Line-up sur cet Album
- Spellbound : composition, chant, paroles
- Alexis : guitare
- Stéphane : guitare
- Alex : basse
- Ben : batterie (studio)
- Guests :
- Ony Riah : chant additionnel sur 4 et 8
- Torve : chant additionnel sur 3
- Lenos Aeon : solo sur 2
Style:
Black MetalDate de sortie:
10 mai 2024Label:
Les Acteurs de l'Ombre ProductionsNote du SoilChroniqueur (Quantum) : 8.5/10
“Il y a de nombreuses manières d’écrire une histoire. Le sensationnalisme n’en est pas une.” Bob Dylan
Je me demande parfois s’il est légitime de faire une comparaison des albums entre eux par le biais d’une chronique. C’est souvent que je suis tenté de faire des comparatifs alors qu’en fait, chaque album a sa propre identité si on réfléchit bien. C’est une question difficile, parce que se heurtent intempestivement l’individualité et le collectif dans cette histoire. L’individualité qui se produit via un contexte de composition précis, parfois différent radicalement du précédent, et via le message qui doit être passé. Et le collectif parce qu’un artiste demeure ce qu’il amène comme particularité dans ses créations, la fameuse « patte de l’artiste » comme on dit vulgairement. Souffrant quelque peu d’un syndrome de l’imposteur par-dessus le marché, la tâche s’avère rude pour ce qui est de ma légitimité à chroniquer, et de comment je procède, et ce malgré les années de pratiques désormais. Cela interroge beaucoup notre façon d’être et de voir le monde, de faire de la chronique, un peu d’ailleurs comme faire de la musique. On y met de soi, on réfléchit avec notre expérience, notre vécu et notre vision erronée du monde qui nous entoure. C’est en cela que l’exercice périlleux de la chronique constitue une vraie interrogation complexe et réveillant les prémices d’une introspection pas forcément toujours voulue. C’est peut-être pour cela que l’on peine à garder des chroniqueurs, ils finissent par se rendre compte de l’ampleur de la tâche et de ce que cela demande en matière d’investissement personnel. Le jeu en vaut la chandelle toutefois, surtout quand la passion demeure intact et que l’on n’a pas peur de se remettre en question, ni de se confronter à ses doutes. Je lâche un peu la bride depuis quelques semaines, probablement par épuisement personnel, mais certains albums me donnent encore l’envie et l’élan nécessaires pour me remettre en selle et me lancer de nouveau dans une nouvelle chronique ! Ce n’est par ailleurs pas anodin que je me replonge dans le groupe dûment chroniqué ce jour, car la dernière chronique écrite pour lui intervenait dans une période extrêmement difficile de ma vie. Il sera donc de bon ton d’analyser si je suis moins dans la passion que pour fin 2022. Je pense qu’à l’avenir, il faudra que je fasse ainsi, que je me focalise sur des albums qui me donnent envie, plus que par découverte hasardeuse. Voilà donc venu le temps de faire une présentation de la prochaine sortie du label Les Acteurs de l’Ombre Productions, qui n’est ni plus ni moins que le groupe Jours Pâles et son dernier né nommé « Dissolution » ! Voilà qui s’annonce fort, pour une des sorties les plus attendues du label selon moi.
J’avais fait une belle présentation de Jours Pâles, à la hauteur de l’artiste derrière le projet qui fait partie des chanteurs que j’admire dans le milieu metal français actuel. Spellbound a fondé son projet dont le nom vient d’un ancien de ses groupes, Asphodèles, et de son seul et unique album, en 2020 et en parallèle avec son autre groupe non-moins connu en France, Aorlhac ! Quatre années plus tard, notre camarade cumule trois albums en comptant ce dernier « Dissolution« , les deux précédents étant de véritables chefs d’œuvres. Je le dis comme je le pense, et je ne suis pas le seul à le dire tant la réception des deux précédentes sorties était unanime. Maintenant, ce troisième album sonne probablement comme un acte de confirmation, mais encore faut-il réussir l’épreuve du feu comme on dit. Toujours est-il qu’aujourd’hui, dans le paysage metal extrême français, Jours Pâles résonne en à peine quatre ans comme une valeur sûre tant son créateur est un fantastique artiste. Je me lance dans l’écoute de « Dissolution » avec confiance !
