Note du SoilChroniqueur (Forlorn) : 8,5/10

À force de chercher systématiquement des groupes et/ou des artistes qui sortent des sentiers battus, on finit forcément, à un moment ou à un autre, par tomber dans l’expérimental. Parce que c’est l’essence même du délire : quand on fait de l’expérimental, on cherche à produire quelque chose de différent, de non conventionnel. Donc quand le mec en face (ici le mec c’est moi) cherche quelque chose de non conventionnel, les deux finissent par se rejoindre. Mais même dans l’expérimental, il y a deux écoles. Pour résumer ça simplement, on pourrait se dire que d’un coté il y a les artistes qui ont consommé un peu trop de produits illégaux et qui ont une tendance non négligeable à nous proposer des expériences plus bordéliques les unes que les autres, qui parfois me font penser à ce que serait la musique si on demandait à un enfant sourd de 6 ans de diriger un orchestre les yeux bandés (non, je ne vais pas trop loin dans l’excès non), et de l’autre coté, vous avez des artistes qui savent où ils vont et qui proposent une expérience unique, « jusqu’au-boutiste », qui sortent réellement de l’ordinaire mais de manière travaillée et intelligente. Ce sont ces artistes qui arrivent irrémédiablement à interpeller les gens, en bien ou en mal d’ailleurs, mais qui jamais ne laissent indifférent.

La question demeure : « où se situe Throane dans tout ça ? » Déjà, très clairement on est dans le deuxième cas de figure. Il y a de la maîtrise dans cet album dans le sens où on ressent vraiment la volonté méticuleuse de proposer une expérience réfléchie. Jusque là, c’est relativement facile de mettre tout le monde d’accord mais là où ça devient compliqué, c’est quand on veut décrypter le produit final. Quand vous lancez l’album, il ne faut pas plus de quelques secondes pour comprendre.

L’album s’ouvre sur le morceau « Aux tirs et aux traits », un morceau de presque 10 minutes et, bordel, que c’est sombre, c’est glauque, c’est dérangeant, c’est désaxé ! Le son est « sale » mais dans le bon sens du terme, le tout est dissonant avec une reverb’ caverneuse, le tout est presque arythmique. Un genre de Post-Black Metal avant-gardiste instrumental, mais pas tout à fait instrumental car accompagné de cris torturés. Pas de paroles, pas de texte, juste des cris internes et viscéraux. Le morceau ne suit aucune logique structurelle particulière, il part, il s’arrête, il revient. Une musique qui laisse transparaître une lente agonie dans la folie comme dans son coté le plus charnel. Quand on écoute cet album pour la première fois, on sent qu’on ne dispose pas de toutes les clefs pour comprendre ce qui est en train de se passer. Et cette sensation assez frustrante d’être devant un concept qui nous échappe ne vient que renforcer le malaise que l’on ressent en écoutant cette performance atypique. Arrivé à ce stade, il faut bien se rendre à l’évidence, la musique à elle seule ne suffit plus, il faut aller chercher du coté de l’artiste.

Sauf que voilà, concrètement, pour trouver des infos sur Throane faut pas être pressé. On trouve facilement une page Facebook et une fiche sur le site Debemur morti, sauf qu’en dehors de ça, rideau. Et même là, questions infos, on n’est pas sur un buffet à volonté. La description Facebook se contente d’un « Sortez vos lames. Que nous perdions avec nos poings. ». Et sur Debemur morti, ben… Voyez vous même : « Born in the manner of an exorcism, THROANE raised in a short amount of time. Raised because nothing else was possible. An automatic writing driven by Dehn Sora, graphic designer (ULVER, BLUT AUS NORD, CHURCH OF RA…) and musician behind TREHA SEKTORI, SEMBLER DEAH & OVTRENOIR. Born because nothing has to stay in the Throat, the Throne of every knots, of what strikes in the whole body. »
Je ne devrais pas me risquer à une traduction parce que je vois arriver de très loin le fait que je vais passer à coté de la métaphore mais tant pis, je m’y risque quand même. Ça donne un truc du genre : « Né à la manière d’un exorcisme, THROANE s’est élevé en un court laps de temps. « S’est élevé » parce qu’il ne pouvait en être autrement. Une écriture automatique dirigée par Dehn Sora, graphiste (ULVER, BLUT AUS NORD, CHURCH OF RA …) et musicien derrière TREHA SEKTORI, SEMBLER DEAH & OVTRENOIR. Né parce que rien ne doit rester dans la gorge, le Trône de tous les nœuds, de ce qui heurte dans tout le corps. »

