Note du SoilChroniqueur (SlyTale): 7/10

Si je vous demande le point commun entre Michael Jordan, Dawson, les Tortues Ninjas et les Frères Scott, vous me répondez quoi ? Qu’il faut que je cesse immédiatement le gros pif qui tâche au petit déj’ ? Euh… Dites donc les gens ! Je ne vous permets pas d’insinuer insidieusement que je commence à la Villageoise dès potron-minet ! C’est quand même pas ma faute si je suis un nuiteux et que votre six heures du mat’ correspond à mon vingt-deux heures trente ! Et puis d’ailleurs la question n’est pas là, je suis un sportif de haut niveau qui doit s’astreindre à un entraînement intensif (13 crises de goutte en 9 ans, la première à 29, traitement médicamenteux à vie prescrit à 35, on obtient pas ses résultats par hasard) ! Non, le point commun, c’est Wilmington en Caroline du Nord, USA, petite bourgade tranquille de 112 000 habitants (environ hein ? On est pas à deux vaches près) qui a vu éclore Michael Jordan, et être le lieu de tournage du film des Tortues Ninjas, ainsi que des séries Dawson et Les frères Scott. Mais si je fais un petit focus sur cette ville, ce n’est ni pour les Tortues (fussent-elles ninjas, je me méfie énormément des bestioles qui vivent dans de l’eau), ni pour les séries à l’eau de rose (elle est peut-être « de rose », c’est de l’eau quand même). Non ! Si je vous parle de cette ville, c’est parce que c’est elle qui a vu naître He is Legend dont je vais parler aujourd’hui.

Je me dois d’être parfaitement honnête. He is Legend, ça me parlait autant que l’article L434-1 du Code Rural et de la Pêche Maritime qui stipule que « les exploitations agricoles affermées sous la forme dite à domaine congéable sont soumises aux dispositions du titre Ier du livre ci-dessus mentionné, sous réserve des droits particuliers des exploitants sur les édifices et superficies appelés droits réparatoires ». Et sincèrement, leur dernier album en date, Few, m’a fait en première impression le même effet que l’article dont je viens de vous donner lecture : un truc lourd, indigeste, qui vous laisse le bide dans le même état que si vous aviez bouffé une enclume parce que votre médecin vous avait prescrit du fer. Outre le fait que pour se bouffer une enclume il faut vachement faire confiance à son anus, vous risquez une hémochromatose expresse qui vous enverrait directement à la mise en bière sans passer par la case départ, ne touchez pas 20 000 francs et laissez vos ayants-droits se démerder pour payer la facture de Roc’Eclerc.

Alors pourquoi un tel accueil ? Je ne suis pourtant pas un public difficile. Mon statut de musicien/chroniqueur m’oblige en plus à ne pas prendre pour moi l’adage « La critique est aisée et l’art est difficile » (Philippe Néricault, dit Destouches, 1732) parce que si je sais pertinemment que l’art est difficile, je ne peux que réfuter que la critique soit aisée. Sauf à être un piètre chroniqueur (parce que chroniquer, c’est faire une critique – subjective qui plus est) qui balaye d’un revers de la main l’œuvre qu’on lui soumet. J’en veux pour preuve que si un mec se pointait vers moi en me disant « Sly, Vae Viktis, c’est de la merde ! », « Ah bon ? Mais pourquoi tu dis ça ? », « Ben parce que c’est de la merde », devant l’absence totale d’arguments qui frôle l’insulte gratuite, il aurait toutes les chances de se voir enfoncer mes baguettes tellement profondément dans le cul qu’il en chopperait des échardes dans les gencives. Je veux bien qu’on aime pas quelque chose, encore faut-il, a minima, développer un peu. Et c’est exactement dans ce cas de figure que je me suis retrouvé avec Few.

