Line-up sur cet Album
Jan Akkerman : guitare, compositeur (exceptés 2 et 5) Guest : Coen Molenaar : clavier, production / David De Marez Oyens : basse acoustique et électrique / Marijn van den Berg : batterie
Style:
Rock Progressif / JazzDate de sortie:
25 octobre 2019Label:
Music Theories RecordingsNote du SoilChroniqueur (Quantum) : 9.5/10
“L’idole se différencie de Dieu en ce qu’elle est quelque chose alors que Dieu est tout.” Ludwig Feuerbach
J’ai, parmi les nombreux défauts qui construisent ma personnalité, deux grumeaux dans ma vie qui m’empêchent d’être un honnête auditeur. Le premier, et qui ne concerne pas uniquement la musique, c’est de ne jamais écouter les recommandations que l’on me fait. Au plus ces dernières sont élogieuses et nombreuses, au moins je vais les écouter. Voilà en partie pourquoi je suis passé, durant toutes ces années, à côté de certains chefs d’œuvres, qu’ils soient musicaux, cinématographiques, télévisés (bon ça, vous me direz, il n’y en a pas beaucoup alors ça va…), picturaux, etc. Et le second, et non des moindres, est de ne pas avoir d’idoles franchement assumées. Non pas que je ne reconnaisse pas le talent quand il frappe à ma porte, mais je n’ai jamais été jusqu’à mettre sur un piédestal un artiste. J’ai avoué du bout des lèvres ou des doigts sur mon report du Hellfest que je vouais ce qui se rapprochait le plus de l’admiration à Tom Warrior du groupe Triptykon et de feux Celtic Frost et Hellhammer, mais pour le moment c’est tout. Et le problème est que, lorsque certains trouvent un artiste exceptionnellement bon, s’il n’est pas chanteur ou saxophoniste déjà j’ai du mal à voir où se situe le talent, mais en plus ce constat de talent rebondit sur moi comme une bille sur le ventre proéminent de Pavarotti. C’est en cela que j’ai bien été embêté quand notre Grand Architecte de l’Univers, notre Fontaine à Nectar de l’Olympe et notre Boussole d’Or m’a confié le dernier album de Jan Akkerman parce que d’une part je ne connaissais absolument pas ce monsieur, et d’autre part c’est un guitariste. Or, je maitrise l’art délicat de la guitare comme un cul-de-jatte maitriserait le twerk…
Alors, qui est Jan Akkerman? Ne vous méprenez pas les ami(e)s, je me pose surtout la question à moi-même dans un élan égotique. Voici donc la petite voix encyclopédique dans ma tête qui me parle et qui dit à peu près ceci : « Cher Quantum, tout d’abord mes félicitations car tu viens d’avoir entre tes mains l’album d’un grand monsieur de la musique rock, et le pire c’est que tu l’ignorais totalement! Jan Akkerman est un guitariste néerlandais qui est né en 1946. Ce charmant monsieur qui aime les tulipes et les moulins, et qui chante à ses heures perdues dans le port d’Amsterdam, a donc 73 ans. Il a connu le succès en créant un groupe qui se nommait Focus, fondé en 1969 et qui est toujours actif à ce jour mais sans lui. D’ailleurs c’est le moment de faire un Focus (oh oh ooooooooh, oui ma voix intérieure fait des blagues pourries et les assume mais qu’avec moi) : notre guitariste a depuis sorti durant sa carrière pas moins de trente-deux CDs en comptant son dernier album qui est sorti le 25 octobre 2019 et qui s’appelle Close Beauty. Considéré par beaucoup de ses pairs et des fans comme l’un des meilleurs guitaristes de rock, c’est donc tout naturellement que tu devrais kiffer ta race. Wesh! » Oui, ma voix intérieure est aussi pleine de sarcasme et se moque régulièrement de ma trogne. Mais voilà pour les présentations! J’ai donc la tâche importante et honorante de faire la chronique de Close Beauty, album solo de Jan Akkerman, et qui est sorti chez Music Theories Recordings.
