Dughpa – 4

Le 12 décembre 2023 posté par Metalfreak

Line-up sur cet Album


Wagner Ödegård : composition

Style:

Krautrock / Dark Ambient

Date de sortie:

24 novembre 2023

Label:

Brugmanziah

Note du SoilChroniqueur (Quantum) : 9.5/10

Bien sûr que je suis de gauche ! Je mange de la choucroute et je bois de la bière.” Jacques Chirac

Je vous vois venir à trois kilomètres. Vous vous dites que Quantum a faim, qu’il sort une citation sur la choucroute et la bière parce qu’il doit être l’heure de manger et qu’il a les crocs. Que nenni ! En vérité, je débute l’écriture de cette chronique tôt le matin avec un café et un petit-déjeuner. Pour une fois, je n’avais pas de mission donc je reste à la maison, ce qui me fait le plus grand bien, et je me demandais quel genre musical serait le meilleur pour illustrer cette journée de repos forcée. Et j’ai pensé au krautrock ! La choucroute vient donc de là, puisqu’étymologiquement parlant, « krautrock » est un néologisme avec rock et choucroute en allemand (« Sauerkraut »). Mouvement situé historiquement dans les années 60 en Allemagne de l’Ouest, d’où le nom, le krautrock est une vaste ironie pour désigner de manière moqueuse le rock progressif et psychédélique allemands, en comparaison semble-t-il avec la vague des groupes britanniques. Il faut se rappeler qu’à cette période, on en était à des conflits géopolitiques particuliers, notamment en Allemagne, avec les émeutes de Berlin en 1967, donc rien de choquant dans ces moqueries de bas étages. Simplement, il me semble, et un connaisseur plus approfondi en la matière pourrait me le confirmer ou me l’infirmer, le krautrock actuel n’a pas grand-chose à voir avec ce qui se faisait avant. On y trouvait en effet plus d’éléments rock, là où tous les groupes contemporains ou plus jeunes n’utilisent finalement que des claviers et des synthétiseurs pour faire une musique beaucoup plus ambiante. Il faudrait à l’occasion que je me frotte aux formations allemandes des années 60 ou 70 pour me faire ma propre idée. Quoiqu’il en soit, j’adore ce style de musique. J’écoute très régulièrement Manman Sani, un artiste nigérien, mais aussi Vaisseau, formation française qui n’a sorti qu’un album à ce jour depuis 2019, et d’autres comme Faust, Floh de Cologne pour le nom, etc. D’une manière générale, j’adore les claviers, de même que la dark ambient, la dark industrielle, tout ce qui se prête de près ou de loin à la musique électronique, même la très commerciale, parfois ! Il faut savoir qu’avant d’écouter du metal très sérieusement, j’étais un fervent participant des rave-party, des soirées sauvages gothiques, j’adorais écouter la makina. Donc je suis pleinement dans mon élément avec le krautrock, et même s’il s’agissait au départ d’un style purement péjoratif pour la presse, un peu comme le western-spaghetti, je fais partie des personnes qui se réjouissent que cela soit devenu un genre à part entière ! Et ce matin donc, je vais vous parler d’un projet qui s’avèrera être une découverte bien surprenante sur à peu près tout. Il s’agit de Dughpa et de son album nommé sobrement « 4 ».

Autant vous le dire tout de suite : je ne connaissais absolument rien au projet avant de faire cette chronique. Le choix était fait, comme souvent par ailleurs, par le style de musique proposé. Dughpa est en fait le projet solo, que dis-je… L’un des nombreux projets, solos ou non, d’un artiste suédois nommé Wagner Ödegård. Notre ami collectionne manifestement les projets comme son côté multi-instrumentiste le permet, j’en ai compté en tout, sur Metal Archives, pas moins de douze actifs ! Je ne me suis pas amusé à tout regarder non plus, mais ce type de profil, de musiciens multi-instrumentistes qui ont plein de projets comme cela, on devine que l’on va avoir à faire avec soit un boulimique de composition, soit un mec tourmenté qui ne fait que cela de sa vie en gros. Les exemples pleuvent avec Mories, Déhà, etc. Ce genre de musiciens qui ont une imagination exceptionnellement productive et qui, en plus, font rarement mal aux oreilles. Je vous invite à aller sur le Bandcamp de l’artiste, vous aurez en effet à peu près certaines de ses sorties, et à mon avis il en manque énormément. Sous le sobriquet de Dughpa, j’en ai compté, sans suspense… Quatre. Ce « 4 » est donc le dernier en date, sorti cette année, suivi pour l’anecdote de deux autres productions de l’artiste. Le mec est donc potentiellement un sacré boulimique de composition. Maintenant, toute la question demeure autour de la qualité de sa musique. La suite nous le dira.

