Line-up sur cet Album
- Eric Wagner (RIP 2021) : chant
- Session :
- Dave Snyder : guitare, batterie
- Chuck Robinson : guitare
- Sean McAllister : basse
- Brian Gaona : violoncelle
- Doug Hakes : guitare lead
- Ron Holzner : basse
- Victor Griffin : guitare lead
Style:
Doom MetalDate de sortie:
18 mars 2022Label:
Cruz del Sur MusicNote du SoilChroniqueur (Quantum) : 9/10
“Défiez-vous des choses posthumes : quel que soit l’esprit avec lequel une vieille femme parle de sa beauté perdue il y a toujours dans sa louange la funèbre solennité de l’office des trépassés.” Ninon de Lenclos
C’est rare les albums posthumes dans le milieu. D’abord parce qu’on a rarement des célébrités aussi fortes que certains artistes de variété par exemple, et que d’une manière plus générale on a rarement des célébrités. Je veux dire par-là qu’outre un petit nombre restreint d’artistes qui sortent du quasi anonymat de l’underground, on n’a de fait pas grand-chose qui mériterait d’ériger au rang mérité de l’hommage posthume un groupe ou un album. Hormis quelques rééditions que nous sommes coutumiers de chroniquer ici, il n’y a pas eu beaucoup d’albums sortis après le décès de leurs créateurs. Et je dois reconnaître que j’ignorais tout du caractère posthume de l’album que je vais ici vous présenter, puisque j’ignorais tout simplement que son créateur était décédé. C’est un choix purement fortuit que j’ai effectué ici. Alors, l’intérêt de faire la chronique d’un album posthume c’est qu’il y a une forme de mystère. On se demande quelles étaient les dernières notes chantés par la personne qui est passé de vie à trépas, si tant est que ladite personne ait eu le temps d’enregistrer un album complet ce qui semble être le cas ici. J’ai de fait le sentiment d’avoir un devoir d’objectivité légèrement bousculé ce jour, car je ne sais pas si je serais capable de descendre un album qui est posthume. Pointer du doigt quelques erreurs, peut-être, mais de là à en faire une sale notation finale je ne pense pas. C’est un vrai challenge pour moi, d’autant que je connaissais l’artiste mais pas totalement son ouvrage, plus sa prospérité dans le milieu doom metal, et ce tardivement vu que je me suis mis au doom metal que tout récemment! Je marche sur des œufs et je vais sortir drastiquement de ma zone de confort habituellement objective pour vous parler de cet album revenu tout droit du pays des défunts artistes. Il s’agit d' »In the Lonely Light of Mourning » du regretté Eric Wagner.
Eric Wagner a été considéré pendant longtemps comme l’une des voix les plus emblématiques du doom metal, rien que cela. Né le 24 avril 1959 à Chicago, notre camarade musicien nous a quittés le 22 aout 2021 à 62 ans donc des suites de complications pulmonaires dues à la Covid-19. La carrière d’Eric Wagner est émaillée de trente créations sorties pour le groupe Trouble dans lequel il a officié au chant jusqu’en 2008, quatre pour le compte du groupe The Skull, deux chez Blackfinger et enfin, la création de son projet éponyme dont il faut compter deux sorties dont cet album après sa mort. Ce dernier projet musical est celui qui nous intéresse et qui a donc brutalement pris fin à son décès, mais le label Cruz del Sur Music a permis de sortir le dernier album nommé « In the Lonely Light of Mourning » où Eric Wagner chante intégralement, accompagné par des musiciens de session dont les identités ne sont pas mentionnées, hormis que l’on sait qu’il s’agit de certains musiciens de Trouble ou d’anciens, certains de Blackfinger, etc. Dommage de ne pas les avoir crédités, mais je comprends le label d’avoir centré l’attention promotionnelle sur Eric Wagner. « In the Lonely Light of Mourning » est donc un album que je m’apprête à chroniquer avec le même enthousiasme qui m’anime depuis que j’écris, mais avec pour une fois une certaine petite crainte. Comment pointer d’éventuelles choses à améliorer sur un album qui sonne comme un vibrant hommage?…
NB : c’est en regardant le lien vidéo fourni dans la chronique que j’ai découvert ENFIN le nom des protagonistes invités de l’album. Merci le label d’avoir bien rattrapé le coup.
Pour la pochette, c’est sans surprise une photographie légèrement retouchée de notre ami et regretté Eric Wagner. Une photographie solennelle, sérieuse, avec cette croix chrétienne qui rajoute une touche un peu mystique, comme une sorte d’aura autour de cet homme qui a longtemps œuvré pour l’émergence du genre doom metal. Cela reste une pochette logique dans ce titre posthume avec tout un décor en fond qui est noir comme le deuil, mais cela sonne surtout comme un véritable hommage sincère et profond. Un peu comme ces portraits géants que l’on trouve lors des cérémonies funéraires, à l’américaine. Il ne manque plus que le drapeau américain si j’ose dire! Mais je trouve que cette photographie rajoute un vrai truc émotionnel, comme si l’on se devait de marquer une minute de silence avant d’écouter « In the Lonely Light of Mourning » (Dans la lumière solitaire du deuil), comme si nous assistions à son enterrement. Je trouve donc cette pochette tout simplement parfaite pour l’ambiance et le contexte. Simple mais efficace. C’est ce qu’on attendait surement pour commencer la découverte de cet album.
