Line-up sur cet Album
Dehn Sora : programmation, composition
Style:
Dark AmbientDate de sortie:
05 novembre 2021Label:
NoevdiaNote du SoilChroniqueur (Quantum) : 9.75/10
« La musique rend perceptible la profondeur de l’âme ; elle en est l’expression universelle, dépassant bien au-delà, toutes les frontières de la matière, du temps et de l’espace. » Michele Camposeo
Je m’étais quelque peu mépris sur mon premier contact avec de la dark ambient dans ma précédente chronique, celle de Haiku Funeral. Mon premier contact officiel avec le registre musical était sur l’album « Exile« , d’Anorexia Nervosa, où le premier morceau est un truc de malade. Une sorte de métro désaffecté, hanté par des voix féminines qui résonnent en écho, et l’émergence d’un seul coup d’une bestiole humanoïde qui gémit de douleur dans le noir et déclame des propos inintelligibles d’une voix de souffrance effrayante. Un morceau qui m’a marqué à tout jamais puisqu’étant fanatique à l’époque d’Anorexia Nervosa, j’avais été surpris de tomber sur ce processus musical extrêmement puissant dans la psyché. Il faut savoir que l’objectif précis d’une musique dark ambient est de retranscrire ce que l’on a dans le corps et l’esprit de plus noir et insondable. Il y a donc des turpitudes que l’on aimerait garder enfouies à tout jamais quand on écoute un album entièrement dévoué à la dark ambient. C’est un genre qui me fascine puisque dans mon métier d’infirmier psy, on aime trouver ce qu’il y a d’insondable chez les personnes malades. Alors quand on a un genre musical qui se prête à autant de découverture, et que l’on a cette curiosité morbide pour les tréfonds de l’âme, on ne peut qu’apprécier les sorties du style de Treha Sektori. L’album « Rejet » est sorti il y a peu en cette fin d’année, et s’annonce comme le chamboulement que j’attendais de mon top 5 trop enkysté depuis des mois. C’est vous dire.
Mon premier contact avec Treha Sektori est des plus hasardeux, et pourtant les Dieux savent que je ne crois pas au hasard. Je divaguais sur YouTube, lorsque je suis tombé sur le CVLT Nation Live (ici) qui date de l’année dernière, et qui consiste en un concert en plein air, filmé, sans spectateur, avec pour seule scène le sol d’une colline et une sorte de contour scénique avec des objets osseux suspendus. Dehn Sora, alias de Vincent Petitjean, se retrouve donc avec ses instruments en train de nous faire un concert très ésotérique, avec une mise en scène simple mais qui fait la part belle aussi visuellement que sonoriquement à la musique. Voilà donc comment j’ai connu Treha Sektori, pour l’anecdote je n’avais jamais écouté la discographie du one-man band de Paris. Qui cumule au demeurant treize sorties, dont six albums avec ce dernier, quelques splits avec notamment Amenra, Innerwound, N.K.R.T. et Cross Bringer. Il faut également savoir que l’artiste est multi-casquettes avec un métier de photographe, graphiste notamment pour des groupes de metal (Ulver, Amenra, Deathspell Omega, Blut aus Nord, etc.), et j’en passe. Un artiste complet, talentueux (je vous invite fortement à aller découvrir son univers visuel), qui en plus de cela a une vision de la musique que je partage totalement (cf. une interview pour Telerama ici), le tout me donne vraiment envie d’aller à la découverte de cet album nommé « Rejet » ! D’autant plus qu’à la lecture de cette interview, on apprend que Vincent Petitjean emploie son propre langage dans ses ouvrages, un langage intime pour se protéger des moments de panique étant jeune. C’est ainsi qu’à la réponse à ma question de l’origine des noms de Dehn Sora ou Treha Sektori, on apprend qu’ils signifient « vaincre à la guerre » ou « le lieu où ils chutent ». Bref, un artiste qui me fascine par sa personnalité borderline et torturée, par son génie créatif complexe et complet, limite autistique ou psychotique c’est selon.