A la première écoute, j’ai pas aimé. Mais la conscience professionnelle qui me caractérise m’obligeait à pousser plus loin et, si je devais réellement me montrer négatif, il fallait quand même que j’agrémente mon papier d’arguments concrets. Était-ce le son qui me rebutait ? Alors là, pas du tout. Au contraire même ! Le son obtenu par Al Jacobs du Warrior Sound Studio est dantesque. Il prend à la gorge, tous les instrus ressortent avec une force et une définition parfaite. On a affaire à un son type Nu Metal, pas original parce que nombre de groupes aujourd’hui sonnent comme ça (dans le sillage des Korn, Limp Bizkit ou Deftones) mais diablement efficace. Concernant cet aspect des choses, je me permettrai de paraphraser Forrest Gump : c’est tout ce que j’ai à dire à propos de ça.
Les musiciens alors ? Peut-être avons-nous affaire à des jeunes pleins de fougue mais dont la médiocrité technique les empêche d’exprimer leur sensibilité musicale ? Alors là, pas du tout (derechef). Au contraire même ! Nos Caroliniens du Nord (je ne sais pas trop comment on appelle les habitants de Caroline du Nord) ont plein d’influences, refusent de s’enfermer dans un seul style et passent du nu metal au stoner, du groove metal au heavy pur (énumération non exhaustive) en permanence et sans afficher de faiblesse technique. Et c’est ça qui me gênait. Je reviendrai sur l’utilisation de l’imparfait de l’indicatif un peu plus tard.

C’est ça qui me gênait parce qu’autant j’aime ces groupes qui ne se cantonnent pas à un genre (les maîtres en la matière étant Queen), autant là, je trouvais que c’était trop. J’avais l’impression que l’oreille ne pouvait s’accrocher nulle part, que ça partait dans tous les sens et que ça rendait leur travail impossible à cerner, à la limite du fouillis. Oui, c’est ça. J’avais le sentiment d’être en présence d’un joyeux bordel musical genre marché du mardi sur la place du village où monsieur Pichon le boucher à qui vous avez demandé 600 grammes de macreuse à pot au feu parce que vous avez invité la Grand Tante Yvonne des Deux-Sèvres (79, chef-lieu Niort, petite private joke au passage ^^) vous sort le célèbre « Y en a un peu plus, je vous le mets ? »

Et puis j’ai pris le problème à bras le corps et je me suis forcé à écouter, à essayer de trouver des repères, à m’accrocher à des riffs ici ou là en ne perdant pas de vue que j’ai déjà eu, par le passé, affaire à des albums qui nécessitaient plusieurs écoutes pour se dévoiler. N’en sont-ils pas meilleurs au final ? Je ne saurais dire. Un album qui te scotche la gueule au premier rendez-vous c’est frais aussi, mais un album qui se dévoile au fur et à mesure ça à son charme quand même.
Et c’est ainsi, en intellectualisant mon approche de He is Legend, que je suis passé de l’étal de Monsieur Pichon à l’imparfait de l’indicatif. A trois chansons près, soyons précis. Parce que, entre nous, y a trois titres, j’ai eu beau me forcer (le terme n’est pas exagéré), je n’ai jamais réussi à leur trouver d’intérêt : « Jordan », « Gold Dust » et « Vampyre » (encore que « Vampyre », si, après le break ça envoie pas mal, mais la première moitié… Pfff !) Ça sonne un peu « remplissage » pour moi, ce qui ne me paraît pas nécessaire parce que Few contenant 12 titres, t’en virais 3, il en restait 9 c’était à mon humble avis, bien suffisant.

Mais sinon pour le reste, c’est franchement bon. Ça a été dur de rentrer dedans la première fois, mais une fois à l’intérieur, on y est bien (… désolé…) !
« Air Raid », qui ouvre le disque, vous accueille avec une intro planante (qui me fait penser à « Cyberfreak » de Treponem Pal dans la construction batterie/basse/guitare en son clair avec effets) avant d’envoyer l’alternance bourrin (pré-refrains, refrain) et le calme (couplets, solo de guitare – très beau, plein de feeling qui me renvoie aux albums solo de Marty Friedman). Assurément un très bon titre d’ouverture (peut-être le seul que j’ai apprécié tout de suite).
« Sand », ensuite, commence à taper dans le déroutant : ça attaque en mode hyper bourrin lent et lourd avec un riff dont la finesse se rapproche assez d’un étau que l’on serre sur ton crâne, et quand tu sens ton cerveau qui sort par les oreilles, hop ! Un petit coup de Bétadine sur un petit passage clair tout meugnon funky sur lequel une grosse gratte saturée vient se poser pour soutenir l’arrivée du chant. Étonnant, inattendu et ça a failli être rédhibitoire. Heureusement que j’ai pas lâché le morceau parce qu’au final, « Sand » est assez sympa. Pas un morceau d’anthologie, mais sympa.
… Alors que « Beaufort », « Silent Gold » et « Alley Cat » qui suivent sont, elles, carrément bonnes, dans des ambiances totalement différentes, hyper groovy avec une wha-wha sauvage pour « Beaufort » qui s’honore de passages assez aériens, et un break à la Type O Negative particulièrement réussis. Et « Silent Gold » mise sur l’atmosphérique pour mieux vous enfoncer un refrain énorme. Putain, quand je disais tout à l’heure que je m’étais mis en quête de « points de fixation » pour appréhender ce Few, le refrain de « Silent Gold » en a indéniablement fait parti. Quant à « Alley Cat », c’est encore son approche funky (mais beaucoup plus assumée que sur « Sand ») mêlée à un refrain sur lequel la gratte s’amuse qui avec un petit gimmick déstructuré qui fait son petit effet, surtout avant de taper dans un stoner dont on se demande ce qu’il fout là mais qui, au final, à toute sa place.
Et puis on enchaîne sur deux titres que je trouve moyennasses. « Jordan » dont seule l’intro lourde et angoissante surnage un peu, et « Gold Dust » qui n’est pas, à proprement parler une mauvaise chanson mais qui n’est pas franchement bonne non plus. Et là où le bât blesse, c’est que ces deux chansons sont pile au milieu de l’album, quand on attend un second souffle.

