Line-up sur cet Album
- Manuel Gagneux : tout
Style:
Black Metal/Negro SpiritualDate de sortie:
8 Juin 2018Label:
Mvka MusicNote du SoilChroniqueur (Lusaimoi) : 9/10
Le cas de Zeal & Ardor est assez unique. Lisez plutôt.
Un jour Manuel Gagneux a voulu tromper son ennui en demandant sur un forum deux styles de musique à mélanger. C’est ainsi que lui ont été proposé Black Metal et Negro Spiritual (un mix certainement approuvé par Varg Vikernes et les gars de Absurd). Ainsi, après un temps de composition, naquit la première démo, éponyme, du groupe.
Le pari aurait pu s’arrêter là mais, suite à un certain succès, le projet a pris plus d’ampleur. Est alors sorti, en 2017, Devil is fine, le premier album. Et là, une hype terrible s’est emparée du phénomène. Les critiques pleuvent, Zeal & Ardor passe dans l’émission L’album de la semaine de Canal (qui aurait pu prédire qu’on verrait du Black Metal à la télé, hors sujets sensationnalistes ?), les participations à des festivals spécialisés (Download, Wacken…) ou plus grands-publics (Musilac) se multiplient…
Aujourd’hui, alors que sort Stranger Fruit, le deuxième album du groupe, laissez-moi vous dire que tout cela n’est pas retombé. La tournée de Zeal & Ardor est passée par le Hellfest, les Eurockéennes et le Printemps de Bourges, de quoi faire rager les puristes, qui désirent que le BM reste une musique de niche.
Malheureusement pour eux (même si moi, ça me fait un peu chier d’aimer la même musique que les gars de Bourges, qui se branlent sur les pages des Inrocks ou Télérama), ce n’est pas fini. Car si du mélange des deux genres aurait pu naître un truc bâtard sans logique ni enchaînements, donnant l’impression de palier un manque d’inspiration par un gadget maladroit, ma note vous indique vraisemblablement que ce n’est pas le cas.
Déjà, il faut bien indiquer que, même pris séparément, les deux styles ont de la gueule. Si je ne suis pas expert en musique noire, je ne peux que souligner le fait que ces parties-ci nous font voyager instantanément de l’autre côté de l’océan, dans des églises évangéliques, et possèdent cet aspect immédiat qui nous donnent envie de participer. Quant au côté Black Metal, on ressent ici plus de rage et de haine que dans bien des groupes s’affichant plus trve. Le riffing est d’une réussite implacable, soutenu par un chant criard et inspiré et une production d’un juste équilibre entre puissance et saleté, que ce soit d’ailleurs dans les moments calmes, où les grésillements donnent une impression d’authenticité, et les plus saturés. « Fire of Motion », à la rythmique appuyée, « Waste », qui se paie le luxe d’une petite référence à Burzum, « Row Row » ou encore « Don’t you dare » sont autant d’exemples qui valident ces propos.
Mais même réussis, deux genres qu’on se contente se combiner ne font pas un succès. Tout juste est-ce bon pour une chaîne Youtube où des ados vont venir en masse avant d’oublier pour une autre vidéo tout aussi éphémère.
Et c’est là que le génie de Manuel Gagneux entre en action. Car la juxtaposition des deux styles telle qu’on se l’imaginerait – à savoir un début Negro Spiritual auquel suit une explosion Black Metal – n’arrive que dans trois titres sur seize : le très réussi « Don’t you dare » où le contraste entre cette phrase acoustique répétée jusqu’à l’hypnose et l’explosion saturée se révèle redoutable et purement jouissif, « Ship on Fire », et « We can’t be found », pièce mystique jouant beaucoup sur les ruptures, où le Vaudou se mélange aux rites vikings.
Pour le reste, Zeal & Ardor casse sans cesse l’équilibre sans jamais le perdre. Ainsi, le Black Metal, n’apparaissant dans sa forme saturée qu’au quatrième morceau, est très présent, mais, hormis des titres y plongeant complètement (« Fire of Motion », « Waste », débutant comme une transition bruitiste avant de se tourner vers un BM assez raw et martial), se montre bien souvent par petites touches.
Cette guitare en fond, tandis que la voix et le reste des instruments penchent de l’autre côté, ajoute à « Servants » une certaine rage donnant envie de rejoindre une révolte née dans les champs de coton. « You ain’t coming back » utilise du tremolo, mais, avec ce côté apaisé et la superposition des voix qui ajoute un peu plus d’authenticité, on se croirait autour d’un feu, entouré de camarades qui ont décidé d’exprimer leurs émotions par ce biais. Certains morceaux se montent totalement expérimentaux, tels que « Stranger Fruit », dont on se demande au premier abord pourquoi il donne son nom à l’album. Semblable à une transition dans sa première partie, avec son piano grave, sa batterie et ses chœurs fantomatiques, il part ensuite dans un passage BM virant au bruitiste presque martial pour se révéler en vrai morceau. Quant à « Built on Ashes », ultime pièce de cet album, il possède un riffing typique BM, mais ce chant clair offre quelque-chose d’étonnamment lumineux, avec une pointe de mélancolie.
Le soufflé n’est donc certainement pas prêt de retomber. Manuel Gagneux semble assez doué et assez amoureux du genre pour le faire perdurer et parvenir à le renouveler. Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’en fait, malgré le côté incongru du mélange, c’est si bien foutu que le résultat n’est finalement pas plus choquant que le premier groupe à avoir mixé Black et Folk, ou Black et musique symphonique.
Transformer son ennui en challenge, ce challenge en projet, ce projet en hype, cette hype en véritable œuvre d’art, voilà une preuve de talent. Beaucoup se seraient cassés les dents à essayer d’étirer un succès éphémère pour l’essorer jusqu’à la corde avant de tomber dans un oubli seulement déterré par quelques mèmes. Zeal & Ardor, avec Stranger Fruit, a évité le piège. Et il l’a fait avec brio.
Tracklist :
1. Intro
2. Gravedigger’s Chant
3. Servants
4. Don’t you dare
5. Fire of Motion
6. The Hermit
7. Row Row
8. Ship on Fire
9. Waste
10. You ain’t coming back
11. The Fool
12. We can’t be found
13. Stranger Fruit
14. Solve
15. Coagula
16. Built on Ashes
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