Line-up sur cet Album
S Caedes : chant principal Ahephaim : batterie, chant Irleskan : guitare lead, choeurs Arboria : guitare
Style:
Black MetalDate de sortie:
07 Avril 2020Label:
ThanatoskultNote du SoilChroniqueur (Quantum) : 8/10
« On est toujours dépendant d’autres êtres. Un être humain qui serait toujours seul avec lui-même dépérirait très vite, il mourrait. Pour chacun de nous, il y a des êtres décisifs. » (Thomas Bernhard)
La question de la solitude est toujours une étude sans fin… Certains la vantent car soit se suffisent à eux-mêmes, soit s’inventent un monde virtuel bien plus élogieux que pourrait l’être la réalité et les relations humaines. On ne va pas se mentir, des fois on aimerait tous quitter ce monde pour aller voir ailleurs si le bonheur y est plus confortable !
Dans le cadre de mon travail en psychiatrie, toute cette complexité faite de relations humaines et de vie difficile est notre pain quotidien. On se questionne tout le temps sur comment arriver à faire digérer cette réalité si souffreteuse à des personnes qui sont incapables de l’affronter seules. L’art est un excellent moyen. J’ai lu récemment une interview de Julien Truchan, qu’on ne présente plus, qui anime dans le cadre de son travail d’infirmier psy un atelier musical qui a débouché sur l’enregistrement de chansons en studio avec les patients. J’ai trouvé cette démarche soignante bien évidemment noble et belle mais aussi intelligente. La médiation par la création, voilà une piste à creuser pour faire verbaliser les gens sur leurs difficultés. [#musicothérapie, frère (Hans Aplastz)]
Mais la question la plus fondamentale encore est : jusqu’où s’arrête la frontière entre création et appropriation ? Je pense que le groupe Lebenssucht, dont j’ai l’immense plaisir de vous parler aujourd’hui, est une partie émergée de l’iceberg qui constitue la réponse.
Lebenssucht, ou « dépendance de la vie » en allemand, est un groupe qui existe depuis 2015 et qui est composé de membres aux nationalités différentes. On retrouve l’Allemagne et plus particulièrement Leipzig, mais aussi la Belgique et l’Autriche. De fait, les quatre membres qui constituent ce groupe sont issus de scènes différentes : Ahephaim, le batteur/choriste, est un ancien membre du groupe Enthroned en Belgique par exemple ; Irleskan, le guitariste soliste, est un membre du groupe autrichien de Black Metal Svarta, et les deux autres membres que sont Arboria, l’autre guitariste, et S Caedes, la chanteuse, sont allemands et sont notamment dans le groupe Humanitas Error Est. Tous des références en Black Metal, qui annoncent donc un album, qui est le premier au passage, plus que prometteur !
L’artwork est un peu désarçonnant, à des années lumières de ce à quoi je m’attendais intérieurement. Outre l’aspect black metal et le nom de l’album, -273,15°C, qui rappelle la température la plus froide de l’Univers – soit le « zéro absolu » – , je m’attendais effectivement à une pochette « froide » ; un travail un peu plus classique, du genre une pochette noire avec un motif blanc par exemple. Moi qui suis amateur d’innovation c’est un comble mais comme je suis assez sensible à mes premières impressions, j’étais prêt à avoir un artwork plus commun.
Ici, c’est une carte inattendue qui est jouée : le macabre, le sale. Nous avons un demi-visage de femme, ensanglanté, comme si cette dernière avait été frappée violemment ou s’était faite renverser par une voiture par exemple. Ce visage et, par injonction, son corps sont posés sur un sol avec des graviers blancs ou, de loin, ce qui me fait penser à des glaçons. Je reste sur mon idée fixe de froideur et j’échafaude une troisième hypothèse, qui me parait être la plus plausible : celle d’un suicide et d’un corps fracassé sur le sol. Il y a surtout ce regard, qui est imperceptible : on ne sait pas si la femme est morte ou si elle implore de l’aide et qu’elle souffre. Ce regard est vraiment troublant ; comme je suis une jouvencelle sur les films d’horreur ou gores, j’avoue être mal à l’aise, ce qui, je pense, est l’effet escompté. Même le logo du groupe fait plus « moderne » d’ailleurs : on dirait des grattements d’ongles. En fin de compte, comme je suis troublé, je pense que cet artwork a rempli son contrat parce qu’il ne laisse pas insensible. Je ne sais pas si tout le monde adhérera mais, en tout cas en ce qui me concerne, je relève avec attention ce malaise et je mets un bon point à l’artwork qui a le mérite d’être efficace sans être graphiquement soigné (sauf si, là encore, c’est l’effet voulu) et aussi innovant par rapport aux pochettes de Black Metal qui jadis circulaient. Bien joué !