Difficile en ce sens de détacher l’aspect visuel et musical de Treha Sektori. Il y a une part indéniable d’insondabilité dans cet artwork qui fonctionne toutefois, selon moi, comme une représentation symbolique mais succincte de ce qui compte le plus dans l’univers artistique de Dehn Sora. A savoir ces ossements suspendus à un portique qui est ouvert, mais qui semble être fermé, hermétique, comme l’esprit du musicien. Le tout sur fond noir histoire de plus illustrer encore la noirceur infinie et ce portique succinct. Je note un effet reflet sur le visuel qui me paraît plus mystérieux encore, mais pour moi le visuel est bien là pour expliquer ce qui se trame dans l’esprit de notre ami, et sur ce qu’il faut retenir d’essentiel dans son processus musical : la spontanéité et la symbolique qui en découle. C’est exactement ma vision artistique, moi qui suis adepte de l’écriture instinctive, pulsionnelle. La musique fonctionnerait donc comme une impulsion dans le seul but de soulager quelque chose de lancinant. Le visuel en tout cas brille par sa simplicité et sa spontanéité, un bien bel ouvrage qui en dit long sur la suite.
Niveau musical, après avoir tenté vainement de cliver l’ensemble visuel et auditif de Treha Sektori, on peut néanmoins en déduire que le projet se présente sous le joug d’une musique dark ambient très ritualiste et avec quelques relents industriels. Mais alors, très légèrement, puisque Dehn Sora utilise ses propres sonorités et enregistrements, qu’ils soient vocaux ou faits avec des objets chez lui, retouchés par la suite sur ordinateur. La prouesse est d’autant plus méritante qu’avec de « simples » captations, on a une musique extrêmement bien ficelée, presque labyrinthique et onirique. La dimension la plus évidente et la plus incroyable est celle qui concerne des rituels, on a le sentiment d’un cérémonial ésotérique sombre et malveillant, sans tomber dans la démonologie comme le ferait Haiku Funeral que j’ai précédemment chroniqué. Là, la musique est plus intimiste et plus sombre mais dans le sens psychique. On devine que Dehn Sora se mue pleinement dans cette peau musicale qui finalement n’est qu’un moyen de faire apparaître des desseins plus secrets. Moi, j’ai beaucoup aimé ce « Rejet« , sans jeu de mot. On devine qu’il y a effectivement un sens métaphorique du rejet, non pas de la détestation (cela, on ne peut pas le confirmer), mais de l’ordre de l’évacuation de quelque chose. D’un état d’âme par exemple. La dark ambient est en tout cas très bien composée, avec un vrai luxe de détails et d’atmosphères différentes, tout en gardant une ligne directive. Très bon album !
Alors, la particularité de Treha Sektori, si on lit le témoignage de son maître à penser, c’est de ne pas se soucier de la production dans le sens où la composition est un mécanisme pulsionnel. Donc, si l’artiste en vient à mettre trop de soin dans le résultat, il abandonne la composition. C’est ainsi que la production pouvait prêter à questionnement, mais il n’en est rien. Le résultat sonore dépasse largement l’entendement, et nourrit bien plus encore le génie composal du sieur. Parce que le son est impeccable, tout simplement. Il y a cette volonté d’asservir un sentiment de malaise important et cela passe par une occupation exagérée de l’espace sonore, il n’y a pas de sensation de vide dans les morceaux. Donc, on est forcé de retrouver un peu d’apaisement durant l’écoute dans le calme ambiant de son salon. Les éléments sont très riches, on sait que Dehn Sora aime non pas maîtriser un instrument (il en a beaucoup chez lui, et des différents) mais trouver des sons. Et des sons, il en a trouvé beaucoup, si l’on ajoute les quelques retouches posées, on a donc une richesse sonore folle. Et cette production qui devait au départ n’être que le reflet d’une recherche impulsive et inconsciente, fonctionne au final comme un album digne des meilleurs dans le genre.
