Line-up sur cet Album
Whoredom Rife : V. Einride : tous les instruments K.R : chant Taake : Hoest : Tout
Style:
Black MetalDate de sortie:
20 Mars 2020Label:
Terratur PossessionsNote du SoilChroniqueur (Quantum) : 9.75/10
» Le passé définit l’avenir mais, quelquefois, vous devez perdre quelque chose pour être capables de grandir » (Gaahl du groupe Gaahl’s Wyrd).
Dans la série des splits à chroniquer, il y en avait un que je ne pouvais pas laisser passer dans les mains de mes collègues chroniqueurs, parce que mon histoire avec Taake a démarré à mes tout débuts dans le milieu metal, soit à l’âge de quatorze ans. Il y avait quelques groupes que j’écoutais plus pour me donner un genre auprès de mes camarades, vous connaissez ces clichés qui pourtant sont bien réels et qui font l’essentiel de nos vies privées. Je vous mentirai en glorifiant ma découverte de la musique metal, qui est d’une banalité affligeante : j’ai choisi des groupes au hasard et j’ai eu ce qu’on peut appeler un coup de foudre, cette Révélation, littéralement, que l’on ne peut encore expliquer à ce jour et qui a forgé ce que je suis devenu aujourd’hui après être parti d’un point de départ assez inhabituel. D’ailleurs, si je devais conseiller des débutants, je leur dirais de ne pas démarrer par les groupes que j’ai moi-même découvert en premier. Ainsi va mon histoire avec le groupe Taake, et je ne pouvais décemment pas passer à côté de ce split sorti cette année 2020 avec le groupe Whoredom Rife.
Est-ce utile de présenter Taake ? Je ne pense pas mais je vais quand-même le faire pour mon plus grand plaisir et pour que les moins initié(e)s d’entre vous comprennent à qui vous avez affaire. Taake est le groupe d’un seul homme : Hoest, l’alias d’Ørjan Stedjeberg, qui a fondé le groupe en 1993 à Bergen (ville ultra célèbre dans le milieu) sous le nom de Thule, avant de l’appeler définitivement Taake en 1995. Depuis, le one-man band a connu une période riche de 1995 à 2006, coupée dans son élan par l’incarcération de Hoest pour violence volontaire, une période de flou artistique puis de nouveau une période de 2007 à aujourd’hui. La particularité de la discographie de Taake est l’abondance d’EPs (huit en comptant les démos), de splits justement (six en comptant celui-ci) et au final « que » six albums pour un groupe qui existe depuis vingt-sept ans… ce n’est pas énorme. Une discographie atypique pour un artiste atypique, n’hésitant pas à jouer de multiples provocations comme ce concert à Essen en Allemagne où Hoest sera affublé d’une croix gammée sur le torse, ses positions anti-christianisme et anti-Islam, ses nombreux faits de violence dont il assume les condamnations avec un certain détachement dans les médias (citons par exemple : « J’ai été dénoncé à la police par un individu dont j’ai élégamment réarrangé le visage suite à son comportement inacceptable. »). L’homme ne laisse pas indifférent et sa position pour que Taake reste un groupe underground, sans réelle légende, a fait son effet inverse, Taake étant considéré comme l’un des plus grands groupes de Black Metal norvégien. J’ai toujours préféré le premier album « Nattestid ser porten vid » que je considère personnellement comme l’un des albums références du genre. Voilà donc en quelque sorte la « star » de ce split.
Pour ce qui est de Whoredom Rife (« La prostitution sévit » en anglais), la formation, norvégienne également, est beaucoup plus jeune : 2014 pour la création. Venant de Trondheim, ville célèbre pour accueillir pas mal de groupes de Black Metal, le groupe est en fait un duo de musiciens composé de Vyl, ancien membre live des groupes Keep of Kalessin, Gorgoroth, From the Vasteland entre autres, multi-instrumentiste, et de K.R, ancien chanteur de Bloodthorn, au chant donc. D’autres musiciens reconnus, là aussi, qui ont à leur actif deux albums, deux EPs et ce split. En soi, ce split promet du très très lourd en Black Metal, voilà pourquoi je me jette à corps perdu dans son écoute qui s’annonce délectable.
Difficile de savoir quelle est la pochette de ce split : le pressbook indique deux pochettes différentes selon les groupes concernés, j’ai fini par dénicher ailleurs sur Internet un poster que j’ai pris pour cette dernière, les noms des deux groupes étant mentionnés dessus ce qui n’est pas le cas de celles précédemment citées… Donc je vais me baser sur celle du Bandcamp du label qui me semble plus fiable. Il y a un duo de musiciens très typiques du Black Metal (Whorefom Rife) qui posent ensemble, dans une sorte de bouclier gris, avec un fond qui fait penser à une vieille gravure ou un vieux parchemin grisonnant. Le nom du split apparaît sur chaque coin de ce dernier, les quatre lettres de « Pakt » servant à combler les coins. Cette pochette a sa version avec le seul Hoest et son logo en runes de Taake au dessus. Donc difficile de savoir laquelle est la bonne pochette. En tout cas, tout en restant classique du genre black metal, cette pochette a le mérite de présenter directement les protagonistes, mettant en avant les artistes de ce split ce que je trouve bien pour la démarche artistique directe, reprenant d’ailleurs par là l’idée d’une pacte entre eux pour sortir ce CD. Classique donc, mais efficace.
