Line-up sur cet Album


  • Damien : tous les instruments, chant

Style:

Doom Death Metal

Date de sortie:

23 avril 2021

Label:

Solitude Productions

Note du SoilChroniqueur (Quantum) : 9/10

« Ma carrière n’a démarré qu’à 50 ans. C’est en France que j’ai d’abord connu le succès. Mon meilleur souvenir, ce sont mes trois Olympia ; la salle bondée et enthousiaste, en juin 1993. Et puis la Légion d’honneur remise par le président Chirac. Cette double reconnaissance du public et des autorités françaises, c’était comme une consécration. » Cesária Évora

Il y a un truc qui m’a toujours fait fantasmer dans le milieu artistique, et l’avantage c’est que le bord importe peu : c’est le fameux « chef d’œuvre », la consécration. Je me suis toujours demandé à quel moment on se rend compte qu’on a touché la consécration artistique. A quel moment l’on peut considérer que l’on a accompli sa tâche la plus importante, sa création la plus culminante, suffisamment en tout cas pour tirer sa révérence. Il y a eu des exemples plus ou moins extrêmes comme celui bien connu dans le milieu metal de Jon Nödtveidt, créateur de Dissection qui s’est suicidé à 31 ans en considérant qu’il avait plus ou moins atteint son apogée (c’est de l’ordre du satanisme de préférer en finir avec la vie une fois son apogée atteinte, pour ne pas être rabaissé), ou celui d’autres artistes qui préfèrent arrêter leurs carrières, ou se mesurer à autre chose une fois le sentiment d’avoir été au bout de quelque chose. C’est vraiment l’une de mes grandes interrogations, et paradoxalement une certaine phobie en lien avec la page blanche, la non-consécration d’une certaine manière. Il nous arrive parfois de découvrir des groupes qui n’ont sorti d’un CD, ou une simple démo autoproduite restée dans les oubliettes, ou connue des méandres de l’underground. Et parfois, je me dis : « est-ce que cette sortie unique ne serait pas finalement une sorte de consécration »? Du genre, est-ce que le groupe a sorti ce CD unique non pas, comme l’on pourrait le croire, par manque de motivation (ce qui arrive sûrement beaucoup), mais par souci de ne pas vouloir faire pire? L’un des exemples qui me vient à l’esprit, d’un groupe qui a connu une forte consécration avec deux démos et « seulement » deux albums, c’est Forbidden Site. Depuis, nada. On pourrait donc se dire que les deux musiciens fondateurs qui étaient Romarik d’Arvycendres et Arnault de Stael ont atteint une forme d’apogée, sinon ils auraient voulu reformer Forbidden Site. Ou pas… Enfin! Pourquoi je vous dis cela? Parce que je dois m’occuper de la réédition des deux seuls CDs sortis par Tetramorphe Impure, réunis dans un seul pour cette année 2021, parce que le groupe n’a rien sorti d’autres depuis 2010. Consécration? Ou manque de motivation? A voir!

Faut avouer que je ne connaissais absolument pas ce groupe, ni d’Eve ni d’Adam! Pour ainsi dire qu’en 2010 je n’étais pas franchement branché dans le genre de Tetramorphe Impure. Derrière ce nom étrange et qui semble ne rien vouloir dire de précis, il y a en fin de compte une seule personne aux commandes : un certain « Damien« . Attention! Pas le Damien du film Malédiction sorti en 2006, quoique l’on pourrait se dire qu’il pourrait y avoir une inspiration. En vérité, le nom du gars est Damien Dell’Amico, un musicien italien qui a créé son projet solo en 2006. Officiellement, le one-man band existe toujours mais hormis une démo appelé The Last Chains, un split avec le groupe Black Oath et un EP nommé Dead Hopes sorti du chapeau, il n’y a officiellement rien eu depuis 2010. Et encore! Il faut savoir que le split est composé par les morceaux… De la démo. Donc officiellement, Tetramorphe Impure n’a sorti que… Deux morceaux. En onze ans. On est sur un ratio très très famélique… D’où ma sincère interrogation! Parce qu’il faut savoir que le nommé Damien continue la musique, il est en effet musicien live dans Comando Praetorio. Enfin voilà le contexte de cette nouvelle sortie qui inaugure ENCORE les fameux deux morceaux de 2008 et deux nouveaux. Franchement, j’ai une grosse curiosité à l’écoute de cet EP.

