Suicidal Madness – Vestiges d’une Ère
Line-up sur cet Album
- Malsain : guitare
- Psycho : guitare
- Alrinack : chant, guitare acoustique
- Frakkr : batterie
- Nekros : basse
Style:
Black Metal DépressifDate de sortie:
26 février 2021Label:
Wolfspell RecordsNote du SoilChroniqueur (Quantum) : 9/10
« Le suicide ! Mais c’est la force de ceux qui n’en ont plus, c’est l’espoir de ceux qui ne croient plus, c’est le sublime courage des vaincus. » Guy de Maupassant
La question du suicide en France est un sujet encore très sous le joug d’une pensée judéo-chrétienne, et apparait comme une situation pernicieuse. La vérité, c’est que, comme le dit de Maupassant, il y a quelque chose de l’ordre du courage ultime dans les velléités de suicide. Loin de moi l’idée d’encourager et de faire l’apologie des passages à l’acte, mais il faut reconnaître qu’il y a matière à déculpabiliser les personnes qui ont envie de mourir. La question de tout ce qui se trame autour des velléités d’en finir a toujours été un sujet d’étude très prononcé, et un secret de Polichinelle pour tous. En tant que professionnel de santé psychiatrique, cela me tient à cœur de comprendre par quel processus une personne en arrive, alors qu’elle a largement de quoi contrebalancer cela, à vouloir en finir avec la vie. C’est mon cœur de métier et j’essaye de m’y employer le mieux possible. Maintenant, je m’aperçois que ce thème est récurrent dans des catégories bien précises de metal, majoritairement en tant que défouloir et exutoire suffisamment puissant pour ne pas passer à l’acte. Sinon, comme un simple sujet d’inspiration classique, un nom, une étiquette solide pour une orientation musicale itou. En tout cas, naturellement, j’aime bien l’univers propice à la dépression et la mélancolie. C’était donc assez naturel que je me penche sur l’EP de Suicidal Madness, appelé Vestiges d’une ère.
Pour faire connaissance avec Suicidal Madness, il suffit de savoir que le groupe existe depuis maintenant onze années, soit depuis 2010, et était au départ originaire de Richemont, dans le Grand-Est, avant de trouver ses bases en Isère. Outre le fait que dans le groupe officie à la basse l’un de mes (rares) amis dans le milieu, Nekros, le sbire derrière Kosmos dont j’ai eu l’immense plaisir de faire la chronique du dernier album, il y a surtout une formation qui en était jusqu’à ce jour à trois albums, deux démos et un split avec Sombre Croisade dont les membres sont aussi des musiciens de Suicidal Madness. Un parcours honorable, plus que cela même quand on sait que l’EP Vestiges d’une ère est l’occasion pour le quintet isérois de mettre en avant d’anciennes compositions, avec un mixage tout neuf ! Cet EP sonne donc comme un probable retour aux sources avec cette touche de renouveau que l’on aime parfois entendre, parfois non si le rendu est trop dénaturant. Pour le reste, Suicidal Madness continue donc son petit bonhomme de chemin sur les pentes caillouteuses de la dépression. Voyons si cet EP reste fidèle aux principes bien précis du groupe !
Pour les principes, le groupe continue de faire dans l’effet tons de gris triste, avec cet artwork qui montre une route qui part au loin, avec un décor bien sombre et ses poteaux électriques avec des oiseaux. Il y a un côté photographique très sale que j’aime beaucoup, le principe étant de figer des instants présents plein de sentiments, la réussite étant le degré de ressenti de celui qui regarde. Ici, même si l’image peut ne pas parler à certaines personnes qui contempleraient l’artwork, il n’en est pas de même pour moi. Je trouve que la symbolique de la route qui se perd dans l’infini, l’angle de prise qui fait penser à quelqu’un qui se retourne quand il marche pour regarder derrière lui, ces oiseaux qui semblent contempler laconiquement la scène en haut de leur piédestal, l’aspect « mort » de ces poteaux, tout contribue à planter un décor très sombre. L’intérieur et le quatrième de couverture étant tous les deux en texture bois grisonnant, donne un côté mortifère au bois qui est une matière vivante. Enfin, je pars sûrement dans des explications un peu chiadées, mais il n’en demeure pas moins que ce choix d’artwork est extrêmement judicieux et reflète tout ce que l’on s’attend à ressentir de plus intense dans la musique de Suicidal Madness. Froideur, nostalgie et abattement. Très bon choix, largement validé par mes soins en tout cas !
