Note du SoilChroniqueur (Quantum) : 9.5/10

“L’idée de surréalisme tend simplement à la récupération totale de notre force psychique.” André Breton

Le fonctionnement psychique est l’un de ceux dont on se pose le plus de questions, d’abord en tant que personne lambda, ensuite en tant que professionnel du soin. Sujet sur des bases assez bancales il faut le dire mais finalement pas si idiotes que cela, qui consiste à schématiser le psychisme comme deux peuples qui sont séparés par une frontière très fragile des turpitudes de l’une sur l’autre, ce concept médical désormais interroge sur son fonctionnement car il est assujetti aux fantasmes qui l’incombent. Il est vrai qu’il est étroitement lié aux pathologies psychiatriques et autres troubles de la personnalité, et que tous ces derniers sont fantasmés au possible à l’échelle sociétale. Mais en vérité, j’adore que tout cela soit alimenté car grâce à cette défiance et ce non-cloisonnement de l’imaginaire artistique, on a parfois de véritables pépites musicales entre autres, mais aussi picturales, littéraires (que dire du livre Le Horla qui montre bien le processus de la Folie progressive, qui grignote et avilit l’auteur) ou dans les formes d’arts plus visuelles si j’ose dire. Je me méfie de la tournure de certaines interprétations car il n’y a rien de pire que la méconnaissance par la désinformation, et il faut avouer que les médias amènent leurs lots de casseroles sur le sujet. Mais franchement, certains artistes font plaisir à écouter, parce que la Folie se retranscrit incroyablement bien dans la musique et en particulier la musique metal ou ambiante. Alors, vous allez me dire, on peut parler de psychisme sans tomber dans les entrailles adipeuses de la Folie, sans vénérer la déesse Lyssa! Et c’est pour cela que ce soir, je suis spécialement content de vous présenter du groupe Psychisme et de son EP nommé joliment « Le Seuil des Sensations« . Parce que derrière ces noms inspirants et inspirés se cache une vision originale de ce bon vieux psychisme. Et rien que pour cela, je vous le conseille avant même la chronique! Mais on se précipite un peu.

Psychisme est une formation bicéphale composée de deux personnalités importantes de l’underground black metal français à savoir Alrinack dont j’ai renoncé à écrire la liste des formations dans lesquelles il exerce en musicien officiel et en invité (retenez notamment Suicidal Madness, Ysengrin, Sombre Croisade et Enterré Vivant) et Nekros qui est le maître de Kosmos, mais aussi ancien d’Inferi Gloria, Ravenskull, Suicidal Madness et Mourning Forest. Je ne dis pas que ces deux protagonistes sont des personnes majeures de la scène underground pour alambiquer la chronique, c’est simplement la vérité. Et l’idée de rassembler leurs forces autour d’un projet comme Psychisme me rend tout impatient. Projet dont on ignore la date exacte de création mais dont les prémices sur les réseaux sociaux remontent à janvier de cette année. Donc un projet tout neuf, qui sort son premier EP nommé « Le Seuil des Sensations » et qui se définit selon une traduction de l’anglais comme « Psychisme est le résultat d’un sursaut instantané qui amène l’homme à laisser une trace du mal immatériel qui s’empare de lui chaque jour. » Rien qu’avec cette phrase, je suis épaté. C’est vous dire vers quel ressenti je m’aventure!

Je m’attaque en tout premier lieu à la pochette de ce premier EP. On ne peut pas vraiment faire plus dérangeant que l’image de cette jeune fille, sinon fillette, qui soulève sa robe avec une certaine désinvolture, tout en tenant d’une main ferme et déterminée une feuille de boucher rouillée, et en portant un truc qui ressemble à s’y méprendre à un gros filet de cordes épaisses. Tout cela ne prête pas tellement à la joie et la bonhommie, on est plus sur un truc très macabre et le jeu de lumière sur cette photographie laisse une atmosphère lourde et grise qui dérange. Vraiment, oui. Cela dérange pas mal! En fait, généralement quand il s’agit d’associer un personnage plutôt jeune voire enfantin, avec un concept centré sur quelque chose de fou, de sanglant ou tout simplement de macabre, cela dérange forcément et ne laisse pas indifférent. En plus, ce décorum fait de hautes herbes et de forêt en arrière-plan rajoute quelque chose de sauvage, de bestial je trouve. Maintenant quel rapprochement faire avec le concept des sensations et du psychisme? Cette métaphore reste assez insondable je trouve, mais permet de faire des interprétations. Aussi y vois-je une forme de confrontation entre la candeur et l’innocence d’un enfant, et la bestialité crue et animale qui peut se cacher derrière, comme une forme d’archaïsme propre à l’enfant où l’on considère parfois que le développent psychique passe de l’état « animal » (dans une idée de survie et d’appréhension du monde) à un état humain, mature et plein d’interdits. Il arrive parfois que cette fameuse barrière dont je parlais en introduction cède, faisant se mélanger ces deux entités différentes et nécessairement séparées. C’est donc probablement une représentation de l’état de psychose, où la réalité (la fillette innocente) se perd avec l’inconscient (le siège des fantasmes et pulsions). Moi, je le ressens comme ça! En tout cas, la photographie est belle tout en étant dérangeante, pleine de sens potentiels, rendant cette pochette morbidement attirante et presque fascinante. Un bel ouvrage que le visuel de « Le Seuil des Sensations« !