Album qui, une fois n’est pas coutume, commence par la pochette. Et ici, cette dernière est particulièrement étrange mais esthétiquement très belle. On a donc un décor de plage au soleil couchant mais le ciel chargé de nuages bas et gris. Sur cette plage on retrouve le fameux Jan Akkerman en fond de scène, en train de regarder tout en jouant de sa guitare un couple vénitiens, carnavalesques, qui danse ce qui ressemble à un tango. Les couleurs sont vives, notamment des deux personnages énigmatiques, je n’ai d’ailleurs pas reconnu s’il s’agissait de personnages carnavalesques connus comme Arlequin, Polichinelle ou Pantalon par exemple. Limite le personnage masculin me fait penser à un joker sur les cartes à jouer mais de couleurs différentes. Quel sens mettre à ces personnages? Probablement une métaphore de la beauté, de la volupté qui seraient les maîtres mots de l’album si l’on se dit que Akkerman est un virtuose de la guitare. Une manière probablement pour lui de représenter son talent. C’est donc sans surprise aucune que je trouve la pochette très belle. Après, subjectivement parlant, ce n’est pas vraiment le genre de pochette que je trouverais tape-à-l’œil puisque les personnages carnavalesques ne me parlent pas plus que cela. Sans compter que je n’ai que le devant de la pochette à me mettre sous la dent, l’exemplaire physique étant un CD de promotion… Mais sur un versant purement objectif, j’admets volontiers et sans forcer que la pochette est très belle. Goed gedaan meneer!
Pour ce qui est de la musique, je vais reprendre mon introduction pour vous expliquer un élément essentiel : j’ai mis du temps à rentrer dans le CD. Attention, je n’ai pas eu l’exemplaire physique entre mes mains à sa sortie, mais bien milieu 2020. Je veux bien être en difficulté pour chroniquer des physiques récupérés inopinément, mais tout de même… Simplement, comme je n’ai pas été emballé par le sieur Akkerman comme un guitariste cultivé le serait, j’ai eu du mal à entrer dedans pleinement. Il m’aura fallu, pour l’anecdote, surveiller ma fille de trois ans dans ses jeux en bas de l’immeuble avec les autres enfants, mon mp3 à l’oreille et mon carnet d’écriture spécial Hellfest pour enfin réussir à coucher sur papier quelques lignes de brouillon.
Mais alors, une fois le rideau levé, quel spectacle. Quel bonheur auditif. Quel chef d’œuvre putain! Vous voulez du rock, du vrai rock bien construit, avec un talent monstrueux et une bonne dose d’éléments jazz? Foncez immédiatement vous procurer le CD parce que je suis resté littéralement sur le derrière. L’album est un ensemble assez classique du rock : guitare, batterie/percussions, basse, synthétiseur/piano et c’est tout. Pas d’autres fioritures que ces instruments-ci, pas de sophistication outrancière. Juste un ensemble instrumental classique, qui sent bon la nostalgie. Pas de chant du tout, un album instrumental comme on n’en fait rarement. Je ne m’étais pas autant régalé sur du rock depuis… Depuis… Pfiou! Je ne me souviens même plus, pour vous dire. L’extase!
Mise en garde qui m’apparait obligatoire, cependant : ne vous attendez pas à un rock agressif! On parle ici d’un rock qui oscille entre le prog et le jazz, donc vous aurez plus à faire avec des compositions posées plus que de l’entrainement et de l’énergie.
On n’en attendait évidemment pas moins, mais le son de l’album est aux petits oignons. Digne de l’expérience et de la persévérance d’un homme de la trempe de Jan Akkerman. La besogne faite en studio est tout simplement époustouflante, tout est parfaitement bien ordonné, à sa place. Ce que je trouve de particulièrement frappant c’est la place qu’occupe la guitare dans l’album. De prépondérante, elle est surtout ajustée de telle manière qu’elle n’est ni trop forte, ni pas assez, ce qui peut sembler risquer lorsque l’on sait que le principal instrument à mettre en valeur dans l’album, vu le palmarès du compositeur, est la guitare et que le reste n’est là qu’en accompagnement. Mais ce qui me parait totalement dingue est que la guitare occupe sa place de leadeuse sans être trop en avant, ce qui montre une incroyable humilité en parallèle du travail de composition. Les autres instruments sont tout à fait audibles, et ça je trouve que c’est excellent. Vous devez connaitre des albums où les musiciens principaux sont tout le temps mis en exergue et les autres accompagnants sont trop secondaires, voir n’existent pas. Ici pas du tout! Et ça, vraiment j’adore. Très bon point que le son donc!