Et c’est par rapport à ça que je disais en début de chronique que je voyais Throane comme un projet « jusqu’au-boutiste ». C’est le groupe sombre, glauque et torturé qui te regarde droit dans les yeux et te dit que, si tu cherches à en savoir plus, et bien démerde-toi parce qu’on va pas te prendre par la main. Le projet complet, même dans sa description, dans sa com’ ou sur les réseaux sociaux, garde son esthétique propre et cette ambiance. Et la seule clef qu’on te donne, c’est que Throane est un projet crée par Dehn Sora. Internet est notre ami, allons gaiement glaner des informations sur « qui peut bien être Dehn Sora ? » On sait qu’il est également musicien dans d’autres projets, alors allons voir ces autres projets. Et je pense que si vous êtes un être humain normal comme moi, vous trouverez dans cette recherche une sensation étrange, celle d’avoir un peu mieux cerné qui est le personnage, mais en même temps celle d’avoir encore plus de questions à l’arrivée qu’au départ. Parce que selon moi la réponse ne se trouve pas dans la musique, ni dans Throane ni dans les autres projets musicaux de Dehn Sora. Je le répète, ce projet va jusqu’au bout de son délire et c’est dans le travail de graphiste et/ou photographe de Dehn Sora que je pense avoir trouvé un sens à tout ça. Si on écoute cet album seul, on est légèrement démuni devant cette performance contemporaine extrême, mais si on écoute cet album en regardant des photos ou en se baladant sur le site de Dehn Sora, l’œuvre devient complète et l’expérience s’appréhende avec plus d’aisance (pour les flemmard, taper « Dehn Sora » dans son moteur de recherche en allant chercher dans la rubrique « image » suffit amplement). Je ne choisis pas par hasard des termes comme « expériences » ou « performance » parce qu’on est vraiment à fond dans cet univers là. C’est spécial, c’est bizarre, c’est dérangeant et malaisant, c’est contemporain et c’est l’expression d’une vision très personnelle d’un artiste qui possède ses propres codes et qui s’amuse à jouer avec. C’est un univers à part entière dans lequel il faut accepter de se plonger entièrement sous peine de ne pas pouvoir en apprécier l’essence.

Si on me demande mon avis personnel, je suis bien embêté. Est-ce que j’ai aimé ? Pas vraiment. C’est pas ma came et, musicalement, c’est pas ce que je recherche dans un album. Par contre est-ce que je trouve ça bon ? Oh que oui ! Parce que j’aime découvrir des artistes, j’aime voir que des gens font des choses différentes et ne se contentent pas de suivre un courant bêtement sans chercher à sortir du lot. C’est clairement pas un album qu’on écoute en boucle en faisant le ménage ou qu’on met dans sa voiture avant d’aller au marché aux œufs. Il faut voir ça comme une écoute, du temps qu’on accorde à un artiste qui nous propose quelque chose d’unique et profiter de cette occasion pour envisager différemment la musique et l’expérience qu’elle nous procure, le temps d’un album, le temps d’un morceau ou même juste le temps d’une minute pour les plus réticents, mais ça vaut le coup.

Tracklist :

01 – Aux tirs et aux traits
02 – Et ceux en lesquels ils croyaient
03 – À trop réclamer les vers
04 – Et tout finira par chuter
05 – Mille autres
06 – Plus une main à mordre

Facebook : https://www.facebook.com/throane/
http://www.debemur-morti.com/en/289-throane
Site officiel : http://www.dehnsora.com/