Note du soilchroniqueur (Tremens) : 9 /10

Jenks Miller fait partie de cette vague d’artistes protéiformes qui se laissent guider par l’inspiration plutôt que par les limitations d’un genre ou d’un style. Ce polymorphe de Chapel Hill, Caroline du Nord, en plus d’appartenir à divers groupes (Mount Moriah, Un Deux Trois, In the Year of the Pig) mène ainsi son propre navire en solitaire avec Horseback. Le dernier en album en date et premier avec l’écurie Relapse, Half Blood, reflète bien cette nature changeante propre à son créateur.

Car Half Blood est une hydre à deux têtes. La première est constituée d’un savant et improbable mélange de Stoner midtempo psychédélique et de vocal Black Metal, alors que la seconde lorgne plutôt du côté du Drone Ambiant empreint de mysticisme. Disons-le d’emblée : quiconque se sent interpellé par ce descriptif devrait se procurer l’album de toute urgence, tant il est exécuté avec un naturel aussi surprenant que le mariage impie des éléments qui le composent. Soyez toutefois prévenus : il ne s’agît pas ici d’un album pour faire la fête, mais plutôt d’une expérience introspective à savourer en solitaire de préférence. Et quelle expérience…

La partie plus Metal, constituée des morceaux «Mithras», «Ahriman» et «Arjuna», n’a vraiment de Metal que la voix BM particulièrement râpeuse de Jenks Miller. En effet, on a plutôt droit à un Stoner Rock Groovy et planant qui perd en extrême ce qu’il gagne en atmosphère. Les toutes premières secondes de «Mithras» pourraient faire penser à la reprise de «I Heard It Through the Grapewine» par Creedence Clearwater Revival par exemple, et on ne quitte jamais tout à fait ce registre au long des trois titres – l’obscurité en plus. Obscurité certes nourrie par le chant de Miller et les distorsions de guitares, mais aussi par de discrètes nappes de noise qui rampent parfois en arrière-plan du paysage poussiéreux qu’Horseback est en train de nous peindre. Ces trois morceaux sont jouissifs et constitueront pour beaucoup le point culminant de Half Blood.

Car l’autre moitié de l’album – «Inheritance (The Changeling)» et les trois parties de la suite «Hallucigenia» – sera sans doute moins accessible à la première écoute, mais non moins fascinante. «Inheritance» est une tapisserie légèrement angoissante constituée de synthé, d’effets électroniques, de piano, de samples, de larsens de guitare, d’un peu de percussions et de spoken words. Le malaise hypnotique qui s’installe en première partie cède peu à peu la place à l’appaisement et à la contemplation. «Hallucigenia», quant à elle, est une fabuleuse errance méditative dédiée à Hermès Trismégiste, figure mythologique liée à la philosophie, la médecine et l’alchimie. «I : Hermetic Gifts» fait penser aux ambiances dérangeantes de Current 93, époque All the Pretty Little Horses ; le shamanique «II : Spiritual Junk» ne nous propulse pas vers les étoiles mais nous aspire plutôt sous la terre et ses méandres volcaniques. Et pour conclure en beauté, que demander de plus que «III : The Emerald Tablet» et son Krautrock minimaliste et lancinant, dénué de toutes ténèbres, tel une douce illumination…?

Admettons-le, la nature schizophrène de Half Blood surprend et pourrait décevoir tout auditeur insensible à l’un ou l’autre des styles couverts, le transformant ainsi en simple (quoique excellent ) EP. Quoiqu’il en soit, il faut reconnaître à Miller un talent incroyable pour la composition et le menu détail (l’album gagne d’ailleurs à être écouté avec des écouteurs pour en saisir toutes les subtilités). Une réussite magistrale pour un one-man band donc, et parions que Jenks Miller, que ce soit avec Horseback ou ses autres projets, sera bientôt une figure culte adulée par de nombreux aficionados d’horizons divers.

Site officiel : horsebacknoise.com/
Page Label : www.relapse.com/label/artist/horseback.html
Bandcamp : horseback.bandcamp.com/