Line-up sur cet Album
- Guillaume Galaup : tous les instruments, chant
Style:
Black Metal AtmosphériqueDate de sortie:
13 janvier 2022Label:
Les Acteurs de l'Ombre ProductionsNote du SoilChroniqueur (Quantum) : 8/10
“Ce qui complique tout, c’est que ce qui n’existe pas s’acharne à faire croire le contraire. ” Michel Tournier
Récemment je me faisais la réflexion avec une de mes connaissances du milieu metal que j’avais fait probablement soit à part égale, soit plus de chroniques de projets solos que de groupes à proprement dits. Et quelque part, il y a une sorte de plaisir et de réconfort à se dire que le metal reste un moyen efficace et choisi souvent pour exprimer des états d’âme très forts pour certains musiciens. On a beau dire que c’est un style extrême, on peut y trouver parfois une poésie incroyable et une sensibilité qu’on ne soupçonnerait jamais dans un profil de musique plus mainstream par exemple, ou la bouillie qui passe actuellement dans les stations de radios que d’ailleurs, je m’efforce de ne pas ou plus écouter. Au moins, quand on se lance dans la chronique d’un projet solo, on sait que le seul risque potentiel qu’on va rencontrer, et non des moindres, c’est le défaut d’orgueil. Parce que la plupart ne se prête pas au jeu de l’oreille neutre pour améliorer leur musique, se contentant de leur ressenti propre et donc biaisé. Ou alors, les multi-instrumentalistes qui se contentent malheureusement d’une ligne de batterie totalement mid tempo, sans aucun effort de cassure rythmique ou de variations, et j’apprécie notamment les projets solos qui s’accompagnent d’une batterie de session par exemple. Mais sinon, on sait surtout, et c’est ce qui est le plus formidable, qu’on va avoir un ouvrage complet, sincère, réfléchi et surtout, surtout, très profond et très recherché. Quand on élabore un album solo, c’est comme écrire ses mémoires ou un roman, et c’est en général dans ces cas de figure que je découvre mes meilleurs albums conceptuels, mes préférés dans le milieu, réellement. Alors, oui. Quand je tombe sur un projet solo à faire en chronique, je suis toujours content de nature parce que je sais que je vais avoir tout ce que je recherche! Limbes, qui se présente à moi ce soir en toute humilité, va donc sur un nouvel ouvrage nommé « Écluse« . Et croyez-moi, vous ne sortiriez pas indemne.
Je dois admettre que de Limbes, né sur les cendres de Blurr Thrower, je ne connaissais pas grand-chose. Probablement l’un des rares projets signés sur le roster des Acteurs de l’Ombre Productions que je n’avais pas encore découvert, l’idée d’aller à la rencontre de ce projet m’a été soufflé pour une raison particulière : lorsque l’on m’a expliqué que Limbes se produisait sur scène avec son et unique musicien, Guillaume Galaup, qui s’entoure bien entendu de toute la programmation qu’il faut mais se produit donc réellement tout seul avec sa guitare et son chant sur scène. Une bien curieuse démarche, assez inédite dans ma connaissance somme toute modeste que j’ai de la scène metal extrême, mais qui a piqué ma curiosité au point, et bien aidé il faut le dire par ma reprise du partenariat avec le label, d’en faire la chronique. Écluse est donc la quatrième sortie du projet solo depuis sa création que je crois se situer vers 2019, ce qui, il faut bien l’admettre, commence à faire beaucoup de sorties! Un projet signé dans un très bon label, porté par une seule personne, et qui sort beaucoup d’albums ou d’EPs, ce qui semble être le cas d' »Écluse » au passage, il y a de quoi se réjouir et se dire que Limbes doit être extrêmement productif. On y va!
La pochette a été élaborée par Dehn Sora, membre solo de Treha Sektori et guitariste d’Ovtrenoir dont j’ai eu l’immense plaisir de faire une chronique pour les deux projets. J’avais découvert son travail en tant que graphiste par curiosité là encore, sans raison particulière, juste histoire de connaître davantage l’artiste polymorphe qui se cache derrière Treha Sektori. Le moins que l’on puisse dire, c’est que du talent il n’en manque pas! On pourrait se dire que la pochette se montre sur la forme assez simpliste avec ses deux mains qui se tiennent dans une forme d’accompagnement, puisque l’on distingue une main qui enserre l’autre, ce qui permettrait d’identifier quelle main a besoin d’être accompagnée par l’autre. Ce principe de photographie que je crois identifier comme étant de l’acting, je le trouve très opportun pour cette mise en abime de ce qui nous est révélé dans le dossier presse ou sur le Facebook de Limbes en personne : l’accompagnement. Comme le stipule cette phrase fort bien notée : « L’album relate un chemin de croix pour son auteur qui, après une vie de traumas, d’une moralité déviante et d’erreurs graves, se doit urgemment d’être en paix.« . Et dans sa recherche de paix, quoi de mieux qu’un accompagnant bienfaiteur? D’autre part, vous aurez remarqué la présence des épingles plantées dans les ongles de la main qui serre l’autre. La symbolique de l’épingle dans les ongles n’est autre selon moi que celle de la douleur, douleur physique mais également psychique avec ce procédé de ne pas voir jusqu’où va réellement l’épingle dans l’ongle, comme une douleur enfouie. Enfin voilà! Vous l’aurez compris, cette pochette de prime abord assez facile à comprendre sur le plan visuel, cache en réalité énormément de sens. Je salue donc le travail de réflexion incroyable de Dehn Sora, qui a pondu une pochette vraiment pleine de sens et parlante à tous ceux qui côtoient comme moi de près ou de loin la maladie psychique. Bravo! Excellent choix!
