Line-up sur cet Album
- Grond : chant, claviers, batterie
- Beleth : guitares, basse
Style:
Black MetalDate de sortie:
06 décembre 2024Label:
Soulseller RecordsNote du SoilChroniqueur (Quantum) : 9.75/10
“On dit souvent que les arbres nous empêchent de voir la forêt ; il est tout aussi juste de dire qu’on ne voit pas les arbres à cause de la forêt.” Ilya Ehrenbourg
Une question m’a été posé il y a peu, lors d’une discussion sur les réseaux sociaux. Il s’agissait de savoir quelle scène metal entre la Norvège et la Suède m’avait le plus marqué depuis que j’écoute cette musique ? Après plus de vingt ans d’écoute, je suis bien en peine de définir laquelle m’a le plus transcendé durant tout ce temps. Et surtout, la question serait plutôt de savoir pourquoi on me demande de choisir entre ces deux pays et pas un autre, comme les États-Unis, ou tout bêtement la France ? N’est pas chauvin qui veut, mais il est aisé de constater que la scène française connait un nouvel essor depuis quelques années. Néanmoins, je ne pense pas qu’à ce jour un groupe français ait réellement influencé les genres au point de se voir nommer en référence dans le futur. C’est un fait, les groupes de chez nous sont finalement des aspirants plus que des inspirants et, même si ce n’est pas un mal en soi, il n’en demeure pas moins que notre scène ne connaitra probablement jamais un essor suprême comme l’ont fait des pays comme les précédents cités. Si je ne peux répondre à cette question, c’est parce que, dans le registre qui nous intéresse aujourd’hui, les deux pays scandinaves ont tellement apporté au metal qu’il m’est impossible d’isoler l’un d’eux pour en faire un modèle absolu. La différence existe toutefois puisque la Norvège situe sa musique sur un versant plus froid et incisif, plus anesthésiant et hypnotique, plus mythique même, là où la Suède va aller sur une facette plus brutale, plus tranchée, voire même plus épique. On n’imagine pas beaucoup de nos jours l’impact des cultures et des histoires des pays sur leurs musiques. La question serait plutôt de savoir comment font les autres pays qui s’inspirent desdites musiques pour s’approprier leurs cultures, ou la transplanter sur la leur. C’est la question de l’identification à autrui. Un peu comme quand on voyage, on se découvre des attirances que l’on ne soupçonnait pas pour des tranches de culture. Pour ma part, je vis la musique un peu comme cela et je suis toujours curieux de comprendre pourquoi un musicien va aller s’inspirer de manière aussi flagrante d’un courant musical d’un autre pays pour finalement n’en être qu’une copie, parfois réussie, parfois pâle au possible. Et surtout, qu’est-ce qui marque les esprits à ce point-là dans une musique ? Je crois que c’est le style de questionnement que je me poserais toute ma vie d’auditeur et chroniqueur metal. La chronique d’aujourd’hui ne dérogera pas à la règle et je me suis surpris à l’écoute de cet album à voir resurgir la question de la frontière entre la copie conforme et l’appropriation. Il s’agit donc de vous présenter Old Forest et son dernier album en date nommé « Graveside« .
J’avais déjà entendu parler d’Old Forest à l’occasion de mes pérégrinations sur internet, mais je n’avais jamais pris le temps d’écouter leur musique. J’ai donc franchi le pas pour cette chronique. Je savais toutefois que le groupe avait été créé en 1998 et nous venait de Londres, en Angleterre. Angleterre, pays du heavy metal, qui nous produit donc autre chose de plus extrême ! Que demande le peuple ? Et oui, je sais qu’il en existe d’autres, des formations extrêmes. Dans le cas d’Old Forest, il convient de préciser qu’après trois années d’existence, le groupe a été en pause jusqu’en 2007 et que depuis leur reprise d’activité, le duo ne s’arrête plus. Après une démo en 1998 et un premier album en 1999, plus rien jusqu’en 2008. A ce jour, nous en sommes au total à neuf albums en comptant ce dernier, six EPs, trois démos et deux compilations, ce qui traduit une belle productivité. De là à parler de qualité, nous le verrons bien à l’écoute de « Graveside« . Je suis content de me frotter enfin au duo anglais et surtout, de faire le lien avec mon introduction sur l’idée de l’appropriation musicale. Let’s go !