Pour la musique, c’est évidemment et étant donné surtout la réputation d’Eric Wagner du doom metal pur jus. Avec des accords balancés fortement, la lenteur caractéristiquement oppressante et dans le cas d' »In the Lonely Light of Mourning« , une dimension old school impénétrable qui se voit dans le choix des accords, dans certains riffs plus mélodiques qui font carrément très Candlemass ou Black Sabbath. Je vois d’ailleurs beaucoup de similitudes avec l’album « Epicus Doomicus Metallicus » de Candlemass, on retrouve les même intentions riffiques et les atmosphères qui sont très portés sur le deuil, la Mort et la désolation d’une certaine manière un peu détournée. Peut-être aussi une sorte de détournement de la religion au profit d’une musique plus authentique, sur un versant légèrement maléfique comme le ferait Black Sabbath. On croirait tout simplement un heavy metal dont le tempo serait baissé au maximum, dépourvu du côté speed metal qu’ont certains gros groupes du genre, pour n’avoir qu’une sorte de doom heavy metal sans trop d’épaisseur ni trop de brutalité, laissant planer une atmosphère funeste et noire mais encore acceptable pour tout un chacun au regard de ce que certains groupes plus modernes sont capables de faire. Une musique rigoureusement old school quoi. Ce qui me fait voyager dans un océan de nostalgie que pourtant il y a encore deux ans je n’avais pas. C’est toute la force d' »In the Lonely Light of Mourning« , de distiller chez l’auditeur une expérience bouleversante sans que l’on soit directement concerné. C’est un peu comme un discours lors de l’enterrement d’une personne peu connue qui avec la force des mots et des émotions vous font pleurer, vous suscitant une surempathie totalement endormie. C’est ce que j’ai ressenti fortement à l’écoute de cet album, je me suis laissé submerger par un torrent de tristesse, sans pour autant être directement concerné. C’est extrêmement bouleversant d’entendre les dernières vocalises d’Eric Wagner, en se disant que moins d’un an avant la sortie d' »In the Lonely Light of Mourning« , il ne se doutait probablement pas lui-même qu’il allait partir. Je reviendrai sur cela, mais pour une première écoute, je suis bien en peine de formuler un avis objectif. Cet album est d’une tristesse incroyable, le deuil est omniprésent et tient probablement comme la thématique principale de cet album avant même le décès de son créateur. Quel timing parfait, putain! Comme quoi, il n’y a pas de hasard…
La production ne souffre d’aucune contestation possible. Le doom metal old school et donc a fortiori heavy metal, sonne comme un album d’antan, tout à fait comparable aux premiers albums de Trouble, de Candlemass ou Black Sabbath. Cela reste des références connues, j’en ai conscience, mais en même temps quand on sait que Trouble a commencé son existence dans les années 1980 voire un peu avant (1979), on ne peut que retrouver des similitudes avec les précédemment nommés. Cela donne quoi une production comme « In the Lonely Light of Mourning« ? Très simple : un album doom metal dont le son n’était pas encore très lourds mais tout de même vachement oppressant, avec des accords de guitares qui sont minimalistes mais rudement accompagnés par quelques soli et quelques apports originaux comme un violoncelle, une basse qui est plutôt bien présente ce qui dénote un peu avec ce que l’on a habituellement dans un mixage (surtout moderne), une batterie dans son rôle simple d’accompagnant rythmiquement la linéarité des guitares, et donc cette voix absolument phénoménale dont je parlerai plus bas. Voilà! C’est un constat simple mais cela reste toujours aussi redoutable. C’est la force de ces albums qui ne prennent pas de rides vous savez, qui ne vieillissent pas et qui donnent encore par moment des leçons aux jouvenceaux que nous sommes, la génération 1990 qui arrivaient sur un mode plus extrême dans la musique metal. Je sais que mes confrères et amis Chris Metalfreak, Antirouille et Celtikwar ont connu cette époque et / ou continuent à lui rendre régulièrement hommage dans les chroniques d’albums heavy metal. Je les comprends de plus en plus, et encore plus cet après-midi où je me prends un bol d’air frais avec cet « In the Lonely Light of Mourning » qui est morose mais dont le son est tout à fait opportun. Excellente production mais je n’en attendais pas moins d’un homme aussi grand qu’Eric Wagner.
