Line-up sur cet Album
- Cinis : guitare
- Famine : guitare
- Hatred Salander : chant, programmation
Style:
Black Metal IndustrielDate de sortie:
28 janvier 2022Label:
Time Tombs ProductionNote du SoilChroniqueur (Quantum) : 9.75/10
« Toute célébrité n’est que le fruit d’une conjoncture. Le public est versatile. Aujourd’hui, il vous acclame. Demain, il en acclamera un autre et ne se donnera même pas la peine de vous ranger dans un tiroir. » Yasmina Khadra
Vous savez ce qui est chouette quand on se lance dans une chronique? C’est quand il y a une interview de faite avant! Je ne sais pas dans quel ordre le correct est tangible, mais je m’amuse parce que pour une fois j’ai des informations avant de démarrer mes écoutes et ma rédaction. Du coup, je comprends assez bien l’ensemble de l’album ou de l’EP. Alors, comme je disais, je ne sais pas si c’est bien de démarrer une chronique en ayant préalablement lu une interview parce que cela fausse quelque peu le jugement. Mais j’avoue que pour une fois, je me réjouis parce que l’EP qui arrive s’annonce tout de même bien complexe. C’est rare que je procède de la sorte pour écrire une chronique, et je dois bien remercier mon compagnon de route Le Marquis Arthur (qui aurait dû, selon la légende, être roi d’Angleterre mais suite à un conflit avec ses copains lors d’un choix de table chez Ikea, cela n’a pas pu se faire…) qui a sorti son interview avant ma chronique! Devinez donc lequel a bien fait et l’autre est en retard? J’avoue jalouser le talent de ceux qui permettent d’interviewer avec autant d’aisance les groupes parce que je ne sais jamais quoi dire et surtout, j’ai peur de passer pour un nul. C’est en cela que j’adore lire les interviews de mes autres confrères de Soil Chronicles ou d’ailleurs, histoire de voir à quel point je suis une mièvre personne à côté de ces génies de la question. Bref! En tout cas, outre que l’interview est rondement menée, les réponses sont riches et m’ont permis d’aborder ce premier EP avec plus de pions pour analyser. Et comme cet ouvrage est d’une complexité qui frôle l’indolence tant elle est géniale, je me devais d’aller sur des éléments qui m’orientent. Voici donc venu la chronique du premier EP du groupe Versatile, qui répond au doux nom mystérieux d' »Atra Bilis« .
Versatile est un adjectif qui signifie changer d’avis trop facilement, le synonyme le plus proche étant indécis. Mais dans le cas du groupe Versatile, c’est une signification beaucoup plus sombre, avec l’idée d’un change-peau et de manipulation. En tout cas, pour rester plus terre-à-terre, le groupe existe depuis peu soit 2019 et vient tout droit de Genève, en Suisse. Composé d’un trio de musiciens qui sont guitaristes et chanteur, le tout étant apparemment programmé musicalement parlant, ce dernier sort en 2022 son tout premier méfait, un EP quatre titres qui répond donc au nom d' »Atra Bilis« . Un nom directement inspiré de l’atrabile, ou bile noire, liquide des humeurs qui représentait la mélancolie et qui se situait dans la rate selon des croyances antiques. Ce furent des croyances qui semblent obsolètes de nos jours mais qui ont fait l’éloge de la médecine à cette époque, et encore aujourd’hui on parle de la théorie des humeurs en psychiatrie. Voilà pourquoi cet EP m’intéresse fortement. En tout cas, pour une première sortie, s’enticher d’un label comme Time Tombs Production ce n’est pas rien! Et cela démontre sûrement de grandes qualités. Je me suis mis il y a peu à l’exercice de sa dissection mais j’avais grande hâte! J’y suis désormais, donc c’est parti.