Evidemment, on ne peut pas passer à côté de la virtuosité d’Akkerman et cela s’en ressent partout dans l’album. Aucun morceau n’échappe au talent. Ce qui me sidère c’est qu’il y a une démarche à deux poids deux mesures entre les compositions rock et celles plus jazzy : vous avez des compositions ficelées au poil de fesse près, et certaines qui transpirent l’improvisation. Pour vous citer deux exemples, je vous invite à écouter les morceaux que j’ai mis en lien pour que vous compreniez cette bipolarité qui ne fait qu’accroitre encore mon ébahissement. En fait, pratiquant le saxophone alto de mes six ans à aujourd’hui, j’adore le jazz, ce style incroyable où l’on laisse totalement place à l’inspiration en temps réel. Et je soupçonne fortement Akkerman d’avoir sur la moitié de son album improvisé ses morceaux ce qui me laisse pantois d’admiration. Beaucoup de morceaux ont une ligne de batterie et de synthétiseur/piano qui tourne en boucle et la guitare qui se colle par-dessus et qui semble glisser comme un savon noir sur une planche, alors que l’on sent qu’Akkerman s’est assis sur une chaise et a joué en temps réel. Une vraie prouesse que je souligne ici, et qui ne peut qu’attester encore du talent de ce monsieur.
Ce qui me plait aussi est l’alternance des cultures explorées par l’auteur. On a des ambiances très américaines, mais aussi quelques morceaux un peu orientaux, certains un peu russophones, etc. Un album plein d’histoire, d’expérience et de voyage et c’est ce qui fait un artiste : puiser dans ses souvenirs l’inspiration pour les revivre et les faire vivre aux autres. Contrat rempli, j’ai littéralement voyagé, les yeux fermés sur mon lit lors de la deuxième écoute. Ce qui fait de cet album une oeuvre hétéroclite, pleine de richesse mais cela, vous vous en doutiez de plus en plus je suppose.
La virtuosité sur la guitare se situe aussi dans la technique. Je disais que je ne suis pas guitariste et qu’en temps normal, les prouesses techniques des guitaristes virtuoses me passent au-dessus lamentablement. Mais je ne sais pas pourquoi, ici cela me transporte et je parviens à déceler l’utilisation de quelques pédales d’effets qui offrent une nouvelle facette sur l’utilisation plénière de l’instrument. Akkerman ne fait vraiment qu’un avec sa ou ses guitares et cela s’en ressent. En même temps, toutes ces années passées à jouer de son instrument fétiche n’a pu que renforcer les liens qui les lient ensemble, et cela saute aux oreilles que la guitare et l’artiste ne font ici qu’un.
J’ajouterai enfin que l’album réussit également la prouesse de ne pas être freiné par la longueur moyenne des morceaux qui durent environ sept minutes chacun. Tout coule comme du petit lait, aucun morceau ne m’a semblé trop long. Clair comme de l’eau de roche!
Je terminerai ici cette chronique sur le sentiment qui me parcourt l’échine quand je tombe sur un ouvrage d’une qualité aussi démentielle que Close Beauty alors que son auteur fait partie des artistes que mon entourage encense depuis des années sans que je ne l’écoute pour autant : j’ai honte. J’ai honte parce qu’au-delà de l’album qui est grandiose, c’est tout une histoire de la musique rock que je me prends en pleine figure et qui me fait l’effet de ces amnésiques qui se réveillent d’un coma en ayant le sentiment d’avoir tout oublié. J’ai honte parce cet album rassemble deux entités musicales que je vénère absolument depuis ma tendre enfance que sont le rock prog et le jazz. Et surtout, j’ai honte de ne pas avoir virtuellement rencontré un homme de génie qu’est Akkerman plus tôt, et que maintenant si la faute est réparée, il n’en demeure pas moins que je garderai toujours ce sentiment de honte toute ma vie car Jan Akkerman est définitivement un monsieur. Un Grand Monsieur de la musique et son album est un bijou aux milliers de carats. A ne surtout pas manquer, ne faites pas la même bourde intersidérale que moi!
Tracklist :
01. Spiritual Privacy (Sunset Tango)
02. Beyond The Horizon
03. Reunion
04. Close Beauty
05. Retrospection (Emotional Debris-The Power Behind The Throne-Hear The Trees Whistle For The Dog-Euridice)
06. Passagaglia
07. Tommy’s Anniversary
08. Don Giovanni
09. Meanwhile in St. Tropez
10. French Pride
11. Fromage
12. Good Body every Evening
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