Cet EP est donc composé de cinq morceaux fraichement remis au goût du jour si l’on peut dire, parce que ce constat est tout sauf celui de l’évidence. Et une reprise très étonnante, totalement inattendue sur le papier, celle de « Rememeber Sadness » de Seiji Yokoyama du manga « Les Chevaliers du Zodiaque » ! Alors là, celle-ci, j’avoue que je ne m’y attendais pas du tout. Mais commençons par le commencement et la musique proposée ici est à l’image même du nom du groupe et de son artwork : démesurément dépressive. Un black metal dépressif, avec la froideur qui transperce l’échine comme un coup de poignard dans les côtes. Je parlais tout à l’heure de morceaux remis au goût du jour, disons que pour faire simple, cet argumentaire a deux poids deux mesure. Je voulais dire en fait que Suicidal Madness montre clairement non pas spécialement un retour aux sources, parce que les sources paraissent lointaines, mais plutôt un retour à ce qui faisait la splendeur mirifique du black metal : le côté années 90. Et manifestement, pour transcender la mélancolie, rien de mieux qu’un son digne des productions dantesques de ces années-malheur. Celles de ma naissance en plus. C’est la première chose qui m’aura totalement conquis mais j’essayerais d’y revenir plus bas. Il y a surtout un truc qui, dès la première écoute, me saute aux yeux : l’utilisation des instruments qui, loin d’être singulière, permet d’entendre tout le monde y compris la basse qui joue un rôle étonnamment mélodique au lieu d’accompagner la rythmique lente et précise de la batterie. Une vraie surprise donc que l’élaboration des compositions qui, si j’en crois mon intuition, datent des débuts du groupe. Cette première écoute me donne l’impression que ces pistes n’ont pas pris une ride et assoient le talent des Isérois dans le registre mélancoliforme ! Une vraie grosse surprise pour moi qui avait délaissé, par lassitude, le DSBM ces dernières années. Moi qui commençais à trouver redondants les groupes actuels qui sont plus sur la mouvance raw black metal déguisée que réellement dépressive, je suis réconcilié ! Grâce donc à cet EP fantastique.
La production a ceci de particulier qu’elle donne le sentiment que le groupe a voulu donner un coup de bombe rafraichissante sur des compositions vieillies mais que la peinture redonne du cachet plus que de la modernité. Et ça, les gars, c’est très très fort ! Du coup, on a un son typiquement, comme je disais en préambule, des années 90, que je chéris plus que tout (à l’heure où j’écris ces lignes, je me refais un bon vieux « Enthrone Darkness Triumphant » de Dimmu Borgir) parce qu’elles sont le reflet de ce que le black metal avait de plus froid, de plus sombre et de plus monstrueux. Des guitares qui sont ainsi tranchantes, une batterie qui n’exagère en rien les rythmiques rapides notamment à la double pédale, pour laisser place à une lenteur oppressante, et la basse qui sert de pilier mélodique à plusieurs reprises. Tout ceci permet non pas d’avoir une musique agressive, mais plus incisive voire sédative sur nos psychés meurtries. Le « bad mood » comme disent les Anglais, c’est exactement ce que l’on ressent quand on écoute un EP de la trempe de ce Vestiges d’une ère. Tout est raccord avec l’orientation musicale de Suicidal Madness, la volonté étant donc de nous rendre empathes sur la souffrance des autres et d’en absorber la moindre déliquescence. Un son génial, dantesque même ! Froid comme un blizzard sur un désert de neige, incisif comme de la grêle en rafale et sédatif comme le son du vent sur les arbres, tous les ingrédients pour nous plonger dans les ténèbres des tourments humains. J’adore !