Commençons comme de coutume par la pochette de cet « Atra Bilis« . Et je dois admettre que j’ai été frappé de plein fouet par la beauté et la laideur en même temps de cette dernière. L’esthétisme de la laideur, cela rappelle un ouvrage de l’auteur Karl Rosenkranz, mais c’est surtout une manière de dire que l’on peut faire d’une laideur une beauté incroyable. Nous avons donc un personnage masculin semble-t-il, qui se retrouve dans une sorte de mutation lors de l’expression d’une douleur folle, que l’on peut discerner par la posture où l’on croirait qu’il s’égorge ou s’arrache le cou. Ce personnage n’a pas réellement de visage ce qui renforce le côté fantomatique et mourant de ce dernier, le visage étant symboliquement l’identité et l’individualisme. Sans identité nous mourrons en somme. Et l’idée de cette transmutation par la souffrance, le groupe l’a effectivement bien exprimée en interview. La bile noire serait non seulement le fruit de cette mélancolie qui incombe les croyances ancestrales, mais aussi a fortiori de l’aboutissement vers un état de monstre. Ce n’est pas forcément faux comme affirmation puisque passé un cap dans la maladie mentale, on devient dépersonnalisé. Il y a probablement ainsi une sorte de mise en abime des dangers de se laisser aller vers un état mélancolique particulièrement dangereux et qui changent les hommes durablement. Cette mise en musique et en image de la souffrance par ce procédé moderne et graphiquement joli me laisse pantois parce que cela change des éternelles iconographies actuelles qui ne font que se répéter entre elles. J’adore le fond, dans ce style bleu nuit très profond et un brin embrumé, qui amène une dimension nocturne et surtout très sombre au concept-album. En fait, c’est exactement ce vers quoi n’importe quel groupe qui a de l’ambition devrait tendre. La pochette est explicite, suffisamment symbolique pour que l’on s’interroge sur le sens derrière mais explicite dans la forme j’entends, et esthétiquement très réussi. De fait, c’est probablement une de mes pochettes de l’année pour le moment, et Versatile a sorti le gros dossier pour permettre à chacun de se demander ce qui se cache derrière cette entité morphologiquement bizarre et blafarde, et attiser la curiosité. Voilà donc une pochette absolument superbe dans tous les sens du terme! Bravo!
Passons maintenant à la musique, et l’analyse d’une première écoute qui est essentielle. Avant de lire l’interview de Versatile, j’avais déjà noté que la musique qui est ramenée vers du black metal industriel était légèrement plus complexe que cela. Légèrement est même un mot… Léger. Puisqu’en vérité, il y a des références à pas mal d’autres styles, que ce soit sporadiquement dans les compositions ou sur des pistes entières. La base séculaire reste résolument black metal par son aspect nasillard et aigu des guitares et par les riffs relativement linéaires, sur des prolongements d’accords en blast beat même si je note que parfois, il y a quelque chose de très post hardcore dans les mélodies guitares avec également des breakdowns et autres changements rythmiques soutenus. Cependant, il convient de préciser que le reste des instruments étant programmés, on n’est sur une dominance très industrielle, avec une batterie qui sonne sur quelque chose de mélangé entre le claquement sournois du black metal et la lourdeur notamment sur les grosses caisses du death metal. Évidemment, les samples et autres programmations par MAO sont très industriels et c’est en cela que l’on discerne majoritairement cette branche-ci, mais il y a par moment des arrivées très symphoniques qui peuvent semer le doute en même temps que la désolation. Enfin, le chant est tout sauf assurément black metal puisque ce dernier aurait dû être en high scream mais on est plus sur du procédé narratif et du growl aigu voire medium, mais j’y reviendrai. Voilà en tout cas de quoi étayer l’idée selon laquelle l’étiquetage du groupe n’est pas une mince affaire. Mais au-delà de cette difficulté qui n’est que factuelle, c’est surtout l’extrême harmonie et richesse composale qui font de ce premier EP « Atra Bilis » un CD absolument extraordinaire. Chaque piste représente un cheminement dans un processus de transmutation monstrueuse, et ainsi chaque piste se dote d’ambiances différentes tout en suivant une logique conceptuelle imparable et fluide comme une ligne de sang dans le dos. C’est juste dingue d’avoir des ambiances aussi différentes et aussi logiques à la fois! Si on résume, cette première écoute m’a été d’une clarté phénoménale, « Atra Bilis » sonne comme un EP exceptionnel. Qui s’écoute sans pause, d’une harmonie certaine et d’un talent de composition paré d’une richesse instrumentale exceptionnelle. Une sorte de Zornheym ou SepticFlesh par moment mais en bien mieux! Et si je vous dis cela, c’est vous dire à quel point cet EP est fou! J’ai adoré, tout est quasiment parfait.
La production y est pour beaucoup dans cette extase de ma part parce que, parvenir à dénicher un son commun à toutes ces compositions qui sont d’une richesse absolue, ce n’est pas une mince affaire. Et pourtant, les miracles existent il semblerait. Parce que sans tomber dans une forme de condescendance pour les autres, le travail accompli en studio sur le mixage et mastering est époustouflant. On retrouve un son très blackened death metal pour résumer, avec ces changements riffiques qui oscillent entre la mélodie death metal et la linéarité froide du black metal mais qui se toisent dans un tison sonore commun, c’est déjà un truc de dingue. Mais réussir à incorporer par-dessus les samples, la batterie programmée, la basse (?) et le chant, on a de quoi s’arracher les cheveux avec un processus pareil. Moi j’ai toujours été admiratif des groupes de metal industriel, surtout imbibé par un autre genre pour ne pas être dominant comme ici, pour cette propension à trouver un son avec autant de pointillisme. Versatile en tout cas a su me trouver un des meilleurs sons que j’ai eu à écouter dans une branche black industriel moderne. Moi qui étais fanatique des groupes des années 90 genre Aborym ou Ulver, là j’avoue que je m’incline. Probablement une des productions les plus belles de cette année! Et le pire c’est qu’au début c’est une autoproduction!
