Line-up sur cet Album
- Krys Denhez : chant
- Dorian Lairson : guitares
- Julien Gebenholtz : basse
- Remi Serafino : batterie
- Jean Lassalle : claviers, FX
- Guest : Adrian Lordan : Accordéon sur La Danse Des Crânes
Style:
Black MetalDate de sortie:
24 mars 2024Label:
My Kingdom Music/Source Atone/Remparts ProductionsNote du SoilChroniqueur (Vince le Souriant) : 9/10
« Nous avons arrêté de chercher des monstres sous notre lit quand nous avons compris qu’ils étaient en nous. » Charles Darwin Il est des albums qui font du bruit avant même d’avoir joué une note, des disques dont on sait qu’ils vont être bons avant même de les avoir écoutés. « Belluaires« , première sortie du groupe Ecr.linf, est de ceux-là. Bénéficiant d’une importante promotion, l’album a ainsi été distribué par trois labels : Source Atone pour la France, My Kingdom Music pour le reste du monde, et enfin Remparts Productions, chez qui votre serviteur a eu l’immense joie de se procurer une luxueuse édition K7 avec coffret en bois peint et badges. Ecr.linf, c’est avant tout une histoire de retrouvailles, celles de vieux briscards qui s’étaient perdus de vue, et avaient raccroché les gants. En 2021, Krys retrouve Dorian, ancien guitariste de Jarell, un groupe de death mélodique dans lequel Krys tenait le micro. Dorian a délaissé les guitares depuis près de dix ans, le deuxième souhaitait arrêter la musique après son départ de Demande à la poussière. Tapant le bœuf, les deux compères étoffent leur projet et recrutent alors un bassiste, Jiu, qui voulait faire du Black Metal. Par le passé, Krys a partagé la scène avec Svart Crown, ce qui l’incite à démarcher leur ancien batteur, Rémi (également ex-Hyrgal et nouvellement recruté chez Igorrr). Il ne manquait plus que Jean (également ex-Jarell) que Krys et Dorian croisent par hasard à un concert de Seth. Lui non plus ne veut plus faire de musique, sauf peut-être, du black ! Le groupe est alors au complet. L’album ouvre sur « Le Désespoir du Prophète ». Écrit à la suite des vagues d’attentats qui ont frappé la France, le texte fustige les extrémismes religieux de tout poil : « Dans leurs cœurs, tu as pris la place de leurs propres lumières ». La batterie qui blaste et les claviers répandant une ambiance apocalyptique sont associés à des passages déclamés d’une manière haletante, qui eux rappellent la chanson « Popular » de Nada Surf. Les mots forment une critique cinglante, non de l’idée de religion elle-même, mais bien des interprétations erronées qui en sont tirées ; la musique, elle, est crépusculaire, et ne diffuse pas exactement la joie de vivre. Le tout a d’ailleurs bénéficié d’un clip somptueux, avec la participation… Des enfants des musiciens !
Malgré sa référence subtile au for intérieur, qui est le jugement qu’exerce la conscience (cordis forum en latin chrétien), Tribunal de l’âme, imbibé de hardcore, ramone encore plus que le titre précédent. Il va falloir prévoir des planchers solides pour les salles de concert, tant il est impensable de rester statique sur une piste pareille, clairement étudiée pour tout défoncer. A noter, l’exhortation finale : « Écrasons l’infâme », vraie signification d’Ecr.linf.
C’est par cette formule que Voltaire terminait ses lettres, désignant par ces mots le fanatisme, la superstition, l’arbitraire et plus largement la religion.
Attention, chez Ecr.linf on pète tout, mais on pète tout avec la lame qu’est l’esprit ! Troisième titre, « La Danse des Crânes » appelle le passé, convoque les mânes des Anciens, désolés face à une époque vide de sens. « Là où dansent les crânes de mes ancêtres qui ne demandent qu’à renaître sur cette terre en friche, infertile » chante Krys sur fond d’accordéon, dans un final éblouissant, qui n’est pas sans évoquer « l’Acoustic Live« , Kiev de KPN. Changement de ton sur « Missive », cette lettre écrite par un ami qui a mis fin à ses jours, laissant derrière lui incompréhension et souffrance. Ici, les guitares aux sonorités aquatiques, presque utérines, tiennent lieu d’écrin à une douleur à l’état brut. Je suis tombé par terre, est-ce la faute à Voltaire ? Décidément, non, tout n’est pas au mieux dans le meilleur des mondes. Puis, c’est dans un atelier, ô combien impressionnant, avec ses gigantesques marteaux et ses cliquetis monumentaux, que nous amènent les sons en ouverture de « Royaume du Vide ». E
st-ce dans cette forge, digne de celle de Vulcain, qu’a été fondue la médaille qui orne la pochette de l’album ? Cet artwork, que l’on doit à Dorian, le guitariste, représente un belluaire, un gladiateur combattant un fauve à mains nues. Est-ce la raison combattant la sauvagerie, ou plutôt, comme l’écrit Marc-Aurèle, l’empereur philosophe, « la figure d’un homme dépourvu de sentiment, qui se cramponne à la vie, semblable à ces belluaires déjà à demi-dévorés, qui, couverts de blessures et de sang, demandent cependant d’être conservés jusqu’au lendemain pour être livrés de nouveau aux mêmes griffes et aux mêmes morsures. » ?