Pour la musique, j’ai entendu le terme black metal « cathartique » circuler plusieurs fois. Je rappelle comme cela, pour meubler un peu, que la catharsis est le procédé qui permet, que ce soit en philosophie d’Aristote ou la psychanalyse freudienne, la sublimation des pulsions par la remémoration affective. C’est, pour vous la faire courte et vulgaire, une sorte de libération des émotions et des pulsions dans un but de soulagement. Le terme en lui-même ne me déplait pas, mais je préfère celui de black metal atmosphérique pour parler de la musique de Limbes, ce qui ne m’empêche pas de reconnaître une réelle dimension cathartique dans la musique tant cette dernière semble n’être qu’un lent processus d’expiation des mauvais sentiments et des pulsions malsaines. Car « malsaine » est le mot totalement à brûle-pourpoint qui convient à la musique d' »Écluse« . L’album est une suite extrêmement linéaire, froide et incisive d’un black metal sans concession, ponctué par moment de quelques dissonances bien placées, permettant d’avoir cette sensation d’élévation qui est propre au black metal atmosphérique justement, le tout devant maintenir une forme sévère de linéarité pour aller vers une oppression de l’auditeur suffisante afin que ce dernier se nourrisse des profonds ressentiments, du négativisme extrême et de la sournoise mélancolie de son auteur. C’est dans ce genre de projet solo que je trouve que le black metal prend un sens particulier. Parce qu’on a l’habitude de ce fameux black metal des années reculées, qui était froid et incisif, mais la nouvelle vague actuelle a permis d’ajouter par-dessus une recherche émotionnelle et un moyen d’expression cathartique particulièrement important et adéquat au travers de cette musique linéaire. Le côté atmosphérique est effectivement devenu un moyen très précis d’exprimer des sentiments personnels spéciaux. Ce qui fait qu’au final, « Écluse » est un album qui s’écoute de manière fluide mais difficile, avec parfois, surtout quand on « vit » les albums qu’on écoute par l’empathie ou le processus transférentiel, des moments compliqués dans l’écoute. Personnellement, en première écoute, je ne pourrais pas dire avec certitude que ce serait le genre d’albums que j’écouterai à profusion tout le temps, ni que je l’ai adoré avec puissance tant je trouve quelques petits détails à régler notamment sur le chant, mais objectivement parlant, je me dois de reconnaître que c’est un (très) bon album. Un album que l’on devrait vivre à la manière par exemple de la musique de Shining, qui surfe un peu sur le même procédé dépressif et personnel, ou sur un Lebenssucht pour le côté atmosphérique et un brin macabre. Donc sur la musique en elle-même, c’est un bon constat mais sans tomber dans l’emphase.
Gros point positif pour la production de l’album en revanche, piloté par le non-moins génial Déhà qu’on ne présente plus je crois. Abord un peu délicat que de produire du black metal atmosphérique, souvent marqué par les dissonances et le procédé de créer des envolées sonores. Je me suis toujours demandé, étant moi-même dans un projet de black metal atmosphérique, comment l’on faisait pour trouver un son aussi aérien et si léger dans une musique qui est plutôt marquée historiquement par la froideur et la violence. C’est en cela que je suis souvent en admiration devant le travail de production de ces albums comme « Écluse« . En tout cas, et parce que je me dois de me confesser, j’aime beaucoup le travail de Déhà, je n’ai rien à redire sur la production hormis peut-être la place faite au chant qui me semble un peu trop lointain sur les bords. Ce qui me saute aux yeux plus précisément dans le cas de Limbes, c’est qu’on a le sentiment que Guillaume Galaup a voulu garder un fond un peu « raw » sur les bords. J’entends par-là que le black metal ici produit n’est pas totalement propre et moderne comme on peut l’entendre partout depuis quelques années maintenant. Je note que le son est probablement à la croisée des chemins entre un processus personnel très raw et un côté quand-même moderne et précis. C’est peut-être mon ressenti qui est ainsi et je fais sûrement un peu fausse route, mais c’est la première fois que je découvre un son que je qualifierais probablement de manière très hasardeuse, de mi-moderne mi-old school. En tout cas, je note que l’on n’entend très bien tous les instruments, que la batterie n’est pas une batterie « trop » programmée avec le trigg et tout le bordel qu’on a de nos jours, ce qui accentue mon ressenti précédent. Les guitares ont toutes deux, dans leurs lignes respectives, leurs rôles définis et que l’on entend distinctement les mélodies et les dissonances. Bref! Hormis le chant trop en retrait, je trouve la production très bonne là encore! Mais en même temps… Quand on aime un producteur. Déhà, je t’aime!
