Note du SoilChroniqueur (Quantum) : 8.5/10

“La pureté des intentions d’un auteur est à rechercher dans la noirceur de ses brouillons.” Stanislaw Jerzy Lec

Redemptus n’est pas une marque de parfum, encore que le nom s’y prêterait je trouve, mais il s’agit bel et bien d’un groupe qui nous vient d’un pays que je n’ai pas l’habitude de faire en chronique, pourtant il s’agit d’un bon vivier en la matière : le Portugal. Issu de la ville de Porto, on apprend que le groupe officie depuis 2014 après s’être nommé sobrement Redemption. Je comprends le changement de nom, le précédent était carrément passe-partout. Concernant la carrière, on a une discographie assez fine encore, mais après huit années d’existence cela reste un ratio plutôt correct quand même, avec pas moins de trois albums avec ce dernier Blackhearted et un split sorti en 2017 avec le groupe Basalt qui vient quant à lui du Brésil. On n’a donc pas énormément d’informations au sujet du groupe, si ce n’est un petit détail mais qui a son importance pour moi : le chanteur Paulo Rui est également le chanteur du groupe français Verdun dont j’ai eu le plaisir de la chronique il y a peu d’un split avec Old Iron. Voilà, c’était pour la petite anecdote du jour, je voulais vous la raconter parce que découvrir que le chanteur de Redemptus est celui de Verdun m’a donné le sourire. Trêve de niaiseries ! On y va?

La pochette a quelque chose de bizarre. Je ne saisis pas bien l’intention de Redemptus sur ce coup-là, parce que la photographie qui me semble être une capture d’écran d’un film ou d’une série (ne me demandez pas duquel ou de laquelle il s’agit, je n’en ai aucune idée) ne m’évoque pas grand-chose. Hormis que la gamine crie tout en semblant très apeurée, ce qui paraît indiscutable, et semble même tétanisée car fixe sur l’image, c’est surtout ce qu’il y a potentiellement derrière que je ne saisis pas. Alors je me suis aperçu récemment que ma vue me jouait des tours (pas vrai Migou ?) mais sincèrement je ne vois rien. Et là n’est pas le souci selon moi. Le vrai problème c’est qu’on ne comprend pas ce que le groupe portugais a voulu nous montrer. J’avais dans l’idée qu’un « être au cœur noir », comme pourrait être traduit le nom de l’album, pourrait être représenté par une figure démoniaque ou un humain sanguinaire, pervers ou psychopathe, et cela corroborerait cette petite fille apeurée dans un sens. Mais comme on a simplement cette image qui au final ne veut rien dire de spécial, je suis bien en peine pour trouver un quelconque intérêt à cette pochette qui utilise en plus de cela ce qui s’apparente à une capture d’écran idiote, il y a donc en plus de cela l’idée de s’approprier un ouvrage déjà existant, connement comme ça. La dénommée Marta Paiva qui a « fait » l’artwork n’a pas franchement de quoi se vanter ce soir surtout s’il s’agit de la même personne que j’ai vue sur ArtStation et qui est fort jolie. En plus, on n’a ni nom du groupe ni nom de l’album… Donc en principe, c’est une pochette qui n’est ni faite ni à faire, tout ce que je fuis voire déteste dans un artwork d’album, soit un manque d’originalité, une absence criarde d’inspiration et une pâle copie d’un film ou d’une série qui existe déjà dans un autre contexte. Pas le temps de niaiser comme dit mon frère, je passe mon chemin mais si j’étais Redemptus je ne serais franchement pas fier…

Pour la musique, et c’est quasiment tout le temps le cas, les choses s’améliorent grandement ! A ma grande surprise, le sludge metal présent sur le papier n’est pas aussi simple que cela. Je suis très étonné de la technique instrumentale au sens propre du terme qui se situe selon moi entre le post-metal (encore que ce terme soit très vague encore de nos jours) et surtout une sorte de djent dans la rythmique très complexe, dans la déstructuration de certains morceaux qui est conséquente, et dans un son très spécial voire inhabituel chez le sludge metal. Lui qui d’ordinaire est très boueux, mais ici sonne sur deux lignes d’accordages distinctes mais très graves chacune. Du coup, on a une sorte de sludge metal mais avec un son plus propre, plus moderne, ce qui tranche avec ma perception habituelle de ce genre. La grande spécificité de Blackhearted reste néanmoins cette capacité à jouer sur un chaos rythmique qui me fait penser à du Meshuggah ou du TesseracT, et je suis non seulement abasourdi par cette abondance de technicité instrumentale, mais surtout par le résultat qui en découle. Loin d’être inaudible, cette œuvre complexe est d’une harmonie bluffante.
Il faut aussi se représenter que Redemptus, c’est seulement trois musiciens ce qui dans le registre sludge metal n’est là encore pas un truc extraordinaire mais je trouve que ce pouvoir de faire une musique propre, vaillante et lourde par moment avec si peu de musiciens, cela ressemble fort à du grand talent. Et je suis toujours ébahi par cela ; peut-être que certains d’entre vous non, ou plus avec le temps. Mais en ce qui me concerne un tel jeu instrumental dans un album comme Blackhearted cela me donne une patate d’enfer ! Après, au bout d’une première écoute, on s’aperçoit vite qu’on fait le tour de l’album en peu de temps et qu’il n’y a pas énormément de choses à creuser après, mais simplement ce côté coup de poing et cette technique très art martial en même temps, cela m’a fait très plaisir !
Redemptus signe donc un troisième album très bon, c’est mon constat en écoute primale.