Ce qui ressort des nombreuses écoutes que j’ai faites de cet EP, c’est que le groupe a su proposer des compositions chacune dans la même lignée de ce DSBM lancinant, avec toutefois des petites subtilités osées mais intéressantes, et qui loin d’être dysfonctionnelles, sont au contraire très efficaces. Je parlais de la basse. Il va de soi que mon ami Nekros est très bon, et ce sans aucun défaut d’objectivité de ma part puisque la basse joue un rôle assez spécifique de pilier mélodique derrière les blasts des guitares et les accords aigus de ces dernières, qui fonctionnent un peu comme une nappe de claviers. Du coup, par moment, la basse prend le rôle mélodique, et j’en suis agréablement surpris ! C’est assez rare dans le black metal dépressif de voir ce genre d’innovations, dans un style qui laisse plus de place au minimalisme et au manque de fioritures, ici cette petite note est appréciable, voire fait totalement la différence ! L’autre point que je trouve très intelligent dans le travail composal est cette montée en puissance que l’on retrouve sur les pistes, comme si la souffrance allait crescendo et atteignait son apogée à chaque fin ! Comme des étapes successives vers un cheminement souffreteux des plus extrêmes. En tout état de cause, ces écoutes ne laisseront personne indifférent et resteront surtout comme de potentiels retours, c’est à dire que l’EP s’écoute sans fin et sans être rangé définitivement dans une discothèque. A coup sûr, on y revient dessus. Et c’est donc un excellent point positif que cette intelligence dans la composition ! J’espère toutefois que les plus puristes ne verront pas d’inconvénient à ces innovations. Mais bon, on les connaît…
Il va donc de soi que les musiciens ont énormément de talent, j’en veux pour preuve le fameux Psycho qui a son propre projet de dark ambient / dark wave Inexistence, que je vous invite dûment à découvrir, et qui démontre surtout la pluralité des musiciens. Certains ont énormément de groupes en amont comme le chanteur Alrinack, le batteur a été dans les formations de Sangdragon, Burning Flesh et Talvienkeli, et actuellement Skaphos. Bref ! Des musiciens au service du metal dans plusieurs groupes, qui plus est dans d’autres genres parfois aux antipodes de Suicidal Madness, cela ne peut que renforcer l’idée selon laquelle ce groupe est voué à la promotion ! Mais passons plus attentivement au chant d’Alrinack. Certains amateurs de metal expliquent que le chant typiquement DSBM qui n’est en fait qu’un high scream soit fortement retouché, soit pas du tout, exaspère ces derniers. Je crois savoir que cette exaspération est due non pas à une quelconque mauvaise technique de chant ou autres joyeusetés de ce genre, mais plus sur l’effet qu’il procure sur l’auditeur. Dérangeant au possible, celui présent sur Vestiges d’une ère est surtout un vrai concentré de souffrance et de peine. Le chant d’Alrinack est époustouflant, prend totalement aux tripes et donne envie d’extirper toute la fange sentimentale qui grouille dans nos entrailles et qui bout comme une marmite en fonte. La technique vocale, à la rigueur, on s’en fout. D’autant que si retouches excessives il y a, elles ne dénaturent en rien la profondeur abyssale de la voix. Un chant prenant et ahurissant d’efficacité, comme un mugissement de bête blessée et esseulée dans le froid. Je suis totalement sur le cul, et Nekros sait à quel point venant de moi, ce que cela signifie.
Les textes enfin, puisque j’ai reçu gentiment un format physique de l’EP ! J’ai donc pu avoir accès aux paroles du groupe. Alors, la seule petite chose que j’aurais à redire mais qui est un grain de sable dans l’univers, c’est l’ordre des morceaux dans le livret. Je ne sais pas s’il y a eu un couac, mais les textes sont mal placés. « Jour de Pluie » se retrouve en premier alors qu’il est cinquième dans la liste. Bon, ce n’est pas méchant mais quand on ne comprend pas les textes comme c’est d’usage dans le chant DSBM, c’est un peu regrettable. En tout état de cause, les textes valent vraiment le coup d’être lus. D’ordinaire, quand ils sont en français, je suis plus réceptif aux vers qu’à la prose, et je suis de fait un peu déçu. Mais lorsque on lit de plus près ces derniers, on s’aperçoit du sens très important qui est mis derrière. Le jeu dans les syllabes, les allitérations et la lenteur du débit donnent un vrai sens et un vrai manteau de nuit à la langueur de ces mots. La prose a pour une fois un vrai élan de sympathie sur moi avec Suicidal Madness, ce qui là encore constitue un petit exploit. Il est donc bel et bien question de souffrance, de mélancolie avec une touche personnelle qui, encore une fois, loin de nous décourager, nous inspire une vraie empathie et j’allais dire sans outrecuidance, une sorte de piété et de pitié. Vraiment, les textes sont courts, prosaïques mais sublimes.
En guise de conclusion, il m’apparaît important de mettre l’EP Vestiges d’une ère de Suicidal Madness à la haute place qu’il mérite. Très bel ouvrage de black metal dépressif des premières heures, celles les plus sombres et d’une époque que beaucoup tentent – vainement – de maintenir en vie, il fonctionne un peu comme un amuse-gueule, celui qui précède un probable met délicat et qui donne envie de se pencher plus attentivement sur le repas qui va venir. Vous voyez le truc ? J’attends donc l’album qui confirme les bonnes intentions du quintet isérois et qui a mis, il faut bien l’avouer, la barre très haut sur ce coup. Véritable ode à la mélancolie et au spleen, Vestiges d’une ère s’impose comme un excellent EP et qu’il faut à tout prix se procurer, non pas pour le plaisir, mais pour ses triplés maléfiques que sont le désespoir le plus humainement terrible, la langueur empoisonnée et l’affliction la plus sournoise. Excellent !
Tracklist :
1. Mort, ,
2. Coma
3. Corps dans un Corps
4. Les Larmes du Passé
5. Jour de Pluie
6. Remember Sadness (Seiji Yokoyama cover)
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