Ce split est constitué de quatre morceaux : deux pour Whoredom Rife au début, et deux pour Taake dont une reprise totalement inattendue du groupe The Sisters of Mercy ! Alors là, j’avoue que je suis tombé des nues quand j’ai vu ça, surtout connaissant le bien-nommé Hoest, que je pensais bien connaître et qui me désarme totalement sur ce coup-là. Mais, sans me décourager, cette reprise dont j’aime beaucoup l’original m’a piqué au vif et m’a encore plus donné envie d’écouter le split. Petit point de désaccord : le pressbook mentionne d’abord Taake au début du CD et Whoredom Rife à la fin, ce qui est le contraire sur tous les supports répertoriant le split…
Je vais donc commencer par Whoredom Rife et son morceau « From nameless pagan Graves ». Avec un nom pareil cela ne pouvait que m’attirer de toute manière.
Le titre démarre pied au plancher, ou pied sur les pédales tant le blast est puissant ! Pas de temps de démarrage pour s’échauffer, « From nameless pagan Graves » se veut être un morceau dans la digne lignée des black metalleux norvégiens, avec des parties violentes, linéaires au possible, avec quelques petites incorporations mélodiques légères mais détonantes comme au début du morceau par exemple. C’est surtout cette ambiance typique que j’aime retrouver dans ce morceau, ce son glacial et ce scream extrêmement puissant qui refroidit les âmes. On sent tout de même que le son du Black Metal de l’époque a laissé place depuis un moment à celui plus moderne que l’on retrouve ici, qui me fait penser à du Gorgoroth de 2003 par exemple. Niveau composition, cela reste très classique : pas de réel changement dans la démarche. J’ai toujours aimé ces courts moments de pause à une guitare en blast, vers 3 minutes 20, qui repart sur un autre riff encore plus démoniaque. L’ambiance de ce premier morceau est donc très old school, avec un son un peu plus modernisé, mais qui donne, à mon sens, un degré supplémentaire dans le démoniaque. La Norvège a définitivement son identité musicale propre, à ceux qui en doutaient encore. Les cris qui interviennent vers 4 min 40 sont plus nouveaux et font un peu penser à du chamanisme païen.
Vient ensuite le deuxième fait d’armes de Whoredom Rife, « En lenke smidd i blod » (« Dans le lien forgé dans le sang »), qui laisse paraître une dimension très paganique dans la musique, que je n’avais pas encore identifiée à cent pour cent dans le premier morceau. Toujours empreint d’un Black Metal qui rendrait nostalgique n’importe quel amateur comme moi, le morceau est moins bourrin que le précédent, la mélodie est beaucoup plus tragique et le blast est moins présent pour laisser un côté légèrement plus atmosphérique, planant. Il y a limite une dimension épique à ce morceau, comme si l’on contait un récit de guerre tragique. C’est ce que j’ai toujours adoré au final dans le Black Metal : la nostalgie d’une histoire passée, celle d’une Norvège autrefois païenne qui a été envahie par le christianisme. A 3 min 54, cette nostalgie transparait complètement avec une partie très mélodique, guerrière au possible et qui me donne des frissons ! On a envie de mettre une main sur le cœur, de se tenir droit et de rendre hommage à cette histoire disparue. La fin en acoustique est surprenante également. Je suis profondément touché par ce morceau, étant très sensible à cette mémoire passée que les groupes du genre ont cherché en vain à faire renaître. La légende de Mayhem a été forgée dans cette volonté de renaissance… mais maladroitement exécutée pour le coup.
Définitivement, la meilleure arme de la Norvège pour faire revivre son histoire, c’est le Black Metal.
Voici donc une première partie de split extrêmement « belle », avec un Whoredom Rife qui porte mal son nom car, si la prostitution dont il empreinte le nom est métaphorique et doit parler de la Norvège moderne, il n’en demeure pas moins que son identité est clairement tournée vers le paganisme et, cela, j’aime énormément. C’est ce que j’adore d’ailleurs chez Taake : cette nostalgie, limite un peu nationaliste sur les bords mais qui montre une grande sensibilité à l’Histoire et à sa gloire passée, que ces groupes veulent faire revivre à tout prix, quitte à être des parias ou des incompris de leur société. Whoredom Rife m’a donc très agréablement surpris : j’adore leurs deux morceaux mais il est vrai qu’au fond de moi, je n’en attendais pas moins.