« C’est extrêmement bouleversant d’entendre les dernières vocalises d’Eric Wagner, en se disant que moins d’un an avant la sortie d' »In the Lonely Light of Mourning« , il ne se doutait probablement pas lui-même qu’il allait partir. » Oui je sais, je me paraphrase… Cela m’arrive surtout en conclusion, parfois, quand je trouve une phrase jolie. Mais j’ai repris celle-ci parce qu’elle résume toute la force et la candeur d' »In the Lonely Light of Mourning« . Au départ l’album ne devait pas être conçu comme un album posthume puisqu’il a été composé avant le décès de son créateur, sinon il ne sortirait pas. Or, on croirait sincèrement et profondément qu’il a été composé exprès pour rendre hommage à Eric Wagner. Au-delà bien entendu du talent des musiciens et particulièrement du maître d’œuvre, c’est surtout la cohérence contextuelle qui me frappe en plein visage. J’ai du mal à me dire que ce dernier a été composé avant la mort, tant et si bien qu’il colle parfaitement avec le thème principal de l’album qui est… Le deuil et donc la mort. C’est comme si Eric Wagner avait planifié spirituellement sa mort prochaine et lui avait donné une personnification musicale avant de mourir. J’ai vraiment le sentiment d’avoir affaire avec une expérience mystique, c’est troublant. Je pense que je ne ressortirai pas indemne de ces écoutes. Le doom metal n’a jamais aussi bien sonné selon moi que sur cet album « In the Lonely Light of Mourning« , qui s’est offert malheureusement un contexte de choix pour prendre forme. Et je vous assure que si vous écoutez cet album, vous en aurez les pétoches de voir surgir le fantôme tourmenté d’Eric Wagner dans votre salon. En tout cas, cet album est magnifique. Un vrai hommage et un doom metal parfaitement synchronisé avec le contexte, tout est raccord et la musique est superbement bien construite, sur un mode old school et heavy metal qui me fait du bien, vraiment. Extraordinaire.
Et bien entendu, je ne pouvais pas conclure cette chronique sans parler du chant d’Eric Wagner. Considéré comme je disais comme l’une des grandes voix du doom metal, il faut savoir de quoi on parle quand on donne un tel superlatif. On n’attend pas un chant clair très fort, partant dans des vocalises très hautes en octave, ni très puissante. Contrairement à toute la dimension heavy metal de cet album qui pourrait effectivement tromper l’oreille, le chant est très posé, très solennel, ne montant presque jamais dans les octaves, et c’est là toute la beauté du chant d' »In the Lonely Light of Mourning« . Je préfère mille fois avoir un chant qui traite de la mort avec un côté morose, voire fatigué, qu’un chant lyriquement magnifique et fort. Et le choix est tout à fait à propos sur cet album. On sent d’ailleurs, et c’est tout le paradoxe ici, une sorte de chaleur dans la voix qui apaise et qui donne un aspect rassurant à l’ensemble musical. Cela détone un brin avec la musique mortuaire et lente, mais je trouve que cela apporte une dimension philosophique indirecte intéressante. Après, il y a peut-être le poids des années qui est passé par ici lors des sessions studio, mais je trouve que si le chant est intentionnellement posé et grave, c’est un choix intelligent et superbe. J’ai adoré le chant, et je pense que c’est bien entendu au regard de la personne qui est déifiée ici, et de son pedigree, c’était normal d’avoir un exercice vocalistique qui est génialissime. Un chant là encore sans contestation possible.
Pour finir ici, j’avais envie de me confronter à cet album posthume pour tester ma capacité à conserver mon objectivité. Il est toujours difficile de garder une ligne de conduite quand on est au-devant d’un travail de deuil, ou directement en rapport avec la mort, je suis bien placé pour le savoir étant soignant. Eric Wagner a composé « In the Lonely Light of Mourning » aux prémices de son décès, sinon bien avant de savoir que. Et le résultat est époustouflant d’émotion. Le doom metal old school est extrêmement bien ficelé pour amener une ambiance mortuaire et sombre, avec néanmoins cette touche heavy metal qui a fait des balbutiements du doom metal un genre totalement ubuesque et prépondérant dans le paysage. Si vous cherchiez une bande-son idoine pour les moments de morosité de la vie, pour serrer la pince à la Grande Faucheuse et lui faire jurer via des menaces caractérisées de prendre soin de ce musicien de renom et de génie qu’est Eric Wagner, vous avez « In the Lonely Light of Mourning » pour vous coller non seulement une rouste mais aussi pour soulever en vous cette surempathie que, par fierté ou par peur, vous gardiez enfouie. Cet album est exceptionnel, voilà.
RIP.
Tracklist :
1. Rest in Piece 04:49
2. Maybe Tomorrow 04:31
3. Isolation 04:32
4. If You Lost It All 04:01
5. Strain Theory 05:08
6. Walk with Me to the Sun 04:51
7. In the Lonely Light of Mourning 04:34
8. Wish You Well 04:24
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