Raven Throne – Viartannie (Chroniki Źmiainaj Ciemry) ...
Line-up sur cet Album
Chernotur : guitares War Head : basse, chant, programmation
Style:
Black metal atmosphériqueDate de sortie:
18 septembre 2020Label:
AutoproductionNote du SoilChroniqueur (Quantum) : 9.5/10
“Tout est cycle, cercle vicieux, éternel retour.” Morgan Sportès
439. C’est le nombre de groupes répertoriés par Metal Archives qui émanent de ce pays en crise et considéré comme la dernière dictature d’Europe, qu’est la Biélorussie. J’avoue ne pas savoir dans quoi je m’embarque, si je marche sur des charbons ardents ou si je peux librement voguer pieds nus. Trêve de blague, je suis surtout très curieux de savoir comment un pays considéré comme totalitaire traite ses artistes extrêmes. L’exemple du groupe iranien Arsames qui a été condamné pour sa musique jugée blasphématoire fait partie de ceux qui montrent combien certains pays dans le monde sont encore très en retard sur l’ouverture d’esprit. Les gens ne se rendent pas compte des fois, surtout devant la crise du covid-19, la chance que l’on a d’être dans un pays démocratique où nous sommes libres de nos opinions ou presque, où les élections ne sont pas soupçonneuses. Quand je vois la situation en Biélorussie, je tremble pour tous ces groupes qui essayent de jouer dans la plus stricte et digne liberté d’expression. Alors, je me dis qu’au delà de rendre service à la gérante de Hellfrog Production, qui est une bonne connaissance, (que j’embrasse au passage et que je remercie de sa confiance) en faisant la chronique du groupe Raven Throne je rends également service à la liberté artistique. Montrer en vitrine un groupe comme eux me fait rudement plaisir en tout cas, et j’espère leur offrir une visibilité suffisamment réconfortante avec cette diatribe.
Bon, vu la longévité du groupe, soit depuis 2004, s’il y avait eu matière pour rendre répréhensible leur musique on l’aurait su. Ceci dit et par superstition, je préfère soutenir les groupes qui galèrent quand-même. Raven Throne existe donc depuis cette année 2004 et nous vient tout droit de Polatsk en Biélorussie. Le moins que l’on puisse dire c’est que le groupe n’a pas chômé depuis! Sept albums en comptant le dernier que je vais présenter ce jour, cinq singles, un split avec le groupe Massenhinrichtung, une démo, un EP et une compilation, ce qui nous fait un total de seize CDs en… Seize ans. Une moyenne plus qu’honorable d’un CD par an, ce n’est pas rien. Raven Throne, à savoir, est un groupe composé d’un duo de musiciens, Chernotur qui est le fondateur à la guitare, et War Head qui est le chanteur mais aussi bassiste et programmeur du groupe (pas de batterie en studio). La subtilité du groupe qui me surprend beaucoup, est qu’outre un batteur de session pour les concerts nommé Green Skin, c’est un chanteur de session à la place de War Head qui joue en concert! Ce dernier se « pseudonomme » Zergved. J’avoue être interloqué de cette différence de voix entre le studio et le live, cela doit être étrange, pour ne pas dire assurément risqué, d’avoir deux chanteurs différents… Mais bon ce n’est pas le concert qui nous intéresse ici mais bien le dernier album qui porte le même nom que le single partagé en vidéo YouTube dans cette chronique : Viartannie (le retour).