Taake maintenant : « Ubeseiret » (« Invaincue ») démarre avec un son qui fait penser à des conditions studio assez simples, limite chez le fameux Hoest. Un Black Metal plus cru, pour le coup plus primaire, comme un retour aux sources. Mais il est vrai que Hoest ne les a jamais réellement quittées, ces sources, lui qui a toujours vu la musique comme l’expression de quelque chose d’occasionnel plus qu’un vrai gagne-pain. C’est ce qui a forgé sa légende bien malgré lui d’ailleurs… En tout cas ce morceau a un son différent du premier groupe comme je le disais : un son à l’ancienne, une batterie qui blaste sans réelle exagération, la mélodie à la guitare étant plus mise en avant pour nous laisser entrer dans la dépression de ce personnage singulier. Sa musique, définitivement (c’est un mot que je vais avoir beaucoup répété), est le reflet de sa personnalité : primaire, bestiale par moment, torturée, mais jamais dans l’opulence. La chose qui dénote en revanche un peu sur ce premier morceau est l’incorporation curieuse de samples, dont un orage en milieu de morceaux, de parties black metal plus prog qu’à l’accoutumée, limite un peu jazzy par moment, ou carrément rock n’ roll à 4 min 08. Étonnantes incorporations pour une fois, qui ne ressemblent pas énormément à Taake, qui ressembleraient plus à un groupe comme Carpathian Forest, par exemple. Après, cela entre finalement en lien avec ma première remarque : Hoest revient aux sources, mais peut-être vraiment aux sources, car n’oublions pas que le Black Metal est issu d’origines musicales lointaines. C’est une démarche surprenante donc, mais pas tant que ça au final ! Et alors, le clou est l’arrivée à 5 min 38 d’une partie acoustique très bluesy ; alors là, j’avoue que j’ai éclaté de rire mais d’un rire de jouissance vous savez, un peu comme quand vous êtes ébahi par un solo majestueux. Vous criez au génie en fait… eh bien moi ce fut la même chose : j’ai joui par le génie de Hoest. Bon, les mouches à la toute fin du morceau font partie de ce mystère qui entoure les samples, mais on ne peut pas sonder l’insondable et considérons que Hoest a ses parts de mystères qui font sa légende.
Et alors, le comble de l’incompréhension intervient comme je disais avec cette reprise de The Sisters of Mercy et de leur morceau « Heartland ». Déjà, quand on sait que Hoest chante quasiment qu’en norvégien, de l’entendre chanter en anglais relève de la surprise totale ! Mais ce n’est pas le plus surprenant du morceau : ce dernier est une association toute conne d’une guitare saturée/voix sans retouche ni rien, sur un son qui ferait croire à un enregistrement avec un téléphone portable pour la guitare et un chant plus retouché, d’une voix plus gutturale qu’un vrai scream black, et la suite laisse apparaître la batterie mais il me semble qu’il n’y a qu’une guitare et la basse arrive encore après. C’est… Complètement « what the fuck? », je n’ai pas d’autres mots.
Mais le pire c’est que quand le solo arrive vers 3 minutes, c’est juste excellent comme morceau : on se prête au jeu de l’entraînement et je me suis surpris à sourire de plaisir tellement ce solo est magnifique (déjà de base). Mais il est vrai que la démarche de Taake me semble beaucoup moins prise au sérieux que Whoredom Rife : autant ce dernier a proposé une production nette, bien faite pour le genre avec un travail sérieux derrière, autant on dirait que pour Taake, c’est plus un jeu, plus un amuse-gueule musical que vraiment une démarche sérieuse ! On dirait juste que Hoest s’amuse plus qu’autre chose. Mais, finalement, je pense que c’est le piège dans lequel tout le monde va tomber parce que, oui, la démarche peut sembler décalée mais, comme il le dit lui-même, il n’a jamais eu pour vocation de devenir un gros groupe. Certainement que, pour lui, la musique doit rester une expression personnelle et non quelque chose de commercial. Donc ce qui apparaît ici comme un simple amusement doit probablement être considéré comme une vraie démarche personnelle.
Je vais terminer ici ma chronique, bien incapable de savoir quoi penser de ce split tant j’ai été touché sur plusieurs aspects de mon être. Que ce soit Whoredom Rife ou Taake, la dimension nostalgique des années passées de leur Histoire est catégoriquement au premier plan et cette nostalgie ne me rend que plus touché encore que je pouvais l’être par tous ces groupes de Black Metal que j’écoute depuis que j’ai quatorze ans et qui ont, eux, une vraie identité musicale. Mais il me semble que les démarches personnelles sont différentes, que les motivations sont en discordances entre elles. Taake n’a clairement plus rien à prouver malgré lui, Whoredom Rife si. Et cette différence de stature se retrouve réellement dans ce split. Mais, loin de dénaturer l’harmonie qu’il y a dans ce CD, elle la renforce au contraire et fait de ce split une œuvre musicale de génie. La mayonnaise a bien pris, au-delà de mes espérances, et je ne vois pas comment tout amateur de Black Metal pourrait passer à côté de ce split qui va s’imposer comme l’un des meilleurs de Taake et va certainement sceller le destin prometteur de Whoredom Rife. Un bijou total du genre pour moi.
Tracklist :
Face A :
1. Whoredom Rife – From Nameless Pagan Graves
2. Whoredom Rife – En lenke smidd i blod
Face B
3. Taake – Ubeseiret
4. Taake – Heartland (The Sisters of Mercy cover)
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