Alors, concernant la musique, l’équation sur le papier est simple : deux fois un artiste essentiellement black metal est égal à la somme de la racine carrée de Pi moyennant une division par… Excusez-moi, l’espace d’une seconde je me suis « cédric-villanisé ». En gros, Psychisme propose du black metal. Mais attention, pas n’importe lequel! Un black metal qui se situe sur un mélange à la fois d’un style très pur, teinté d’une dimension atmosphérique ou progressive. Avec un jonglage sonore habile autour des harmoniques à aux guitares, une basse incroyablement mise en avant et qui joue non seulement son rôle habituel de marqueur rythmique et d’accompagnement des basses sonores à la batterie mais aussi dans un style très mélodique, ce qui est très rare dans ce style, une batterie qui distend légèrement la rythmique par moment ou va carrément sur des accélérations en blast beat typiques. Ce qui est frappant chez Psychisme, c’est que l’on peut identifier très distinctement les deux marques de fabrique de nos amis musiciens. Dans le cas de Nekros (il suffit d’écouter la discographie de Kosmos pour s’en apercevoir), le black metal est composé avec un vrai jeu de variations rythmiques et des moments calmes qui font très metal progressif, et tantôt des jeux autour des harmoniques et des riffs linéaires très crus et qui font très metal atmosphérique dans le sens où l’on ressent impeccablement les ambiances voulues qui sont d’ailleurs très malsaines dans le cas de « Le Seuil des Sensations« ! C’était la première marque de fabrique de Psychisme, la deuxième je la détaillerai plus bas dans le paragraphe consacré au chant. Retenez donc qu’en quatre morceaux et un outro à la guitare acoustique (magnifiquement interprété et durant quatre minutes, ressemble plus à un vrai morceau qu’à un outro classique), le duo nous met d’accord tout de suite. La musique est d’une ambiance incroyable, les différents riffs guitares sont assez impressionnants par leurs maitrises et leurs utilisations, le tout fonctionne superbement bien conférant à « Le Seuil des Sensations » un statut de réussite qui va au-delà de ce qu’on attend prudemment d’un premier EP. C’est d’ores et déjà un petit bijou! Première écoute validée haut la main pour moi!

Cet EP se pare également d’une production bluffante. Mais pas vraiment dans le fond quand on connait comme moi les capacités du batteur de session qui est également l’ingénieur son derrière le mixage et le mastering. Il fallait donc parvenir à donner une coloration très noire et planante à la fois, ce que « Le Seuil des Sensations » arrive à retransmettre. Les guitares sont bien distinctes l’une de l’autre, on arrive à entendre une ligne dans un côté du casque et l’autre pareillement, ce qui permet de ressentir ce que je disais plus haut, la force des harmoniques. La basse est très bien jouée et mise en avant également, on l’entend jouer un rôle mélodique qui amène le truc en plus sur le plan instrumental. Et cette batterie qui est monstrueuse, très bourrine et surtout très harmonieuse dans les choix de sa composition, permettant ainsi un véritable apport rythmique et donnant cette touche progressive qui n’est que l’identité du compositeur, que je connais fort bien désormais. La production est donc excellente, d’une qualité rare pour le genre black metal et qui n’enlève en rien ce côté old school qui transparait parfois. Vraiment, un énorme boulot en studio que je plussoie!

La grande force de cet EP résulte de mon interprétation personnelle, je dois l’avouer, mais je pense que l’on n’est pas si loin que cela de la réalité. Je suis intimement convaincu que la musique black metal proposée ici tend vers une représentation quasiment parfaite et bluffante d’une allégorie de la Folie dans la musique. On parle beaucoup de déstructuration, d’ambiances tortueuses et lentes, ou même de bruitisme, mais je trouve que Psychisme porte bien son nom dans la mesure où la composition met en avant le concept de conflit psychique. Opposant deux lignes de guitares mélodiques ou rythmiques selon les besoins, déstructurant légèrement et sans outrance les morceaux dans un registre progressif, et procurant des atmosphères très noires sans tomber dans une mélancolie manifestement exagérée, je trouve de fait que la composition est absolument extraordinaire. Parce que l’on a réellement le concept d’opposition entre le conscient et l’inconscient qui se martèlent entre eux dans la musique! Et parfois on s’aperçoit que la Folie résulte d’un point d’accord majeur entre ses deux opposants qui finissent par doucement se mélanger, pour ne plus former qu’une maladie. Et c’est exactement ce que fait la musique de Psychisme : elle crée une émulsion entre deux lignes mélodiques et harmoniques différentes pour trouver une harmonie. De plus, « Le Seuil des Sensations » renvoie bel et bien à nos sentiments et ressentis, ce que la dimension atmosphérico-mélodique offre ici. C’est donc un premier EP déroutant, surprenant à bien des égards et qui brille indubitablement par son intelligence, sa maturité et sa capacité presque innée à retranscrire une idée de ce vers quoi la Folie tend musicalement parlant. Ou du moins du dérangement psychique en tous genres. C’est… Fou! Rarement une musique black metal ne m’aura autant rapproché personnellement de ce qui me passionne professionnellement parlant et personnellement, à savoir tout ce qui est psychique. Et dire qu’il s’agit d’une entrée en matière pour Psychisme… Je suis impressionné, réellement impressionné mais connaissant Nekros, cela ne m’étonne même pas d’être impressionné quand-même.