En fait, au plus j’avance dans les écoutes de « Rejet« , au plus je m’aperçois de toute la complexité du protagoniste qui est derrière toute cette richesse artistique. C’est une vraie brèche béante sur la personnalité hautement complexe et à moindre échelle, torturée qui émane de Dehn Sora. On devine que cette expression musicale et visuelle (je vous invite également à découvrir le livret qui suit l’album) sonne comme une expression métaphorique de ce qui le fascine et le torture en même temps. On connait tous le processus phobique qui nous amène vers ce paradoxe entre la fascination morbide et la peur. Et on est pleinement dans ce processus psychologique. Treha Sektori n’est ni plus ni moins que l’expression d’une phobie enfouie ! La dark ambient suscite naturellement l’angoisse, et « Rejet » est un album follement angoissant et oppressant. Dans sa construction un peu minimaliste, on sent toute l’oppression s’exercer sur nous comme elle s’exerce chez son créateur. Moi, j’ai trouvé en tout cas la démarche très courageuse. Cette intimité qui semble être une torture de tous les instants et qui trouve un refuge contrephobique efficace sinon radical dans la musique très angoissante de « Rejet« , on devine qu’il s’agit d’une forme de médication pour lui. Ce qui fonctionne en tout cas comme un soulagement se transforme chez l’auditeur que je suis comme un malaise profond, et c’est en cela que je trouve l’album « Rejet » tout à fait exceptionnel pour le style. Non seulement efficace et efficient, mais en plus de cela très bien construit et très solide dans la programmation, un album qui me fascine intérieurement. Un excellent projet donc.
La présence de légères parties « chant » sont à souligner mais il convient surtout de comprendre que les vocalises sont dans un but quasi purement ambient, c’est-à-dire dans une recherche de déclamations sonores, plus que vraies lignes de chant. On trouve ce procédé dans les groupes un peu néofolk, mais ici le chant fonctionne comme des amalgames ritualistes, avec surtout un but de bouleverser le spectre sonore via des chants clairs mais profonds et parfois dissonants. Il me semble d’ailleurs avoir repéré dans tout le processus de retouches sur ordinateur des lignes de chant poussées à l’extrême, dans un ralentissement de tempo jusqu’à en faire des nappes de fond. En tout cas, l’utilisation des voix claires est un peu comme celles des instruments plus « conventionnels », avec les cordes d’une guitare électrique frottées avec un archet par exemple. Totalement expérimental et original, le chant est l’un des nombreux atouts de « Rejet« . A n’en pas douter ! D’ailleurs, le nom des morceaux ressemble à s’y méprendre à des déclamations phonétiques.
Pour conclure, Treha Sektori propose un sixième album nommé « Rejet« . Un nom risqué pour une musique déjà angoissante qu’est la dark ambient, avec toutefois une véritable dimension ritualiste qui rend cette dernière très intimiste et personnelle. Une œuvre musicale complète qui rentre en paradoxe sur le versant minimaliste dans l’utilisation d’une base séculaire fidèle, mais des expérimentations sonores qui ne sont pas loin d’apporter une révolution à ce genre trop peu connu. Associer dans une démarche visuelle primordiale, Treha Sektori se résume derrière cet album extraordinaire à un projet complexe et complet, d’un artiste de génie qui n’hésite pas à bouleverser la musique avec autant de bouleversements que son esprit n’en contient. Un album exceptionnel, l’une de mes sorties de l’année et l’un des artistes que je considère à ce jour comme l’un des plus doués de sa génération.
Tracklist :
1. Sevorh Deh Armenh 03:50
2. Devarhahn 02:28
3. Sehanh Teh Veriah 02:36
4. Vorah 04:18
5. Neh Ehnravh 03:32
6. Vehemah Mereh Tahermah 03:07
7. Dehoh Nerveh Hahn 04:13
8. Virhdemh 02:56
9. Kareh Neh Akehreh Vanah 04:04
10. Obleh 03:32
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