Line-up sur cet Album
Christophe Hiegel : batterie Olivier Dubuc : guitares et effets Erwan Lombard : basse Raphaël Verguin – Violoncelle Emmanuel Rousseau : piano, claviers Nicolas Zivkovich : Claviers sur Seizure
Style:
Post MetalDate de sortie:
17 mai 2024Label:
Source Atone RecordsNote du SoilChroniqueur (Vince le Souriant) : 9.5/10
« La vue d’un précipice ne fait point de mal, mais puis-je concevoir le précipice sans mimer la chute ? »
Alain – Propos
Maudits est un trio originaire de Reims, né des cendres de The Last Embrace, groupe de metal progressif séparé en 2019.
Chroniquer, c’est classer. C’est mettre une étiquette sur un bocal après en avoir goûté le contenu. C’est également détailler les vertus du produit, et assez souvent, lui attribuer une note. C’est donc relaxant, la vie d’un chroniqueur. On écoute, on analyse, et on raconte une belle histoire. Sauf que, parfois, on tombe sur un os. Et c’est le cas ici avec cet album. Pourquoi ? Parce que Maudits est un groupe instrumental. A la classique triade guitares, basse, batterie viennent s’ajouter des claviers et un violoncelle. Et l’étrangeté ne s’arrête pas là. Qui dit musique instrumentale dit habituellement public restreint, fans attardés de King Crimson ou nerds ne jurant que par Dream Theater. Eh bien pas pour Maudits, dont l’EP Angle Mort avait remporté un succès aussi massif que mérité en 2021. Non, la difficulté est ailleurs. Elle réside dans la difficulté de « faire dire » quelque chose au disque, dans l’interprétation.
Ça vous est déjà arrivé de vous casser méchamment la gueule ? De tomber dans un trou dont vous vous êtes demandé comment vous alliez bien pouvoir sortir ? De tenter de vous en tirer et de retomber, mais de réessayer encore, parce que, quand on cesse d’y croire, tout s’arrête ? Du Rock Bottom de Robert Wyatt (1974) au single Down In A Hole d’Alice In Chains (1993), la chute, c’est un peu le fond de commerce du rock. Eh bien, c’est précisément ce thème que choisit d’aborder Précipice, au travers de huit pistes, dont une fantôme. Convoquant le français, l’anglais, le finnois, et même une locution latine, les titres parlent d’eux-mêmes : Précipice Part I et Part II, Seizure, Lights end, « toujours là » (Vielä Siellä), le prix de la douleur (Pretium Doloris)… On aimerait voir la lumière, mais on n’est pas bien certains d’avoir réglé la facture d’électricité. Bref, après s’être pris une grosse gamelle, il faut bien tenter de se relever, mais cela n’a rien de bien évident. L’album arbore une magnifique pochette, de la main de Dehn Sora, avec lequel le guitariste a joué live dans Ovtrenoir et Throane. On y voit l’emblème du groupe, un trèfle à quatre feuilles, qui pousse au bord d’un précipice, auréolé d’une vive lumière. Le disque fait la part belle aux titres longs, (26 minutes pour Précipice Part I et Précipice Part II mis bout à bout, plus de 11 minutes pour Seizure). Cette longueur laisse le temps de développer le propos, d’étoffer les ambiances, et d’alterner moments d’espoir et noirceur.
A noter que si les instants de joie sont absents, l’album s’écarte avec soin de tout cliché. Pas de désespoir insondable mais un découragement empreint de lassitude. Pas de peine suffocante qui arracherait des cris, mais une mélancolie diffuse. Tout, ici, est affaire de nuance. Pas de couleurs franches et tranchées, mais des camaïeux. A la manière d’un ciel voilé, la musique laisse passer la lumière. Le précipice n’est pas l’insondable abîme, parfois le soleil y luit, donnant l’énergie d’avancer, encore.
Avancer. Le terme n’est pas anodin, tant la musique de Maudits évoque un cheminement, presqu’une thérapie. La tension, le sentiment d’urgence de Précipice Part I évoquent clairement la chute, et la tentative de se relever, de repartir, même si c’est en claudiquant. Ce récit s’interrompt pour entamer une exploration des abysses des plus mouvementées avec Seizure. Puis vient un autre processus, l’évaluation des dommages, au travers du diptyque formé par les cordes angoissantes de Pretium Doloris, tout en pizzicati et en glissandos, et le dissonant Séquelles, aux allures de course-poursuite. Les trois titres relèvent bel et bien du champ lexical du dommage, du dégât, de la blessure. Ensuite, l’exploration des revers de la vie reprend de plus belle. Au presque groovy Précipice Part II succède d’ailleurs un acmé à l’envers, Lights End, titre le plus poignant de tout l’album, armistice co-signé par une douleur devenue ancienne et acceptée. La marée de la souffrance a reflué ; ne restent sur la grève que les algues de la mélancolie. Les lignes mélodiques qui s’enchevêtrent sont autant de souvenirs qui, en se superposant, se brouillent.
Après des titres en néerlandais sur des enregistrements précédents, c’est au tour du finnois de faire son apparition. Dans le concert des langues européennes, celle-ci est à part. Il en va de même pour ce « toujours là » (traduction de Vielä Siellä). La nature de ce qui demeure présent est ici incertaine. La musique, égrenant les notes, laisse planer comme un doute, une incertitude, nimbée de regrets. Quand on s’appelle Maudits, on n’est pas du genre à voir le verre à moitié plein.
La dernière piste est une piste cachée. Le long silence qui l’ouvre, de même que son titre, rendent hommage à une tradition débutée en 1969 par les Beatles, et que n’ont pas reniée des artistes aussi divers que Nirvana, Guns N’ Roses, Marilyn Manson et d’innombrables autres. A l’instar de la chanson Mind Over Time d’Interpol, Ghost Track diffuse un message laissé sur le répondeur d’un ami défunt.
Avec ce deuxième album, équilibre fragile entre lumière et obscurité, Maudits fait la démonstration que l’on peut venir de Champagne et ne pas coincer la bulle. Originalité des compositions, virtuosité des interprètes, production monstrueuse par Frédéric Gervais au Henosis Studio, cet album bourlingue dans les profondeurs mais son génie tutoie les cieux.
Tracklist :
Précipice part I 11:40
Seizure 11:07
Pretium Doloris 02:24
Séquelles 03:13
Précipice part II 14:22
Lights end 05:03
Vielä Siellä 06:26
Ghost track 03:24
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