Pour la production, on ne peut pas dire que le point de départ était des plus aisés. Parce qu’il faut se représenter que le combo instrumental se réduit au strict minimum syndical, soit une basse, une batterie, une guitare et un chant. Sur le papier comme cela, cela peut paraître simple de mixer tout cela ! Mais en fait, c’est un véritable casse-tête. Ce que l’on peut découvrir dans Blackhearted c’est la place prépondérante qu’occupe la basse dans l’ensemble, jouant un rôle que l’on ne soupçonne que de moins en moins dans un groupe de metal, celle de la rythmique et de la mélodie en même temps. Deuxième roue du carrosse, la basse dans le mixage est juste énorme. Un vrai plaisir, du petit lait sonore ! La guitare à côté est même inférieure pour moi, c’est vous dire. Dans le genre sludge metal, cet ensemble guitare / basse est important, j’ai souvenir du groupe Bleeding Eyes qui faisait exactement pareil, et j’avais adoré ! La batterie est sonorisée comme un truc plus hardcore je trouve, plus frappant que d’ordinaire. Et le vrai plaisir c’est que les pistes se fondent ensemble comme un vrai truc harmonieux, malgré l’hyper technicité instrumentale de Redemptus. Une production qui fait largement le boulot et même si le son n’évoque pas forcément le sludge metal, au moins est-il très moderne dans son approche et révolutionne un peu le style, ce qui est loin d’être simple ! Bravo !

Je disais un peu à tort que l’album Blackhearted était un peu trop animal pour m’évoquer une analyse plus personnelle. En vérité, je pense que la meilleure analyse à faire serait d’expliquer ce ressenti très primaire que j’ai quand j’écoute deux ou trois fois l’album de Redemptus. Parce que c’est cela, parfois la musique. Cette bestialité qui peut s’avérer complexe dans son expression et sa lenteur, ce sludge metal très inhumain avec une technique hors norme et cette agressivité jamais débordante mais suffisamment marquante pour que nous courbions l’échine devant une sorte de prédateur géant. Cette envie de se soulever, c’est le propre du sludge metal dans ses relents un peu punk et surtout hardcore. Et je dois dire que si j’aime les groupes qui expérimentent, j’apprécie tout autant d’avoir des formations qui gardent la ligne de conduite première d’un genre musical qui souffre de ses progressions. Mais ici, Redemptus ne cherche pas la rédemption, il cherche la bagarre ! Et manifestement, la musique de Blackhearted est très sombre, très complexe. Tout ce qui fallait pour me plaire ! Indéniablement un très bon album qui souffre un peu de quelques redondances techniques mais ce n’est réellement pas grand-chose. A conseiller !

Pour le chant, c’est effectivement un peu le même constat qu’au début. Un chant agressif, venant des entrailles les plus acides et avec un timbre de voix très abimé, comme un chant rocailleux mais sur de très très longs cris d’agonie. La technique vocale est peu évidente car elle requiert une maîtrise des techniques d’échauffement et une certaine retenue qui permet de ne pas se faire mal, même si on a le sentiment que les chanteurs de ce style sont voués à la douleur. Mais chez Redemptus, on sent qu’il y a du travail, et ce n’est pas plus mal ! Un chant qui en plus parvient à se greffer dans les tréfonds des variations rythmiques, pour ne jamais sembler en trop ou mal placé ce qui est un bel exploit dans ces déstructurations rythmiques abondantes. Bref ! Du très beau boulot !

Pour finir ici cette chronique, disons que Redemptus a frappé un grand coup avec Blackhearted pour troisième méfait. Loin d’être un exercice facile, le sludge metal qui est amené sur cet album est d’une grande touche moderne et avec un enjeu technique qui ressemble de loin à du djent, même si ce mot est un gros mot pour la plupart d’entre nous. Toujours est-il que cette sortie risque d’être un bouleversement dans la vie du groupe avec l’appropriation d’une sonorisation moderne qui délaisse un brin le côté boueux du son habituel du sludge pour avoir quelque chose de propre et sec. Avec en prime une incroyable dextérité technique pour déconstruire les compositions, c’est un album qui ne laissera personne indifférent.
Après, de là à savoir si cela sera bon ou non, il n’y a qu’un pas. Mais de mon côté, j’ai beaucoup aimé cette prise de risque, et je salue le groupe d’avoir eu le culot de bousculer les convenances sludgiennes pour offrir Blackhearted, car le résultat est bluffant et surtout très satisfaisant. Bravo à vous !

Tracklist :

1. Blackhearted 06:20
2. Heads You Win Tales I Lose 03:54
3. Sunk in Perpetual Tidal Waves 02:32
4. It Was Never Meant 03:43
5. Still Resemble the Silence 08:13
6. How Much Pain Can Fit in One’s Chest 03:45
7. Forgive and Forget 03:52
8. Purged by Light Engulfed by Darkness 06:40
9. Swallow the Tears 07:18
10. Doomed to Crumble 05:13

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