Ce qui m’a réellement décidé à faire cette chronique, au-delà comme je disais de ce « devoir moral » de partenariat avec le label, c’est le concept autour d’abord du projet Limbes, ensuite de cet album « Écluse » qui est donc le premier que j’écoute de ce projet solo. Parce que tout de suite, quand on évoque l’aspect psychiatrique, que ce soit général ou personnel, cela m’intéresse bien évidemment puisque c’est ma passion et mon boulot. Manifestement, si j’en crois les écrits publiés par Limbes, le personnage central de Limbes, qu’il soit le compositeur lui-même (on peut le supposer) ou juste un alter-ego, est en proie à des souffrances psychiques importantes. On parle de traitement, de neuroleptiques lourds qui entravent la création et qui musèlent les pulsions malsaines, probablement aussi du Modèle de Kübler-Ross qui détaille les cinq étapes principales du deuil. En fait, c’est une sorte de mise en exergue d’une souffrance psychique profonde, sûrement marquée par la dépression dans sa forme la plus grave qu’est la mélancolie puisque, d’un point de vue clinique, seule la mélancolie regrouperait la dépression, les pulsions et le délire. Et je trouve que même si la musique ne m’a pas rendu emphasique pour autant, si l’on reste comme au précédent paragraphe stricto facto sur la composition structurelle elle-même, je trouve que le fond consensuel d' »Écluse » est excellent. Très bien retranscrit dans un élan musical qui me semble effectivement très cathartique, brut de pomme et sans concession, et cet aspect qui prend tout son sens d’expiation de quelque chose, d’une sorte d’expression artistique centrée sur une souffrance psychique probablement des plus authentiques, je trouve que c’est le gros point fort de ce dernier album de Limbes. A coup sûr un des projets les plus authentiques et intimistes qu’il m’ait été donné de chroniquer depuis longtemps. Moi qui suis plus habitué à des albums de black metal raw, je dois dire que d’avoir un album comme « Écluse » qui malgré tout se pare d’une production intéressante, cela me fait un bien fou. C’est tout le paradoxe de cet album tortueux et terriblement triste.
Seul petit regret, encore que « petit » est un mot gentil : le chant. Je ne comprends pas très bien pourquoi le chant est aussi en retrait et surtout aussi inaudible. Parce que, justement! Quand on a un concept aussi bien réfléchi, aussi bien élaboré musicalement, pourquoi ne pas se doter d’un chant très compréhensible et bien articulé, histoire d’avoir en plus le texte qui va avec?… Parce que là, pardon de le dire aussi crûment, mais le chant n’est qu’une succession d’aboiements. Pour moi, c’est exactement le ressenti que j’ai eu. A part quand-même quelques high scream bien placés, il faut bien le dire, ce qui témoigne au passage d’une bonne technique de chant, je ne comprends strictement rien aux paroles. Et là où ma frustration est importante, c’est que je suis convaincu que les textes sont supers bien écrits. Après, certains penseraient, comme je l’ai fait à un moment donné, que ce chant insondable a pour but de garder une part de mystère dans les paroles de souffrance de son auteur, pour justement piquer au vif l’auditeur, mais pour moi, ce n’est pas suffisamment explicatif pour être un argument recevable. Là, sincèrement, non. Cela ne va pas. Il faudrait que Guillaume Galaup comprenne qu’un chant bien articulé, même dans le black metal, c’est important! Pour moi, ce n’est donc même pas un point faible. C’est un point qui ne devrait pas exister.
Pour conclure cette chronique, Limbes, projet solo de Guillaume Galaup, revient aux affaires pour 2023 avec un album nommé « Écluse« . Quatrième sortie officielle de ce projet signé depuis le début chez le label Les Acteurs de l’Ombre Productions, cet album nous présente un black metal atmosphérique de fort belle facture! Musicalement parlant, l’album est très bien construit, extrêmement bien produit et son grand point à améliorer, somme toute plutôt modeste, est le chant qui souffre indéniablement d’un défaut majeur d’articulation et ce malgré le très bon concept autour. Car oui. Cet album fonctionne réellement comme un procédé cathartique, avec la volonté d’expulser de manière lente et progressive les miasmes d’un esprit torturé, en proie à des souffrances psychiques terrifiantes, et la dimension de catharsis prend chez Limbes tout son sens. C’est une des raisons principales pour laquelle « Écluse » est un album prometteur et qui vaut le coup d’être vécu. Une très bonne entrée en matière pour 2023!
Tracklist :
1. Lâcheté
2. De Courbes et de Peaux
3. Corridors
4. Leurre
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