Mais, fort heureusement les trois chansons suivantes sont d’un autre acabit. Tout d’abord « Call Ins », très posée, très sombre, avec un couplet doom qui, mise en contraste avec la voix tout en douceur de Schuylar Croom offre un bouquet d’émotions à la limite du palpable. Du grand art !
Puis « Eastern Locuts », qui se trouve être la suite de « Call Ins », dans une histoire de maison hantée, où le fantôme hante autant la maison que la maison le hante. Concept sympa s’il en est, et si « Eastern Locuts » est un ton en dessous de « Call Ins », ça reste un bon morceau (surtout vers la fin).
Que dire de « Fritz the Dog » ensuite ? Que je l’aime. Entre blues, jazz, psyché, groove metal, cette chanson lorgne vers Faith No More. Et j’aime bôôÔcoup Faith No more !
« The Vampyre » qui vient ensuite est plus que quelconque (mis à part le break, et un peu la fin qui ont vaguement trouvé grâce à mes oreilles comme je l’ai déjà mentionné). Déjà je la trouve pas terrible, mais après « Fritz the Dog », elle fait fade. Mais faaaaaaade !
Et puis arrive le très bon « The Garden ». Une intro à la Black Sabbath, lente, lourde, oppressante, et un couplet tout bancal sur lequel la voix hypnotique de Schuylar Croom me fait penser à celle de Olivier Coulon de Mother & Pearl (c’en est même impressionnant), même si je doute fortement que les ricains aient la moindre idée de qui est ce groupe lyonnais que je ne saurais que trop vous conseiller (au passage). Le refrain aurait pu être composé par Dave Mustaine sans problème, le break planant est savoureux, le solo de gratte en outro fade out démontre toutes les qualités entendues dans ce domaine depuis le début du disque, bref, un morceau de clôture digne de ce nom.

Alors oui, Few, de He is Legend m’a demandé un temps d’adaptation. Mais je vais vous dire un truc : je ne regrette pas d’avoir persévérer parce que, hormis trois chansons sur douze (soit un quart du skeud quand même, d’où une note pas aussi élevée que ce qu’elle aurait pu être), j’ai pris beaucoup de plaisir à les découvrir. Bon, je ne me le passerai pas en boucle, éventuellement j’en extrairai un ou deux titres (« Fritz the Dog » en premier chef) si je venais à me créer une sélection musicale sur mon lecteur windows multimedia pour passer le temps quand je plie le linge (oui parce que je suis un homme moderne, je plie le linge… même si ça me fait royalement chier), mais ça n’ira pas plus loin. Ceci dit, ce n’est que mon avis. Peut-être n’étais-je tout simplement pas le plus réceptif à leur univers, je vous invite (et vous inviterai toujours) à vous faire votre propre opinion. Mais n’oubliez pas : si de prime abord vous avez envie de couper court, insistez un peu et laissez-leur une chance. Ils la méritent.

Tracklist:

01/ Air Raid
02/ Sand
03/ Beaufort
04/ Silent Gold
05/ Alley Cat
06/ Jordan
07/ Gold Dust
08/ Call ins
09/ Eastern Locuts
10/ Fritz the Dog
11/ The Vampyre
12/ The Garden

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