Et Alrinack a droit aussi à son paragraphe parce que je vous fais une confession : j’adore son chant. Sur une technique vocale majoritairement high scream, sinon sur une approche très crue et gutturale pure, le chant sur l’EP reste très étonnamment posé et froid, comme une voix dans la tête. D’ailleurs, je vous propose d’écouter ceci qui est une retranscription de ce qu’une personne schizophrène entend (ici) et vous vous apercevrez que le chant sur l’EP « Le Seuil des Sensations » pourrait parfaitement être une voix intérieure flippante. Parce que, comme les lignes de guitares, Alrinack a eu la très bonne idée de chevaucher par moment deux lignes de voix différentes en termes de tessitures, donnant donc une sensation dérangeante, flippante au possible et malsaine. Voilà donc non seulement un chant techniquement très bon mais qui en plus, par la superposition de tessitures amène une véritable sensation de peur et d’angoisse. Extrêmement bien situé dans le mixage en plus de cela! Non, sincèrement, cet EP sent les exhalaisons de désordre psychique et de bestialité. Et le chant est impeccable pour ce genre d’ambiances malsaines et apeurantes. Bravo!

Enfin, j’ai pu accéder aux textes, très curieux au départ de la thématique qui s’annonçait devant moi, je les ai demandés. Et je n’ai vraiment pas été déçu du résultat! Ces derniers sont très poétiques, sur un style prosaïque mais rythmé, très rythmé à la lecture et au chant. Je ne sais pas si c’est volontaire mais les mises en page que j’ai eues sont très bien faites d’un point de vue stylistique. Et l’écoute se fait facilement, les textes sont courts mais vont droit au but d’une certaine manière. La thématique principale tourne effectivement autour du désordre psychique et de tout ce que j’ai dit plus haut. La seule chose qui s’avère encore une fois étonnante positivement reste le style d’écriture. Autant vous dire qu’il est rare chez moi que je m’extasie du style d’écriture, car rares sont les « vrais » paroliers qui sont talentueux de nos jours, notamment dans le black metal qui est censé être un style de musique cru et radical, répétitif souvent. Ici, force m’est de constater qu’Alrinack m’a scotché sur place. Par la qualité de ses métaphores, filées ou non, de sa prose qui pourtant n’est pas mon style de lecture poétique préféré, le choix des mots tantôt direct, tantôt doté d’un vrai vocabulaire excellent, j’ai été tout simplement mis sur le cul. Je crois que Nekros comprendra, venant de moi, combien mon admiration est forte ici et combien elle est rare chez les paroliers que je rencontre. Mais ici, sincèrement, c’est juste incroyablement bien écrit, j’adore! Tout simplement.

Bon! Il est temps pour moi d’arrêter la chronique ici. Psychisme sort un premier EP tonitruant, dont les adjectifs vont me manquer pour définir ce que je pense de « Le Seuil des Sensations« . Pour rester terre-à-terre, le duo de musiciens français propose une musique black metal qui oscille entre une dimension old school non négligeable, mais également une empreinte très « nekrosienne » avec du metal progressif et / ou atmosphérique par instant, donnant une grande richesse dans la musique et une place de choix pour les atmosphères sombres et malsaines. Maintenant, la grande force de l’album se situe effectivement sur le talent incommensurable des deux musiciens, mais aussi dans le concept qui est très familier pour moi, et rarement satisfait du coup puisque souvent les groupes surjouent trop les choses (comme notre société d’ailleurs). Ici, « Le Seuil des Sensations » ne surjoue rien, il est d’une justesse rare et bluffante. Je crois que je tiens l’un des rares CDs qui me plait pleinement sur la représentation de la Folie et de la Psyché et rien que pour cela, je le considère comme un futur incontournable du black metal français. C’est en tout cas un EP qui annonce des auspices prometteurs et je le mets en place de choix pour cette année 2022.
A ne surtout pas manquer !

Tracklist :

1 – Dé(s)phasé(s) – I
2 – Soubresauts
3 – Dé(s)phasé(s) – II
4 – Le Seuil des Sensations
5 – Neurasthénie (Outro)

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