Note du SoilChroniqueur (Seblack) : 9,5/10

« Destin Messianique » constitue le troisième album des québécois de Givre désormais signés par le label allemand Eisenwald (qui ressort également à cette occasion leur deuxième opus « Le Pressoir Mystique« ).
En voyant la pochette, illustrée d’un ecclésiastique, on se dit tout de suite que Givre ne semble pas se départir de ce qui avait fait sa particularité : à savoir l’influence de la religion catholique dans sa musique.
Toutefois il ne faut pas s’imaginer que ce troisième chapitre soit une redite du second. Là où « Le Pressoir Mystique » puisait principalement son inspiration dans le Moyen Âge et un catholicisme doloriste, « Destin Messianique » s’intéresse davantage à l’histoire du Québec et des canadiens français. On pourrait rapprocher tout cela de ce que peuvent faire leurs compatriotes de Forteresse mais en beaucoup moins belliqueux. La motivation ici est davantage historique et patrimoniale comme en attestent les activités de Jean Lou David (chant, guitare…), historien dans un musée.
La thématique du catholicisme est loin d’être délaissée : en témoignent l’artwork et les titres suivants : La Sainte Vierge Intervenant en Faveur de l’Armée Française à la Bataille de la Monongahéla, Le Christ aux Oliviers, Cantique pour la Canonisation de la Vénérable Jeanne d’Arc, Consécration à la Vierge par Maurice Duplessis.
N’ayant pas eu accès aux lyrics, je me cantonnerai à quelques vagues hypothèses avec mes connaissances plus que succinctes sur l’histoire du Québec. « Destin Messianique » aborde cette fois le catholicisme comme un des héritages faisant partie du patrimoine culturel et religieux de l’identité québécoise. En effet cette religion a longtemps été un des principaux piliers de cette identité face à la domination des anglo-saxons protestants. En cela la pochette est très parlante : l’ecclésiastique qui figure dessus est l’évêque de Montréal Ignace Bourget. Durant son épiscopat (1840-1876), il s’attela notamment à faire de l’Église un des socles de la société québécoise par des actions visant, bien sur, le renforcement et la structuration du catholicisme québécois mais aussi le développement de l’éducation, des aides sociales et le développement du territoire. La référence à Jeanne d’Arc n’est pas anodine non plus, la pucelle d’Orléans étant devenue une figure extrêmement populaire au Québec, particulièrement après sa canonisation en 1920. Après tout Jeanne d’Arc est celle qui a entrepris de chasser les anglais…elle a donc une portée symbolique importante au Québec (la province du Québec s’est par exemple fortement opposée aux lois de conscription que voulait imposer le Canada lors des deux conflits mondiaux, marquant par ces protestations son hostilité à Ottawa autant qu’au Commonwealth).

Forcément, politiquement parlant, quelques aspects abordés dans cet album ne sont pas totalement neutres : on évolue plutôt dans des sphères que l’on qualifierait de nationalistes et conservatrices. Toutefois attention à bien recontextualiser ces mots : le Québec et le Canada ne sont pas la vieille Europe…il me semble important d’insister là dessus afin de ne pas sombrer dans des amalgames et des raccourcis douteux.
On relèvera en premier lieu que le logo du groupe a évolué : le sacré cœur se voyant remplacé par une feuille d’érable renversée surmontée d’une croix.
Par ailleurs, on trouve en dernier morceau de cet album le titre : Consécration à la Vierge par Maurice Duplessis. Cet homme politique était membre du parti L’Union Nationale (parti à la fois nationaliste, conservateur, catholique et libéral). Il fut premier ministre du Québec de 1936 à 1939 puis de 1944 à 1959 ce qui est en fait une figure importante de l’histoire québécoise.
Si l’histoire et la religion occupent une place importante dans cet album, la littérature n’en est pour autant pas délaissée, loin de là…Givre propose en effet une belle adaptation du poème Le Christ aux Oliviers de Gérard de Nerval mêlant voix black et voix claire. Même chose avec Érable Rouge qui est l’adaptation des vers du poète québécois Albert Louzeau. Enfin le chanteur et guitariste Jean Lou David étant, lui même, un compositeur de poésie, nul doute que quelques unes de ses œuvres se sont glissées dans ce troisième album.

Musicalement, « Destin Messianique » constitue un joli pas en avant. Tout en gardant les éléments qui caractérisaient déjà « Le Pressoir Mystique« , Givre les a affinées. Le son a progressé tout en conservant son aspect organique, chaque instrument a sa place et respire. Globalement on retrouve des rythmes plutôt lents et cafardeux qu’illuminent des mélodies un peu post rock avec de légères dissonances. Il se dégage de cette musique une profonde mélancolie que renforce un chant déchirant et expressif.
Tout cela n’empêche pas le groupe de délivrer quelques morceaux ou passages plus féroces à l’instar du Cantique pour la Canonisation de la Vénérable Jeanne d’Arc, morceau bref et épique à l’image de la chevauchée de la native de Domrémy.
Comme pour son prédécesseur, Givre incorpore à sa musique divers éléments (chant féminin, passage un peu folk) comment autant de raies de lumière dans un monde de ténèbres. On y retrouve aussi divers enregistrement documentaires ou musicaux ramenant à l’histoire du Québec. C’est d’ailleurs sur l’un d’eux que se clôture cet album de black metal historique de haute volée.

Tracklist :

1. La Sainte Vierge Intervenant en Faveur de l’Armée Française à la Bataille de la Monongahéla (9 juillet 1755)
2. Le Christ aux Oliviers
3. Erable Rouge
4. La Voix
5. Cantique Pour la Canonisation de la Vénérable Jeanne d’Arc.
6. Le Laboureur
7. Dernier Martyr
8. Consécration à la Vierge par Maurice Duplessis

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