Mais une première déception arrive assez vite à la découverte de l’album, et je suis bien désolé de cela, mais il s’agit de l’artwork. Comme je l’expliquais en introduction, il arrive qu’on tombe sur le cas de figure où faire un comparatif n’a pas de sens car chaque album, en l’occurrence, peut avoir sa propre identité. C’est manifestement le cas de « Dissolution » qui se veut radicalement opposé aux autres en termes de style. Après, ce n’est pas le fond qui me pose problème puisqu’il se pourrait que cette figure tricéphale avec des visages qui trahissent la colère ou la révolte donne le ton de la musique de Jours Pâles, très empruntées de ces sentiments. D’ailleurs, je trouve judicieux de faire une sorte de mutation de la droite vers la gauche avec ce premier visage qui fait penser à un enfant (voire un bébé), puis ce visage du milieu qui fait âge adulte et celui de gauche qui semble plus apaisé, les yeux et la bouche fermés comme si le temps calmait la révolte. Mais c’est plus la forme qui m’embête. Je n’accroche pas avec ce côté très graphique et cette couleur étrange, sorte de mélange et de contraste qui étrangement ne se voient pas tant que cela sur le format physique. Moi qui adorais les précédents artworks, je trouve que celui-ci amorce un virage trop important dans le visuel de Jours Pâles et je n’adhère pas du tout. Même le derrière du CD est pauvre en imagerie, et je ne crois pas que si je me mettais dans la peau d’un auditeur lambda dans un magasin de disques, je choisirais ce dernier pour une première découverte du groupe. Ce qui me revient à dire que le fond me plait, mais le style pas du tout. Cela ne revient pas à dire que la pochette est mal réalisée, objectivement parlant je ne me permettrais jamais de le dire, mais je ne l’aime tout simplement pas. Je pense qu’il y aurait eu moyen de faire bien mieux comme choix, et pour ne pas faire trop brutal comme changement.
En revanche, musicalement, on retrouve les mêmes ingrédients qui font cette fameuse « patte de l’artiste ». Un black metal dissonant et incisif, très mélodique sur des parties lead omniprésentes et cette redoutable alternance rythmique qui jongle tantôt sur des atmosphères calmes et tantôt sur cette agressivité qui vient tout droit des entrailles. Jours Pâles ne fait pas de la musique, il vomit littéralement la musique par tous les pores possibles, cette musique primitive et humaine à la fois qui fait que le black metal est d’abord et avant tout un genre personnel et profondément intime. La grande force de « Dissolution » est de reprendre cette forme de révolte qui fait que la composition des morceaux se calque sur les émotions du chant qui est selon moi l’ingrédient numéro un de Jours Pâles. Comme si c’était le chant qui dictait les instrumentations ! Alors, bien évidemment, le black metal est un genre qui va vers l’annihilation et donc le marasme, le malaise, le chaos. Les ambiances sont ainsi dramatiques et noires, la dissonance est de rigueur pour plonger l’auditeur dans l’aspect négatif de son auteur, dans sa tristesse. Mais là où certains utiliseraient ce que l’on appelle le « raw black metal » pour accentuer le caractère primaire des émotions humaines, Jours Pâles, lui, fait tout l’inverse. Il compose pour rendre plus abordable, plus travaillé et donc plus clair ce qu’il vise à nous faire ressentir. Et le résultat, comme les précédentes sorties, est efficace et fonctionne réellement comme un coup de poing en pleine figure. Ne vous attendez pas à un black metal old school, le groupe joue sur les ambiances, les rythmiques pour aller finalement sur un black metal assez mélodique, avec tout de même quelques passages en mid tempo, blast beat, et tout ce qui fait qu’on tend l’oreille. La construction composale demeure même parfois sur un registre progressif avec une vraie montée en puissance des pistes, quelques interludes calmes avec du chant crié, et un élément qui me semble nouveau : la participation de nombreux artistes soit en tant qu’invités, soit en tant qu’accompagnateurs dans la composition, musiciens à part entière de Jours Pâles. Il me semblait qu’à la base, Spellbound menait sa barque tout seul, mais il semblerait que pour Dissolution, il soit finalement bien accompagné. En tout cas, le résultat en première écoute confirme tout le bien que je pensais depuis le début de ce projet né des cendres d’Asphodèles. Dans la continuité des deux précédents, « Dissolution » constitue un album de très grande qualité, très riche en émotions et en riffs, le tout sur une base conceptuelle que je développerai plus bas et qui est assez rare. Un très bon premier constat !
La grande force de Jours Pâles, comme expliqué en amont, demeure sur le choix de la production pour illustrer sonoriquement son black metal. Communément, il est de bon ton de faire dans le raw pour le côté personnel et mélancolique que l’on peut rencontrer dans ce registre extrême. J’aime cette démarche, mais je suis toujours content de constater que certains projets sont capables d’allier avec énormément de talent le moderne et la mélancolie. On y reviendra. En tout cas, le passage en studio a amené une qualité sonore intense, avec un black metal résolument moderne mais qui reprend quelques cases primaires comme cette dissonance, ces guitares incisives et cette batterie qui tape sèchement et qui amène ce grand enveloppement rythmique qui fait que la musique de « Dissolution« prend aux tripes et frappe fort sur nos psychés. Le chant a une place prépondérante mais en même temps ce dernier est le moteur de Jours Pâles selon moi, la pierre angulaire d’un projet qui est là comme un exutoire. Franchement, je pense qu’il n’y a rien à dire de plus sur l’énorme boulot qui est fait là encore en studio pour faire vivre le débordement d’émotions qui émane du groupe. Le son est absolument impeccable !