J’ai omis de préciser un truc : la démo de 2008 n’avait officiellement même pas de pochette et le split était en format cassette avec un artwork digne des tréfonds de la mocheté underground. Autant dire que je n’allais pas faire le difficile avec celui-ci, étant donné le peu de matière passée. Mais bon! Je le trouve plutôt raccord avec l’imagerie assez classique du genre musical préétabli, sans grande créativité. Disons que l’étiquette genre squelette découvert au fond d’une grotte ou d’une champignonnière, dans un rictus d’agonie, cela sonne un peu comme du déjà vu et revu. Je m’attendais à mieux pour une réédition inattendue, j’ai le sentiment que l’artwork n’était pas du tout la priorité soit du label, soit du gonze, comme d’ailleurs il semblerait que cela ne fut jamais le cas par le passé… C’est dommage parce que je suis certain que cela méritait mieux quand-même qu’une simple et banale photographie d’un squelette, dont l’on peut douter de l’authenticité mais avec tout ce qu’on trouve sur Internet de nos jours, on ne sait jamais… Voilà. Bon, on ne vantera pas l’artwork insipide, sans prestance et parvenu de cette réédition, parce que sinon on passerait au mieux pour des hypocrites, au pire pour des gens sans gout. Ni fait, ni à faire!

Mais alors dis donc, la musique… Je suis resté bien surpris! Je ne m’attendais pas vraiment à un tel rendu dans une réédition, tout simplement parce que pour moi, réédition = comme avant. Du coup, j’ai été pris de court notamment par la qualité sonore dont je reparlerai plus bas, c’est ce qui m’a mis bien à l’aise au départ. Et puis, il faut admettre que les quatre morceaux sont tous les deux très bons, cela me fait penser (et le label le confirme dans son dossier presse – enfin, son document .txt) à la scène doom metal des années 90. L’aspect death metal est un peu moins prenante que ce que j’ai l’habitude désormais d’écouter par le manque d’agressivité et le côté moins épais que ce qui se fait d’ordinaire, mais en tout cas l’aspect doom metal est très présent et très bien exécuté. Mais le plus épatant je dirais, c’est qu’il n’y a pratiquement aucune différence entre les deux nouveaux morceaux (les deux premiers), et les deux de 2008! Le son est quasiment le même, et ça j’avoue que cela m’a indéniablement fait plaisir, parce que je craignais une trop grande différence entre eux, ce n’est absolument pas le cas et je suis vraiment content! De fait, la première écoute est incontestablement harmonieuse, les riffs sont limite funeral doom et amène une ambiance très malsaine, j’adore les claviers qui sont présent avec parcimonie mais qui amènent eux aussi une ambiance particulière, conférant à la musique un côté funéraire et sombre qui fait l’honneur à ce genre doom death metal que je chéris tant. C’est une très belle surprise que cet EP Dead Hopes / The Last Chains, je ne m’attendais sincèrement pas à cela et j’ai déjà un semblant de réponse à ma question existentielle à la noix : cela ressemble fort à une sorte de consécration avant l’heure.

La production est sûrement ce qui m’a donc le plus surpris! Le premier effet a été de me dire qu’elle sonnait bien comme les années 90, beaucoup de groupes de doom metal actuels étant nostalgiques de cette époque, ce son si particulier se retrouve dans pas mal de productions récentes, et j’ai été vraiment très étonné de voir qu’il n’y avait aucune scission, aucun clivage entre les quatre pistes de Dead Hopes / The Last Chains. On sent que la volonté première de Tetramorphe Impure est de garder ce champ sonore très précis, old school, quitte à déchirer un peu l’étiquette trop vite mise de doom death metal pour rester sur un doom metal d’époque, racé et obsédant. Les claviers sont peu présents, au début ou au milieu des morceaux voire les deux, mais ajoutent un côté de procession funèbre qui dérange, qui turlupine les âmes. Le son doom metal des années 90 est vraiment intemporel en fait. Vous écoutez un groupe comme Tetramorphe Impure qui vous pond une démo en 2008 que vous auriez limite pu écouter en 1995, et vous trouvez cela toujours aussi jouissif. Après, c’est mon petit doigt qui tatillonne un peu, mais j’aurais encore une fois aimé un son plus épais, un truc bien plus funéraire encore, un doom associé à un son bien grassouillet, comme font d’autres. C’est mon seul vrai bémol, mais comme je me rends compte que je me répète pas mal en ce qui concerne les productions doom death metal, je me dis que c’est peut-être moi qui se chiffonne tout seul. Cela reste quand-même une très bonne production, qui n’a pas vieilli du tout et qui stricto facto est digne d’intérêt. Beau choix!