Bon, pour la pochette, on est sur de l’assez basique, je dirais. A vrai dire, je ne trouve pas que l’artwork soit extrêmement parlant concernant ce qui se passe dans la tête du gonze derrière Dughpa. Déjà que le nom du projet n’a pas de traduction possible, pas à ma connaissance en tout cas, j’aurais préféré avoir une image plus parlante. En tout cas, on a une sorte de gravure qui fait un peu ancienne, mais avec cette couleur verte pimpante, paraît finalement assez moderne. On y voit un ciel étoilé où domine, en gros plan, la planète Saturne, le tout pour éclairer un décor qui semble être en totale désolation, avec des arbres morts ou des sortes de pics de cratères. Il y a un côté profondément onirique et mélancolique dans cet artwork, malgré son apparente simplicité. On sent qu’en fin de compte, l’illustration visuelle vient au second plan au détriment de la musique, et même si quelque part je comprends la démarche, si c’est prouvé qu’il s’agit bien de cela, j’aurais quand-même vu mieux. Il n’y a pas non plus péril en la demeure, mais j’aurais vu mieux. On peut se rappeler toutefois que « 4 » est entièrement digital, donc qu’un effort ne soit pas aussi important pour proposer un support visuel digne de ce nom, je peux encore une fois comprendre. On va donc rester sur un constat plus mitigé pour cette fois. En même temps, on n’a pas eu mieux pour les précédentes sorties, y compris des autres projets. Cela reste bien bien raw.

Pour ce projet là, comme l’indiquait mon introduction, on est clairement sur du krautrock. Tous les ingrédients sont présents, et ils ne sont pas bien nombreux. On est sur une base d’utilisations de claviers, de synthétiseurs, voire éventuellement, car il faut bien que modernité se fasse, de logiciels de MAO que je ne suis pas parvenu à identifier. La base musicale repose donc sur le principe des ambiances, avec une part belle de faite aux différentes banques sons possibles. Je note toutefois que par moments, la musique berce dans la dark ambient et même parfois dans le dungeon synth. J’ai reconnu des éléments de banques sons utilisés notamment par Dame Silu de Mordomoire et par Inexistence, et qui me font donc beaucoup penser par moment à du dungeon synth. En revanche, l’utilisation d’énormément de sons analogiques comme sur le troisième morceau ou le premier témoigne sans vergogne d’une identité très krautrock. Je reconnais le même procédé chez Vaisseau par exemple, qui est celui qui me vient immédiatement. Le décor général est par contre très spatial, comme en témoigne donc la pochette de « 4 ». On a l’impression de se perdre aux confins de la galaxie, perdu dans l’immensité de l’univers, entre deux dimensions. J’aurais bien vu une musique de ce genre pour un film comme Interstellar par exemple ! On a vraiment le sentiment d’avoir des sons bourrés d’interférences, qui viendraient des profondeurs les plus abyssales de notre monde, et l’idée de retoucher le son avec beaucoup d’épaisseurs et de « fritures » sonores donne une véritable identité spatiale, comme un message perdu dans l’univers. Après, dans ce type de musique, il ne faut pas s’attendre non plus à beaucoup de sophistication. En général, le minimalisme est de rigueur pour planter un décor lourd et lancinant, pour hypnotiser l’auditeur. L’idée étant non pas de nous donner de la patate, mais de nous aspirer dans un tourbillon sonore terrible. Donc, je disais, une musique minimaliste, très ambiante, avec un concept qui semble effectivement centré sur tout ce qui est spatial. Dans ce style de musique, il n’est pas rare qu’il y ait une sorte d’histoire qui est racontée, un peu comme si l’auteur délivrait une partie de ses états d’âme dans cette musique qui sonne quand-même un peu poétique, mystérieuse et un brin mélancolique. Dughpa n’est pas un projet musical qui va donner le sourire pour vous la faire courte, et cela va de pair avec la propension de l’artiste à aller sur des styles musicaux qui font honneur à la mélancolie, la noirceur et la froideur de l’âme. C’est en cela que j’ai adoré « 4 » ! Mais vraiment. De toute façon, le krautrock et plus généralement toutes les musiques estampillées « ambient » me plaisent à tous les coups. Il n’est pas rare que je choisisse ce style de musique en chronique parce que, de tous les autres styles de musique en dehors du metal, du rock et du punk que l’on peut faire en chronique chez Soil Chronicles, ce sont véritablement ceux que je préfère. Et Dughpa ne déroge aucunement à la règle. Un vrai bijou en première écoute !