Etant très sensible pour la symbolique énigmatique du corbeau, je ne pouvais que m’attarder sur le design de cet album autoproduit. Rien que le nom du groupe m’a attiré finalement assez vite et je pense que c’est typiquement le genre d’artwork qui rassemble tous les symboles et objets que j’aime. Deux corbeaux posés sur les racines d’un arbre assez petit, et de surcroit mort, le tout sobrement dessiné en noir et blanc avec un effet d’image brouillée, l’on pourrait se dire que c’est en fin de compte un design relativement simple pour un septième album. Mais sans casser trois pattes à un canard comme dit l’adage, je pense que Raven Throne a le mérite de faire dans ce qu’on nomme vulgairement le « simple mais efficace ». Cette pochette sonne un peu comme un effet coup de poing, en frappant l’auditeur assez fort mais sans se faire mal. Un peu comme une pichenette bien placée derrière l’oreille qui fait autant de mal qu’une mandale dans les mandibules mais qui fait moins souffrir l’agresseur. Mais plus encore que cette sobriété, je pense qu’il faut y avoir une dimension très personnelle chez Raven Throne. Vous savez, l’on a coutume de dire qu’un artwork très sophistiqué dénature la démarche personnelle de son créateur. Et fortuitement, les artworks les plus simples sont souvent le reflet d’un CD très intimiste, très subjectif. Au point parfois de tomber dans l’exagération, or ici ce n’est pas le cas. Le design de nos amis biélorusses a le mérite de faire l’entre-deux, le chainon manquant même! Proposant donc un artwork simple mais plein de symboles, je peux facilement affirmer que le contrat d’attirer l’œil est largement rempli, et je suis plutôt conquis par la démarche, et il m’est permis de dire que je suis tout chaud bouillant pour l’écoute.
Autant vous prévenir tout de suite, musicalement parlant, Raven Throne c’est du lourd. Là encore, il m’est aisé de le dire et de le clamer puisque le style de black industriel est l’un de mes favoris. Mais il n’en demeure pas moins que tout style favori a son lot de déception n’est-ce-pas? Ici, ce n’est pas le cas du tout! Probablement que l’alternance entre des morceaux purement black metal (Viartańnie, Niabačnyja Nici Zimy) ou avec de vraies incorporations indus (Zaklaćcie) y joue, parce qu’il y a un sentiment de (re)découverte important. Ce que je trouve particulièrement intéressant est cette capacité inouïe qu’a le duo Chernotur/War Head et qui consiste à insuffler des influences très pagan avec des ajouts de samples et de rythmiques qui font penser aux premières aubes de Samael ou Aborym. Cela donne un ensemble incroyable, puissant et froid à la fois et cela n’est pas sans me faire rappeler les premiers albums de Raven Throne qui ont traité du paganisme. Car oui, j’ai écouté les premiers ouvrages avec plaisir et j’ai découvert un groupe aux concepts changeants mais gardant une base séculaire mais efficace autour du paganisme, la ou les mythologies et quelques folklores biélorusses semble-t-il. De quoi me ravir!
Il y a pourtant deux petites choses que je tiens à relever et qui trouvent leur origine dans la manière avec laquelle le groupe produit phoniquement ses albums. Dans le cas de Viartannie, je retrouve bien cette fameuse pierre angulaire autour d’un son limite raw mais pas trop, avec un soin apporté plus aux ambiances qu’aux vrais effets sonores et donnant une dimension incroyablement profonde et spirituelle à l’album ci-contre. C’est indubitablement la puissance suprême du black metal que d’arriver à puiser dans une quintessence personnelle, cette profondeur qui touche un large public. Raven Throne ne déroge pas à la règle et j’adore sa production sonore. Un black metal originel associé à quelques incorporations indus, livrées avec parcimonie et suffisamment subtiles pour ne pas être redondantes, et qui démontre une grande intelligence de la part du duo. Cela, c’est pour la partie black metal. La partie indus me donne un peu de réserve notamment sur la batterie et les percussions. Autant vous le dire tout de go, il n’y a pas de batterie studio, la rythmique est assurée par une boite à rythme et… Malheureusement, cela s’en ressent trop. D’ordinaire, les groupes estampillés indus parviennent à un bon équilibre en usitant une batterie ou une boite à rythme bien programmée dirons-nous. Là, on sent bien que les musiciens ne sont pas batteurs… Les parties rythmiques sonnent faux, ou trop « métalliques » on va dire. J’aurais vraiment préféré une batterie, comme dans beaucoup de one-man band ou de duo sans batteur comme ici, l’avis d’un batteur n’aurait pas été de trop, mais je sais grâce à mon amie Brigitte, leur tourneuse, que c’est une volonté du groupe. Soit. Mais il y a un prix à payer je trouve un peu trop cher dans la production. Juste un léger défaut à corriger dans l’ensemble très bon, rien de grave non plus d’autant que pour une autoproduction c’est largement pardonnable au vu de la qualité générale !