On aurait été en droit de se demander ce que donnerait onze longues années de labeur, ou pas, avec cette nouvelle réédition qui n’en est qu’une à moitié! De fait, l’on pourrait reprocher à ce Dead Hopes / The Last Chains un manque d’innovation, un temps perdu au non-service de la motivation et qui donne un CD fadasse. Il n’en est rien parce que la musique doom metal comme celle de Tetramorphe Impure est comme je le disais, intemporelle, et que je pense sincèrement que le groupe avait déjà pour l’époque frappé un grand coup dans la guêpière! Du coup, en ce qui me concerne, je ne suis pas étonné ni même déçu. Je sais que tout le charme de Dead Hopes / The Last Chains repose sur ce qui s’était fait de bien avant, et qu’un tel CD n’est pas à offrir aux auditeurs avides de nouveautés. C’est clairement une ode à l’old school, et il faut le prendre tel quel. Une fois ce réflexe de Pavlov écarté, on savoure pleinement. Je me suis éclaté à écouter plusieurs fois cet EP, il y a vraiment une âme maitresse, un guide qui conduit vers des sentiers clair-obscur. Disons qu’en plus de cela, quatre morceaux pour quarante minutes de musique, cela reste raisonnable et abordable. Les compositions sont exactement du même terreau et cela s’en ressent, Damien a encore la même énergie créatrice qu’avant, que ce soit les deux premiers ou les deux derniers, on dirait un seul et même album. C’est dingue de voir une telle constance en si peu de matières. Bon, je ne vais pas épiloguer, vous l’aurez aisément compris, je me suis bien plu sur cet EP Dead Hopes / The Last Chains, et je le recommande chaudement à tous les amateurs de doom death metal.

La recette du succès est due au talent du gonze. Damien joue tous ces instruments depuis le début, et cette perspective très intimiste j’adore! Du coup, sans être un grand multi-instrumentaliste, on sent qu’il a l’habitude de mener son bateau. Les compositions ont toutes plus ou moins la même ligne directive, des introductions en clean avec beaucoup d’effets de reverb’, puis le balancement intensif des accords arrivent, toujours dans un accordage similaire, avec parfois des moments plus cléments, plus chatoyants. C’est très surprenant cette association entre une noirceur extrême que l’on retrouve dans des accords distincts, et des moments plus soulageant, presque agréables! J’aime cette dualité, cette association d’idées. Et Damien a ce talent certain pour réunir dans une seule entité deux paradigmes d’ordinaire éloignés, que sont la noirceur et la lumière. Du grand talent, et je me dois de lui témoigner tout mon respect. La musique est à son image certainement, mais baigne tellement dans le nostalgisme et la peine que l’on a envie de la partager avec lui dans un élan empathique. Le funéraire rassemble toujours, n’oubliez jamais cela… (Tiens, je m’auto-citerai la prochaine fois!)

Et puis, l’on ne pouvait pas finir cette chronique dans le chapitre à la Quantum, celui du chant! Comme dirait Kad Merad « les courses, c’est mon dada », le chant est le mien donc bon… En tout cas, la touche death metal se ressent beaucoup dans le chant même si la technique vocale impose plus un growl medium qu’un vrai grunt grave. Cela reste dans la trempe bien funèbre du death metal mais avec un degré d’épaisseur en moins, encore. En tout cas les textes sont déclamés comme une plainte lancinante, c’est assez stressant. La technique vocale me semble en tout cas maitrisée et associée à une sincérité sentimentale très ancrée. Donc en lui-même le chant me fait très plaisir! Encore un motif de satisfaction supplémentaire et ce dernier non plus n’a pas pris une ride. Très bon chant.

A la suite de cette nouvelle analyse s’ajoutera le point final du jour. Tetramorphe Impure signe une sorte de réédition avec du neuf, deux morceaux plus frais sur le papier mais qui sont tellement semblables aux anciens et à ce jour, seuls rescapés d’un accident artistique de la part du Damien (accident salvateur je précise), que cet EP Dead Hopes / The Last Chains est une excellente sortie! Une réédition qui valait franchement le coup tant la démo dont découle ce nouvel opus semblait injustement restée aux oubliettes. Voilà ainsi une sortie qui fait plaisir tant la musique doom death metal opère ici dans une vraie magie musicale, une sorte d’ode au mortifère et aux esprits torturés. Dead Hopes / The Last Chains est un vrai opus du genre, avec l’aspect nostalgique qui se perçoit aveuglément dans l’old school marqué dans le champ sonore et les compositions. Cet EP, par son nom, amène déjà une dualité époustouflante entre ombre et clarté, entre torture et soulagement et dans une créativité que l’on répercute sur le clair-obscur. Ce Dead Hopes / The Last Chains est donc un vrai ouvrage de clair-obscur musical, et un très bon!

Tracklist :

1 Deception 11:27
2 Dead Hopes 13:24
3 The Last Chains 10:59
4 Eternal Procession 10:06

Bandcamp du label
Myspace
Soundclick

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