Old Forest voit sa dénomination directement inspirée par l’univers de Tolkien. Selon Metal Archives, « la Vieille Forêt est une petite zone boisée située à l’est de la Comté, dans le Pays de Bouc. Elle est l’une des rares survivantes des forêts primordiales qui couvraient la majeure partie de l’Eriador avant le Second Âge, et elle n’était autrefois que la limite nord d’une immense forêt qui s’étendait jusqu’à la forêt de Fangorn. » Et pourtant, dans le cas présent, nous n’avons aucune référence directe à Tolkien sur le visuel de la pochette, ni à son œuvre colossale. On est effectivement très raccord avec le nom de l’album « Graveside » qui signifie « cimetière » et donc, sans surprise aucune, sans réelle recherche approfondie, Old Forest nous gratifie d’un artwork qui dépeint un cimetière et sa chapelle. Voilà. Simple mais efficace ! Un peu comme le feraient des groupes québécois (tiens, autre référence en matière de metal !). On a un graphisme très pictural, fidèle aux habitudes du groupe qui a toujours cherché à aller sur un effet peinture dans leurs artworks. C’est vraiment très beau. Il y a ce côté vieux tableau que l’on voit chez les personnes âgées, avec des paysages et des des effets de lumière dans les tons sépia. Cet aspect vieillot, je le trouve opportun quand il s’agit d’aborder le style de metal présent ici car il porte la nostalgie dans la musique. On notera toutefois une petite subtilité avec cette chauve-souris qui s’envole quand le soleil se lève en arrière-plan. Outre la symbolique maléfique que l’on connait bien en Europe, il est curieux de savoir (minute culturelle) qu’en Papouasie-Nouvelle-Guinée, les chauves-souris sont les gardiennes de la mort. Il paraît aussi qu’un certain chanteur britannique adorait croquer les têtes de chauve-souris, mais cela, seule la légende le dit ! Bref. On pourrait au regard de ce qui est proposé, se dire qu’Old Forest n’est pas dans une démarche macabre comme on pourrait l’imaginer en se représentant un cimetière, mais plutôt dans une démarche philosophique autour de la Mort, dans sa thématique de repos éternel, de silence et de recueillement. Voilà pourquoi il convient parfois de creuser un peu dans l’évidence d’un artwork parce qu’à la simplicité sur la forme, il y a souvent un fond très intéressant à découvrir. Et c’est ce qu’ont fait nos amis britanniques ici. Magnifique.
Souvenez-vous, dans mon introduction, j’évoquais l’hégémonie des scènes scandinaves et plus particulièrement de la Norvège et de la Suède. Alors, une fois lancée l’écoute de « Graveside« , tout me semblait flagrant. Le black metal – car c’est de cela dont il s’agit – composé par Old Forest sent bon, très bon même, le black metal norvégien d’une fameuse époque. Celle des années 90 bien sûr, celle qui a permis d’ériger à ce jour encore la scène norvégienne comme la meilleure et la plus légendaire de toute l’histoire du black metal. Dès la première note, le groupe attaque pied au plancher en exhortant notre psyché à errer dans les riffs terriblement tranchants. Je me suis pris à me souvenir des premiers albums d’Ancient, Taake, Darkthrone quand ils ne partent pas dans des délires outrecuidants. Il y a même ce côté raw dont je parlerai plus tard qui joue un rôle prépondérant dans l’appréhension que je peux avoir de la musique d’Old Forest. Je les connaissais de réputation comme un groupe de black metal old school, à l’ancienne, donc sans fioriture aucune hormis ce clavier lancinant qui est derrière. Ce clavier, par la variabilité de ses banques-son, amène des atmosphères différentes pour englober ce black metal mid tempo. c’est un brin mélodique par moment, mais on reste essentiellement sur une linéarité sonore qui fait le bonheur du nostalgique que je suis de cette belle époque révolue. « Graveside » reprend donc les ingrédients qui vont au-delà de la musique black metal, et amènent à sa dignité toute entière. L’héritage de ces riffs froids comme le blizzard, de ces cris qui semblent porter par ce dernier dans la tempête, tout me parle dans cette première écoute. C’est pourquoi cela se passe de davantage de mots pour expliquer cette approche de l’album. Je l’ai écouté sans analyse possible car c’est le cœur qui s’est réveillé. Exceptionnel.