Je m’attarde un peu plus sur un point que j’ai ressenti, qui n’est factuellement pas prouvé ni à prouver obligatoirement mais qui est tout simplement un ressenti qui émane de la lecture des paroles et de mes ressentis propres sur « Dissolution » : c’est un des rares albums que je connaisse à ce jour qui parle de présent. D’habitude, on a des albums qui transpirent la nostalgie, la résurgence ou tout simplement le passé, peu importe d’ailleurs la couleur et les nuances qu’il adopte. Et même si je ne doute pas de l’intention de se référer secrètement à un passé meilleur, je sais que souffrir du présent relève d’un passé douloureux. Et ayant lu quelques interviews où son créateur évoque ses problèmes de dépression, on sent que cette souffrance se traduit par une difficulté à supporter le présent. Et c’est une des rares fois où je ressens cette difficulté présente dans la musique. Lethargy, le groupe ukrainien fait récemment en chronique, m’avait fait cette même impression mais comme le concept était basé sur la guerre en Ukraine, je ressentais un peu moins la dimension personnelle contrairement à Jours Pâles qui, même s’il s’agit manifestement aujourd’hui d’un groupe à part entière, son créateur Spellbound nous partage cette fameuse souffrance qui se situe sur des sujets très actuels. Aborder les réseaux sociaux sur un morceau de black metal par exemple, je crois que c’est une première pour moi ! Et cela traduit bien que notre société actuelle est tout à fait vectrice de maux profonds. J’ai été très sensible à cette expression, je ne dirais pas que « Dissolution » a été mon préféré des trois sorties, mais le fait de vomir comme cela, avec une intensité monstrueuse, cette souffrance qui provient directement du présent et non du passé, cela me touche profondément. D’ailleurs, je ne serais pas surpris que cette figure tricéphale représente le cheminement des trois albums de Jours Pâles, comme une forme d’introspection en trilogie. Et si Dissolution constitue une forme de final à ce cheminement qui reste selon moi encore bien ancré dans le présent, je comprends alors pourquoi j’adore l’album mais un brin moins que les précédents. Parce que la fin n’est pas finie en quelque sorte.
Et pour finir, on ne pouvait pas passer à côté du chant. C’est indiscutable, le chant est THE instrument prépondérant selon moi dans l’élaboration chez Jours Pâles. Parce que Spellbound est incontestablement un excellent chanteur et frontman en concert, pour l’avoir déjà contemplé en live, il allait de soi que le chant serait le vecteur principal de la réussite de son projet. Les techniques de chant sont variées, plus par ailleurs que dans Aorlhac par exemple. Parce que le chant est l’expression principale de cette souffrance, de cette révolte ou de cette détresse qui sont les plus authentiquement chantées que je connaisse sur notre scène actuelle. Et sans parler technique, parce que le chant ici dépasse totalement l’entendement et que l’on est au-delà d’une analyse pompeuse de la technique vocale dans « Dissolution« . Il faut retenir que cette voix, ce phrasé, cette narration hurlée, n’est que le résultat d’une authenticité totale que personne ne devrait remettre en question. Le fait que les textes soient en français rajoutent indéniablement de la profondeur à ce chant et le mérite en revient davantage au chanteur car chanter en français en chant saturé est très difficile en termes d’articulation. Donc, bon. Un constat sans appel, un des meilleurs chanteurs français actuels dans notre scène. Que l’on me jette la première pierre si je dis une connerie, parole de chanteur envieux. Mention spéciale également aux chants additionnels judicieux et bien exécutés.
Au final, Jours Pâles sort aujourd’hui son troisième album nommé sobrement Dissolution chez Les Acteurs de l’Ombre Productions. Un album qui sonne comme une dissolution, soit comme un « état d’un corps primitivement solide dont les parties se sont séparées les unes des autres. » On parle ici d’un black metal résolument moderne, qui vise par sa production et ses mélodies dissonantes, nous faire vivre le plus possible les émotions de son maître à penser principal. Il s’agit selon moi d’un album d’une grande authenticité, avec évidemment un soin très apporté par son compositeur pour faire une musique riche et intense, mais qui laisse une place prépondérante aux émotions et donc à une forme d’imprévu. Le but étant de nous faire ressentir une souffrance enfouie, cet album sonne comme une mise à nu audacieuse et forcément touchante. Ce n’est pas mon préféré des trois sorties, mais j’ai quand-même eu mon empathie mise à rude épreuve et je crois que c’est la force indiscutable de Jours Pâles qui ne peut que faire l’unanimité sur notre scène par l’immense talent et la pudeur de son auteur principal Spellbound, que j’admire. A découvrir !
Tracklist :
1. Taciturne 04:58
2. La reine de mes peines (Des wagons de détresses) 07:06
3. Noire impériale 06:19
4. Les lueurs d’autoroutes 04:04
5. Réseaux venins 04:11
6. Une mer aux couleurs désunions 02:19
7. Limérence 05:41
8. Dissolution 06:30
9. Terminal nocturne 04:24
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