Il est toutefois évident, pour ne pas dire que cela crève les oreilles, que Chernotur et War Head sont pétris de talent ! Mieux encore : qu’il existe une totale osmose entre eux et que cela s’en ressent dans la manière avec laquelle ils composent. On sent aisément que chacun a sa place bien définie dans le processus créatif et qu’ils fonctionnent comme un (vieux?) couple qui a ses repères et ses décennies de cohabitation artistique. J’irai plus loin en disant que, non seulement Viartannie n’est pas un album d’aboutissement et que l’avenir sonne comme un horizon radieux, mais qu’il décèle un potentiel immense. Qu’il y a une évolution certaine, une maturité qui s’engage de plus en plus loin et que tout cela contribue à faire de Viartannie un album bluffant. Je me souviens avoir été justement bluffé par le single éponyme, et je me rends compte que je suis frustré de voir que cet album ne dure « que » quarante minutes et ne contient « que » sept morceaux. Bon signe n’est-ce-pas?
Le chant n’échappe à la règle, au contraire. Je pense que l’on reconnait, dans une démarche plus intimiste, la qualité d’un chant quand il s’agit de l’instrument de base du musicien. J’entends par là que War Head est probablement chanteur principalement, dans d’autres groupes qui sait, et cela s’entend bien, très bien même. La qualité est au rendez-vous, et la souffrance n’est pour une fois pas le maitre mot de l’album, plus une sorte de piété exprimée comme des scaldes ou des déclamations chamaniques. En lien peut-être avec la base paganique qui a construit le groupe à ses débuts, je ne retrouve pas cette froideur habituelle. Je trouve presque le chant « chaleureux » dans le sens où il ne rebute pas, il invite l’auditeur dans les pensées, qu’elles soient pessimistes ou en hommage à une quelconque spiritualité. Il m’en coute de le dire, moi qui aime le black old school en général, mais ouais! Cela fait du bien d’entendre un chant aussi beau, et aussi sincère. Prenez en de la graine!
Bon, pour une fois j’ai été plus court que d’ordinaire mais il y a une évidence qui s’impose : quand on aime, on a du mal à trouver les bons mots. C’est une totale évidence donc pour moi que d’aimer le dernier album de Raven Throne, et les mots m’ont manqué pour une fois. Une évidence parce que cet album traite du paganisme avec un black metal atmosphérique et industriel qui n’a pas à rougir de ces prédécesseurs. Viartannie (Chroniki Źmiainaj Ciemry) est un excellent CD, un beau bébé issu d’une relation fusionnelle entre deux musiciens, Chernotur et War Head, qui accouche d’un album comme le bleu et le rouge accouche du violet parfait. Je pense qu’il serait un euphémisme que de vous dire qu’il faut absolument vous procurer le CD, aller voir le groupe en concert et surtout de leur offrir une place de choix dans vos discothèques, Raven Throne s’impose ou s’imposera bientôt comme le futur pionnier du genre, c’est sûr. Ce n’est qu’une question de temps! Meilleur groupe de Biélorussie pour moi !
Tracklist :
1. Zaklaćcie 05:36
2. Viartańnie 05:38
3. Uładar Ściužy 03:25
4. Niabačnyja Nici Zimy 05:33
5. Miortvaja Spadčyna 07:14
6. Spyni serca Vosieni 06:09
7. U dałoniach zimy 05:39
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