De telles réflexions feraient bourdonner les tempes de n’importe qui, et dans « Mon Ultime Projection », c’est ce que s’emploie à démontrer le bassiste, dans un riff vibrant qui renverrait dos à dos le John Deacon d’ »Under Pressure » (Queen) et le Joey DeMaio de « Sting of the Bumblebee » (Manowar). A la basse succède un véritable déluge sonore qui, après avoir reflué, laisse seul en scène un piano aux notes funèbres, servant de support à des borborygmes d’agonie. C’est à un suicide que nous avons l’impression d’assister. Est-ce donc ainsi que sonne le dernier cri de désespoir d’une humanité pourrie ? Enfin, après quelques notes empruntes d’une mélancolie déchirante, retour à la haine, la vraie, celle qui donne envie de faire sauter des ratiches et de coller des coups de boule avec Valetaille !
« Octroyez vous le droit de vomir votre logorrhée » beugle en début de titre un Krys plus enragé que jamais. Ou, plus loin « Les reconnaissances de mes erreurs ont fait de vous de piètres procureurs. » Il y a là de quoi bien faire fermer leurs gueules aux commères et autres « idiots ». Guitares, section rythmique et chant forment un seul bloc, impénétrable, écrasant tout. Sur ce titre, le plus musclé d’un album déjà loin d’être mou, il y a de quoi enfoncer des poteaux avec la tête.
Rarement une musique m’a donné à ce point l’envie de mettre des patates de forain, et croyez-moi, je n’écoute pas que La Gymnopédie ! Enfin, l’un des buts avoués d’Ecr.linf est d’inviter les auditeurs à contempler leur place dans l’univers. Feu pâle, court outro, s’y emploie avec succès. Que retenir d’un tel choc sonore ?
Dans Le Crocolion, livre jeunesse d’Antonin Louchard, un petit lapin demande à son papa s’il sait quel est l’animal le plus méchant d’Afrique. C’est le Crocolion, tête de crocodile d’un côté et tête de lion de l’autre. S’il est si méchant, c’est parce que, faute d’être doté d’un postérieur, il ne peut pas faire caca. Voilà pour l’Afrique Et à l’échelle de la planète, alors ? L’animal le plus méchant du monde, c’est l’Homme, répondent en chœur les musiciens d’Ecr.linf.
Etrange conclusion ? Pas tant que ça. Car pour écraser l’infâme autour de soi, « il faut cultiver notre jardin » et remporter la victoire contre le fauve qui vit en chacun de nous. Une telle entreprise passe bien sûr par l’introspection, par l’acquisition d’une certaine connaissance de soi-même. C’est précisément la raison pour laquelle « Belluaires » nous convie à explorer les confins de notre psyché, à questionner la nature de notre existence, et à défier les dogmes. La musique, riche et puissante, nous plonge avec brio dans la complexité des émotions, et nous fait nous interroger sur le sens à donner à notre propre vie.
Toutefois, une question demeure entière : y’aura-t-il une suite, et si oui, après avoir poussé aussi loin l’audace, les cinq musiciens parviendront-ils à renouveler leur exploit ?
Nous ne pouvons que l’espérer !
Tracklist :
- Le Désespoir Du Prophète 5:36
- Tribunal De L’âme 5:59
- La Danse Des Crânes 5:02
- Missive 5:38
- Le Royaume Du Vide 5:37
- Mon Ultime Projection 5:15
- Valetaille 7:14
- Feu Pâle 1:05
Amazon Music Apple Music Bandcamp Deezer Facebook
Instagram My Kingdom Music Remparts Productions SoundCloud
Source Atone Records Spotify YouTube
Laissez un commentaire