En fait même si je suis dithyrambique sur la musique, et en plus c’est totalement sincère parce qu’analytiquement parlant ou même du point de vue simple de l’auditeur « Atra Bilis » est exceptionnel, c’est surtout le concept que j’adore le plus. Parce qu’on se rend compte que quand il y a un cheminement logique entre les pistes c’est qu’il y a souvent une métaphore filée dans l’ouvrage qui peut s’avérer payante. Je ne vais pas faire le déroulé du concept puisque Versatile s’en est occupé dans l’interview, mais j’ai adoré. Vraiment, l’histoire et la morale derrière m’ont totalement conquis. Et on retrouve bien ce côté philosophique et souffreteux dans la musique. Il y a quelque chose de poétique, une sorte de magie dans la souffrance et la transfiguration qui collent à merveille avec cette musique hybride et compliquée, tout en étant abordable. Un black metal industriel qui se métamorphose au gré des indications textuelles et ambiantes, cela donne un EP d’une incroyable abondance. Une sorte de Pays de Cocagne pour tous musiciens et auditeurs qui recherchent du nouveau et quelque chose de chiadé. C’est donc sur un constat où je me retrouve totalement habité, envahi et conquis par « Atra Bilis« que je vous fais l’éloge de ce premier EP absolument phénoménal. Versatile est un groupe totalement débordant de talent, d’intelligence et de maturité et je ne peux qu’augurer du bon pour la suite. C’est vraiment exceptionnel.
Et parmi tout ce que je viens d’énoncer avec moultes enthousiasmes, le chant m’a également fait l’effet d’une bombe. Outre la technique très volatile, se situant dans une mouvance légèrement post-hardcore avec une teinture growl aigu voire medium, ce qui constitue déjà une très belle démarche et fort maitrisée techniquement, c’est surtout l’énorme boulot d’articulation qui est fait qui m’a scotché. Typiquement, c’est ce qu’en étant que chanteur je vise à moyen terme, c’est vous dire comme je suis envieux du chant de Hatred. Ce pouvoir d’articulation, tellement dénigré ou peu travaillé, je trouve qu’il est absolument essentiel pour la compréhension des textes et pour les ambiances des morceaux. Franchement, un chant dont on comprend tout, cela fait LA différence tout de suite! Comme en plus le chant de Versatile est en français, j’ai tout compris! Et cela m’a permis encore plus d’apprécier le fameux concept-album que je louais tant la métaphore est d’une imagination folle, digne de bons poètes. Voilà donc de quoi encore plus valoriser « Atra Bilis« ! Décidément c’est un quasi sans faute.
Concluons ici si vous le voulez bien. Cette chronique du groupe Versatile m’a permis de découvrir un premier EP nommé « Atra Bilis » qui s’avère être une de mes sorties de l’année. Tout simplement. Mais réduire cet EP à ce simple constat serait faire offense à nos amis suisses et leur talent indéniable, parce que cette musique est tout sauf un vœu de facilité. Un black metal industriel avec autant d’incorporations que du death metal, du symphonique, du post-hardcore voire peut-être un que j’ai oublié mais du deathcore, cela relève d’une prise de risque plutôt certaine. Mais la prise de risque a largement dépassé mes espérances. La musique est aussi complexe que fluide, aussi riche de linéaire et aussi sombre que mélodique. Il n’y a probablement pas de superlatifs assez puissants pour décrire ce que j’ai ressenti lors de cette chronique. Versatile est tout sauf la signification de son prénom : le changement n’est pas un poids ni une péjoration, dans le cas d' »Atra Bilis » c’est une promesse de richesse et de réussite. Ce premier EP est époustouflant, je le redis : c’est une de mes sorties de l’année. Je ne m’étais pas pris un uppercut pareil depuis longtemps dans le genre black industriel. Félicitations et longue vie!
Tracklist :
1. La conteuse des méandres 04:53
2. Ad Nauseam 04:15
3. Un hiver de cendre 04:10
4. La marque du chaos 05:15
5. Versatile 03:45
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