Musicalement, c’est tout autant désarçonnant et, je dois l’admettre, il m’a fallu l’écoute entière de l’album pour ressentir un frisson de plaisir. Somme toute, la musique est vendue comme du Black Metal mais on est bien plus sophistiqué que cela comme musique. En fait, la fondation alcaline est bel et bien du Black Metal avec des blasts ravageurs, une batterie au service d’une rythmique linéale et des accords guitares équivoques mais il y a une dimension beaucoup plus inhabituelle, en tout cas pour moi, et qui fait sortir des carcans du old school Lebenssucht : son côté macabre. Plongeant l’auditeur dans un décorum de film d’horreur, un peu à la manière d’un K.F.R (ou Kafir) ou des films comme Frontière(s) ou Hostel, le groupe allemand nous met immédiatement mal à l’aise aussi avec sa musique. Pour dire la vérité, je suis bien heureux de faire la chronique de cet album en plein jour.
Le premier morceau est explosif, avec ce riff horrible et cette voix dont je parlerai tout à l’heure, mais qui donne des frissons. La faute en particulier au son général, avec des guitares mises en avant plus que d’habitude et un mastering qui laisse place à de nouvelles technologies modernes.
Certains passages sont carrément atmosphériques, comme sur le deuxième morceau « A Hole in my Heart », avec des jeux de sons intéressants sur les guitares, l’une étant lead l’autre étant en jeu d’accord.
Le passage suivant est plus lent, plus lourd, ce qui me laisse à penser que le son est là non pas pour étiqueter pour de bon Lebenssucht mais pour se mettre totalement au service d’un message de souffrance, assez lapidaire de surcroit, à faire passer.
Puis, comme sur le troisième morceau appelé « Moment of Violenc »e, et le quatrième, « Mirrors », les passages sont d’une rare violence et prennent aux tripes comme si l’on se faisait larder de coups de poignards.
C’est troublant, je ne saurais définir autrement le ressenti que j’ai en écoutant cet album et, indubitablement, le son y est pour quelque chose. Mention spéciale au passage en milieu/fin du quatrième morceau qui est carrément monstrueux, mélange de Doom et de Dark ambient comme j’ai pu retrouver sur l’album L’Acéphale du groupe éponyme.
La seule chose que je regrette sur l’ensemble des six morceaux de l’album, c’est la longueur des morceaux. Difficile de rester concentré sur un seul morceau quand tantôt il dure plus de sept minutes, tantôt pas loin de douze… Je pense qu’avec ce genre de démarche dérangeante, des morceaux plus courts eurent été plus avenants mais ce n’est que mon avis. En tout cas je sais déjà, en rédigeant cette chronique, qu’il va me falloir beaucoup d’écoutes pour vraiment trouver cet album emballant et excellent.
Enfin, attention ! Cinq morceaux, le sixième étant l’éponyme et étant surtout un morceau ambiant, par ailleurs encore plus sinistre que les autres.
Mais alors, le gros point fort (mais aussi un peu le point faible de l’album) reste les chants. Je dis bien « les » car, et c’est là le point fort, on les distingue bien.
Il y a de tout ! Du scream au bord de la Folie Furieuse (si la déesse Lyssa nous regarde/lit), agrémenté de quelques growls et quelques parties plus sludge. Dans tous ces chants, il y en a majoritairement que j’ai adoré et auxquels j’impute indéniablement le contraste macabre qu’il peut y avoir en parallèle avec la musique. Les growls par exemple sont là en accompagnements et c’est très bien ainsi, le chant plus sludge est là sur les parties les plus torturées (encore fallait-il faire « plus torturées » !) et, encore une fois, c’est très bien ainsi.
Le seul chant que je n’ai pas aimé, mais qui a le mérite d’être le plus impressionnant quand-même en termes de technicité, c’est le scream. On l’entend d’ailleurs au tout début de l’album sur le morceau « Trauerweide » (Saule pleureur) et j’ai été sur deux faces tranchantes : j’ai trouvé le chant particulièrement difficile à reproduire mais très mal choisi : on a clairement été dans le « trop » macabre et le chant scream est malheureusement trop nasillard, trop aigu, et a tendance à me faire grincer des dents. Je pense qu’il aurait fallu que la redoutable mais néanmoins charismatique chanteuse S Caedes monte moins en tessiture et soit plus normale. A moins qu’encore une fois, ce soit l’effet voulu…
Pour terminer, je dirais que Lebenssucht joue la carte d’un Black Metal non pas froid et distant mais macabre et prenant, ce qui contraste fortement avec le nom de l’album et qui a le mérite d’installer un climat de désordre tout au long de l’écoute. On ne ressort pas indemne d’une musique aussi torturée, aussi sanglante et tranchante. Peut-être pourrait-on voir chez Lebenssucht une volonté de s’affranchir des codes trop usés du Black Metal pour démouler un album nouveau et, ainsi, donner un grand coup de balai dans les archives pour faire place nette à un aspect moins exploré : le macabre. En tout cas, j’ai bien apprécié l’album ; je n’irais pas jusqu’à dire que j’ai été emballé mais je pense sincèrement l’acheter car c’est, à mon sens, le genre de CD que l’on apprend à aimer, quand l’on doit le dompter doucement avant de pouvoir le chevaucher infiniment. C’est donc sur une note bonne mais sans artifice que je vous recommande ce premier album de Lebenssucht.
Tracklist :
1. Trauerweide (7:11)
2. A Hole in my Heart (10:39)
3. Moment of Violence (7:07)
4. Mirrors (11:43)
5. Nullpunkt (8:58)
6. [-273,15°C] (4:28)
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