, ils sont très bien écrits, plein de métaphore, écrits en vers ce qui me plait énormément même en anglais. Mais c’est encore une fois cette révolte qui transpire et qui se traduit par un mélange subtil de provocation et de violence. Les paroles de Godless sont assez hyperboliques et empruntent une imagerie très crue avec les références aux cochons pour parler des fidèles chrétiens. Ou dans le texte de « No Justice », c’est un véritable pamphlet sur l’Amérique d’aujourd’hui et son aspect très christianisé et qui s’exprime par des constats tranchants plus que de vraies courbettes littéraires. J’aurais tellement aimé lire les autres, putain.
Je pense que je me suis un peu emporté dans cette chronique mais il aurait été complètement ridicule de ne pas se laisser tourbillonner par ces émotions quand un album comme Godless en a à foison. L’analyse s’arrête parfois pour juste s’imprégner d’un choc émotionnel, et c’est exactement la puissance ultime de cet album. Aucune analyse ne pourra obscurcir le talent et la révolte de Dee Calhoun, cet artiste qui fait cavalier seul et qui mènent de front sa colère pour nous donner une nouvelle discographie exceptionnelle. Franchement, cet album est monstrueux, probablement l’une de mes meilleures découvertes de l’année!
Tracklist :
01 Here under Protest
02 Godless
03 The Moon says Goodbye
04 Hornswoggled
05 To my Boy
06 Spite Fuck
07 No Justice
08 Ebenezer
09 Ride away
10 The Greater Evil
11 The Day Salvation went away
12 Prudes, Puritanicals, Puddles of Piss
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