Dans ce genre de productions, on ne sait pas quel niveau il est bon d’obtenir, mais on peut comprendre une chose : le principe est de rester sur une sphère très old school. Et maifestement, Dughpa maitrise très bien son sujet. La qualité sonore est au rendez-vous avec donc cette recherche de son old school, très analogique dans sa globalité, le caractère que l’on trouverait brouillon aujourd’hui avec toutes les innovations que l’on connait, mais c’est ce que je recherche prioritairement dans le registre krautrock. On parle quand-même d’un genre musical qui a connu son apogée dans les années 60 / 70, donc quand on est un peu nostalgique, on va vers ce que l’on connait. Or, moi, je ne connais ce style que dans ce son si particulier, si incertain et chaotique, il va donc de soi que la première chose que je repère comme dans le cas de « 4 » est le son. Ici, vous avez donc une occupation du spectre sonore très importante avec des sons très boueux, très épais, le tout pour englober des banques sons électroniques et analogiques qui varient selon les besoins. Au final, je crois avoir reconnu le logiciel FL Studio pour certains sons. Et j’adore ce logiciel, donc, double satisfaction ! Après, ce que je trouve bien plus original dans le cas de Dughpa est l’ambiance très sombre qui s’en dégage. Autant dans la plupart des projets krautrock on a plutôt l’impression d’avoir une bande-originale de science-fiction, autant ici on croirait certes comme je disais un film catastrophe spatial, mais avec une véritable dépression par-dessus. Comme si l’astronaute égaré nous délivrait toutes les étapes de son deuil jusqu’à sa mort. C’est donc une production habituelle mais avec une vraie part noire et mélancolique, chose rare. Une production magnifique, un sans-faute quasiment.

Difficile en l’état de percer au grand jour le marasme qui résonne dans la tête de ce grand Wagner Ödegård qui en plus porte un prénom au grand destin. Mais je crois comprendre qu’en fait, il met en corrélation un côté enfantin que l’on a tous quand on regarde un ciel nocturne, et dont je m’étais largement épanché sur une précédente chronique qui parlait de la Lune, avec peut-être un mal-être global qui n’utilise efficacement que la musique pour prendre vie. C’est un peu cliché ce que je dis, mais cela peut expliquer théoriquement pourquoi la musique demeure si mystérieuse. Au final, il est vrai que l’on obtiendra pas ou peu d’explications tangibles sur un album comme « 4 », aussi sobrement appelé et illustré, et encore moins sur ce projet solo qu’est Dughpa. Simplement, il faut prendre la musique comme elle s’écoute, soit justement avec tout ce décorum inaccessible, cette impression de flotter dans l’espace complètement esseulé, et de faire l’introspection qui s’impose en attendant la fin. Voilà en gros ce que je peux dire d’un éventuel concept pour « 4 ». Du reste, la musique est tout bonnement magnifique, comme à chaque fois avec le registre krautrock, voire dark ambient et dungeon synth. Un projet étonnant, pétri de talent et de mystères, voilà le résumé que je peux faire en toute humilité de ce magnifique Dughpa qui va m’intéresser sérieusement à l’avenir. Ah si ! Dommage qu’il n’existe qu’un seul album au format CD…

Et comme il n’y a pas de chant, on va donc mettre le point final à cette chronique. C’est un peu, il faut bien se l’avouer, une chronique coup de coeur avec Dughpa qui se présente aujourd’hui avec un quatrième album nommé sobrement… « 4 ». Mais heureusement, la sobriété s’arrête au nom de l’album et son illustration qui, il faut le contextualiser, est un album digital et produit par le label du musicien Wagner Ödegård qui est donc la tête pensante de ce magnifique projet. Un style krautrock bien entiché de dungeon synth et de dark ambient qui sont apparemment les autres styles de prédilection de notre ami suédois, en dehors du black metal. Au fond, rien de m’étonne dans cet album qui sonne de manière impeccable, bien old school comme j’aime et surtout qui retranscrit des ambiances superbes, plus originales par ailleurs que les autres projets que je connais et qui semble trouver ses racines dans un domaine spatial. Toutefois, à chaque fois que j’aborde ce genre de musique, je suis toujours autant émerveillé. J’adore ce type de musique, et quand une nouvelle découverte est faite comme Dughpa, original tout en gardant une large base old school dans son approche sémantique pour le krautrock, alors je me souviens pourquoi je fais de la chronique et pourquoi j’ai toujours autant de passion pour la musique. Ce n’est donc pas une rareté, mais cela reste un album et un style exceptionnel.

Tracklist :

1. A Predawn hush 07:17
2. The shield wall 03:44
3. Green gloom passage 04:08
4. Movement within the shadows of a globe 04:59
5. Leaving the cavern 02:10
6. Intensity of dim stars 05:53
7. Purple ochre cliffs 03:58
8. The voice ll 04:26
9. In formless light on rays of black 03:41

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