Line-up sur cet Album
- Mathieu Garon – Basse
- Jean-Lou David – Chant, guitare, claviers
- David Caron-Proulx – Guitare, chant, claviers
- Guest : Myriam Debonville – Narration sur 4
Style:
Black MetalDate de sortie:
30 septembre 2022Label:
EisenwaldNote du SoilChroniqueur (Seblack) : 8,5/10
Face à l’avalanche des sorties d’albums, on finit parfois par éprouver une certaine lassitude d’enfant gâté.
Tout finit par ressembler à quelque chose existant déjà.
Non que cette musique provenant des quatre coins du monde soit mauvaise… mais il lui manque de plus en plus souvent ce petit quelque chose qui fait relever la tête en se disant, c’est quoi ça ?
Et bien ça : c’est Givre, un groupe québécois. Cet opus n’est pas une nouveauté au sens strict du terme, puisqu’il s’agit d’une réédition de leur deuxième album (paru en numérique puis sur cassette l’an dernier). Cette réédition intervient avec la sortie imminente de leur troisième album par le label Eisenwald, elle est agrémentée de deux titres bonus : « Adieu Toute Playsante Joye » et « Couronnée d’Étoiles » qui est l’adaptation d’un chant à la Vierge Marie composée par la Communauté de l’Emmanuel.
L’adaptation d’un chant à la Vierge Marie ? Oui, vous avez bien lu… Vous comprendrez donc mieux pourquoi Givre a rapidement réussi à piquer ma curiosité…
Déjà l’origine de la formation est de nature à me faire sortir de ma torpeur : la scène black de nos cousins du Québec étant à mes yeux une des plus qualitatives.
Mais plus encore c’est la singularité de Givre qui a aiguisé mon intérêt. Un album qui puise son inspiration dans la poésie, la littérature et l’histoire est toujours de nature à m’intéresser…mais un groupe de black qui n’hésite pas à piocher dans la culture et la religion catholiques pour créer sa musique…là ça devient vraiment très intrigant. Même si ce n’est pas totalement inédit, avouons que c’est quand même peu banal. Pour peu, on pourrait presque y voir une forme de provocation à l’égard d’un milieu où les croix sont davantage renversées qu’autre chose. Mais je ne pense pas du tout que ce soit la motivation du groupe.
Mais laissons un peu de côté cet aspect car de manière plus générale c’est dans la période médiévale que Givre puisse l’essentiel de son inspiration (que ce soit dans le domaine profane ou sacré donc). Rebattons Notre Chair Villainne avec son ambiance lugubre et mystique est l’adaptation d’une prière de flagellants de la période de la Peste Noire. Jamais ne Vestiray que Noir et Sources de Plour sont des rondeaux de l’auteure Christine de Pizan (1364-1430). Là encore la mort et la tristesse habitent ces deux titres remplis de mélancolie, le premier est d’ailleurs accompagné d’un chant féminin. Adieu Ces Bons Vins de Lannoys est l’adaptation d’un chant du compositeur Guillaume Dufay (1397-1474), ici le rythme se veut plus emmené mais toujours dans une ambiance mêlant rage et tristesse comme l’illustre l’association entre chant black et chant monastique.
Finalement seul le morceau La Blanche Biche fait une incursion dans le XVIe (et encore ce thème de la Blanche Biche est un motif très répandu au Moyen Age). Ici il s’agit de l’adaptation d’une complainte assez cruelle (qui a d’ailleurs été reprise par Tri Yann dans les années 70 me semble t-il).
A la lueur de ces éléments on pourrait donc rattacher Givre à la scène Black Médiéval en plein développement depuis quelques années. Toutefois la tonalité très triste des morceaux et plus encore le choix de sujets religieux l’en démarquent un peu. Quelques groupes de black médiéval ont déjà pu frôler de manière directe ou indirecte cette thématique, mais globalement la plupart évoquent davantage la chevalerie, les batailles, les révoltes, les forteresses imprenables, les contes et légendes, les épidémies, un personnage en particulier etc. Peu, me semble-t-il, osent mettre les pieds dans la question de la foi, pourtant centrale dans la période médiévale. Givre le fait, c’est audacieux et pas aussi contradictoire qu’on pourrait le penser de prime abord. A bien y réfléchir le black metal et la foi chrétienne ont plus de choses en commun qu’on ne pourrait le penser, outre le fait qu’ils sont finalement les deux versants opposés d’un même paradigme.
En effet le catholicisme comporte ses faces très sombres lui aussi. De mon point de vue, il y a dans le catholicisme une fascination intrinsèque (consciente ou inconsciente) pour la violence et le sang : nul besoin de rappeler comment a fini le Christ, sans oublier tous ces martyrs devenus Saints après avoir été suppliciés de toutes les manières possibles et imaginables. La pochette et le titre de l’album : « le Pressoir Mystique » l’illustrent bien. Dans cette allégorie de la Passion, Dieu le Père presse son fils comme une grappe de raisin et son sang qui coule devient le vin.
Plus encore, et c’est particulièrement vrai pour la période médiévale (et encore aujourd’hui dans certaines franges les plus radicales), la quête du Salut, la crainte de la damnation ou tout simplement de la mort ont conduit les catholiques à des pratiques religieuses fondées sur la souffrance physique et mentale : flagellations, dolorismes de toutes sortes, jeûnes interminables, claustration…autant de châtiments consentis et alimentés par un mysticisme d’une noirceur sans nom. Le morceau Rebattons Nos Chairs Villaine en est un exemple avec ces moines priant et se flagellant pour implorer Dieu dans une période où la Peste était en train de faire périr entre un tiers et la moitié de la population européenne.
On pourrait ajouter à cet inventaire les exactions commises contre ceux jugés comme païens ou hérétiques…mais on sortirait, là, des aspects abordés dans « le Pressoir Mystique« . En un mot comme en cent, vous l’aurez compris (ou pas), le catholicisme offre un terreau d’inspiration qui n’est pas si incompatible que cela avec l’univers black métal. L’imagerie catholique des Enfers ou des supplices est d’ailleurs largement utilisée dans la scène métal en général (black, death, doom notamment). Givre va simplement plus loin encore en s’appropriant aussi un certain nombre de textes et de symboles (comme le sacré cœur ornant le logo du groupe).
Au delà de tout cela la musique proposée par Givre est à l’unisson de la noirceur des thèmes. Le son est brut, peut-être un peu brouillon sur les premiers titres, mais tout cela sied parfaitement aux ambiances lugubres qui sont développées. L’usage d’enregistrements, de chant féminin, de diverses parties instrumentales offrent des respirations contemplatives appréciables. Tout en comportant quelques imperfections, l’ensemble se tient parfaitement et on peut affirmer qu’avec « le Pressoir Mystique« , Givre s’affirme à la fois comme une formation des plus singulières et des plus prometteuses .
Tracklist :
1. La Croix (01:17)
2. Rebatons Notre Chair Villaine (05:19)
3. Blanche Biche (04:37)
4. Jamais ne Vestiray que Noir (6:12)
5. Source de Plour (04:12)
6. Adieu Ces Bons Vins de Lannoys (04:19)
7. Adieu Toute Playsante Joye (04:07)
8. Couronnée d’Etoiles (04:08)
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