Je parlais de production raw, il faut bien comprendre qu’à travers ce diminutif un peu péjoratif, se cache en fait l’essence même du black metal. Les productions des années 90, celles que je chéris tant, n’avaient pas du tout les mêmes moyens que maintenant où l’on cherche à faire de l’alambiqué jusqu’à l’exagération ! Ici, le son rend hommage à cette époque avec des sonorités de guitare qui frôlent la qualité « cassette », bien sale et un brin mal mixée, une batterie en retrait mais qui joue son rôle de métronome de l’enfer à la perfection, sans aucune fioriture. La basse ? C’est à peine si on la discerne dans ce marasme sonore. En même temps, si je ne m’abuse, elle semble surtout être là pour accompagner la batteuse dans son périple en mid tempo. Enfin, le chant saturé et le clavier sont pour le coup particulièrement mis en avant – peut-être dans une volonté d’aller sur une forme d’atmosphérique par moments, pour sublimer davantage la parole aux actes. En tout cas, ce genre de production fait la part belle à cette dimension nostalgique. Il convient de préciser qu’elle n’est donc pas à la portée de tous. En ce qui me concerne, j’adore.
C’est fou quand-même, je n’ai pas souvenir d’un groupe étranger qui parvienne comme Old Forest à retranscrire avec un soin quasiment chirurgical l’âme du black metal norvégien ! Ma compagne m’en parlait effectivement comme un groupe exceptionnel dans le genre, dont elle avait écumé toute la discographie en plusieurs années d’écoute. J’admets que son avis est loin d’être biaisé, mais il ne m’a pas influencé au départ. Force est de constater qu’elle a raison. L’esprit est là. La musique se concentre pleinement sur une seule tâche, celle de nous glacer l’échine et de nous transporter dans une noirceur qui ferait pâlir les pionniers du genre. Le black metal est de prime abord une musique diabolique et mystique. « Graveside » – dont le nom évoque davantage la vague américaine death metal old school – nous plonge donc dans les abîmes, là où le mal est présent dans sa monstruosité permanente, et réside dans ce que j’émettais comme opinion en introduction et qui aura été le fil conducteur général de ma chronique. On sent toute la marque norvégienne dans cette musique et le résultat est totalement époustouflant. Alors, quid de l’identité des groupes ? Franchement, dans le cas présent, on s’en fiche un peu, non ? Ils sont anglais et ils rendent un hommage net à cette fabuleuse vague. Face à ce constat, je me fiche totalement qu’ils aient ou nom une légitimité. Moi, je me régale et c’est tout ce qui compte. Il n’y a rien à redire.
Pour les chants, j’aimerais faire un petit retour en arrière. J’adorais le chant clair qui était utilisé dans les albums d’avant, et qui m’évoquaient sans hésiter un groupe comme Mork qui usite le chant clair comme une sorte de révérence. Mais je trouve qu’Old Forest gage à être meilleur soit avec moins de chant estampillé clair, soit avec carrément que du saturé. Résultat, « Graveside » se pare d’un chant saturé qui fait de l’ombre au chant clair pour ne lui laisser que des miettes. Et c’est avec un grand plaisir que je fais ce constat parce que le chant en high scream est tout simplement terrible, et suffit. Après, l’utilisation qui est faite ici du chant clair se veut plus discrète et donc plus appropriée pour le mettre en avant. Comme dit le proverbe de Pétrone : « La rareté fait le prix des choses« . C’est tout à fait cela.
Pour conclure cette chronique, Old Forest nous gratifie d’un neuvième album nommé « Graveside« . Déjà neuf albums pour une formation qui a connu une deuxième existence depuis 2008, et qui continue décidément à faire des heureux. Pour ma part, c’était une première découverte et je suis allé fouiller dans les albums précédents pour essayer de comprendre ce qui faisait la réputation si incroyable dans l’underground de ce duo britannique. Je crois avoir compris qu’il y avait cette dimension pleinement nostalgique de la vague black metal norvégienne des années 90. Old Forest se situe donc très clairement sur un black metal old school et toute la panoplie qui va avec. Il convient de dire que si des formations cherchent perpétuellement à effleurer du doigt la beauté de cette époque dont la légende perdure encore aujourd’hui, Old Forest fait incontestablement partie des très rares groupes à vraiment la retranscrire. Cela fait de « Graveside » un album tout simplement incontournable et exceptionnel. Une beauté incroyable pour tout nostalgique comme moi qui se respecte.
Tracklist :
- Curse of Wampyr 07:01
- Witch Spawn 07:43
- Solstice Sacrifice 04:59
- Interment of Ashes 02:10
- Decrepit Melancholy 05:48
- Halfway Human 05:10
- Soil of the Martyrs 05:08
- Forgotten Graves 05:15
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