Abinaya, interview

Le 2 octobre 2014 posté par Metalfreak

(NdAm’Beer) C’était ce samedi 20 septembre à l’Ampérage que nous avons eu le plaisir de rencontrer la joyeuse bande d’Abinaya. En pleine tournée depuis la sortie en mars dernier de leur dernier opus « Beauté Païenne », c’est avec générosité et bonne humeur qu’ils se sont livrés à nous. Et nous, chez Soil Chronicles, comme on adore leur travail, on n’étaient pas moins de trois à vouloir leur donner le mot !

Interviewers : Am’Beer, Olive Yeah & Metalfreak

Photos : Metalfreak

Coffre de voiture : Olive Yeah


 

Am’beer : Pour commencer, pourriez vous nous faire un petit historique du groupe Abinaya ?

Nico H : Alors pour commencer, il y a d’abord eu le big bang et j’ai rencontré Igor en l’an 2000 (rires). Il a une formation rock, folk et blues, moi j’amène la percu, puis avec Igor on a commencé à vouloir aller un peu plus loin dans la brutalité du sonore, mais toujours en restant pertinent.
Des membres du groupes sont partis et ensuite André est arrivé vers 2004/2005, puis Dumbo (Nicolas Vielhomme), et c’est la formation actuelle d’Abinaya.
Dumbo écoutait plutôt du metal extrême, André lui vient du Brésil, il avait des influences plutôt orientées vers Sepultura, hard and roll, un peu de glam aussi. On a fait un peu le mix de tout ça, et on a gardé la percu, qui était là dès le début, car c’est un peu notre marque de fabrique.

Am’beer : Vous êtes un des rares groupes de metal français qui chante justement en français. Était-ce pour vous une évidence, ou bien une volonté de démarcation ?

Igor : Vu qu’on sait pas composer en anglais, en fait on s’est jamais posé la question. Puis Nico (H) a aussi écrit de la poésie, et a été publié, donc on a toujours eu tous les deux un petit délire dans la poésie et on s’est beaucoup retrouvés là dessus. Alors ce n’était pas délibéré, c’était plutôt une évidence de devoir faire nos textes en français. Puis visiblement ça se passe bien, puisqu’on part en Angleterre mi-octobre, pour nous c’est pas mal que des britanniques s’intéressent à ce qu’on fait, et à nos textes.

Nico H : Puis la langue française est pleine de subtilités, donc quand tu chantes un texte dont tu comprends les paroles, et que tu as travaillé selon ton propre style, tu peux lui donner des sentiments.

Olive Yeah : Vos textes sont vraiment profonds, d’ailleurs vous avez repris les amants de Beaudelaire, et sur le dernier album vous avez fait un hommage à Jules Vallès. Le fait que tu sois prof d’histoire a t-il influencé ta manière d’écrire ?

Igor : Oui forcément. Comme Nico (H), j’écris de la poésie depuis l’adolescence, donc c’est quelque chose qui remonte déjà ! Le metal à un peu été une façon d’enclencher autre chose, et de partager ce que j’écris. Alors c’est vrai qu’en live les gens comprennent pas forcément grand chose, mais on a énormément de retours sur les albums.

Am’beer : Justement en parlant de culture, j’ai lu que tu avais passé un certain temps en Inde et que tu avais également été élevé dans cette culture. En quoi cela t’as t-il influencé, à la fois pour le groupe mais aussi personnellement ?

Igor : Mon père est prof de yoga sur Grenoble depuis les années 60, et ma mère a pratiqué la danse indienne aussi pendant très longtemps, donc c’est vrai que j’ai été immergé dans cette culture orientale depuis tout jeune. Après c’est peut être un peu inconscient, je ne maîtrise pas cette influence mais elle passe à travers moi. Sur le nom Abinaya, comme sur la pochette de l’album, c’est quelque chose qui se ressent, il y a un délire shivaïsque qui mêle un peu de nordique. C’est une influence tellement profonde qu’elle sort d’elle même. Puis je sais que toi Nico (H), tu es aussi intéressé par le bouddhisme et le Tibet.

Nico H : A un niveau personnel oui. On a une attirance pour l’aspect tribal, et pour les valeurs que ça véhicule, ce retour à l’aspect racine, primitif et instinctif.

Am’beer : J’ai été assez intriguée par les paroles de la chanson « Nord/Sud« . Nico, peux tu m’en expliquer la signification ?

Nico H : Chouette ! (rires)

Igor : Non mais ça c’est de l’art abstrait !

Nico H : Au départ, c’est un texte qui est assez long, et j’avais envie de le proposer au groupe. Mais en raccourcis, et réadapté pour le chant d’Igor. L’idée c’est simplement de faire se confronter le Nord et le Sud, c’est à dire le tiers-monde d’aujourd’hui, et la partie occidentale. Il y a d’ailleurs un petit rappel à ce qu’avait écrit Bernard Lavilliers dans les années 70.

Am’beer : J’ai eu l’impression que c’était comme une histoire coupée, résumée.

Nico H : Il valait mieux la résumer pour que le morceau ne soit pas trop long, il fallait que ce soit sec, que ça aille à l’essentiel. C’est les rapports entre Nord et Sud, par exemple, lors de l’Apartheid en Afrique du Sud quand les noirs crevaient dans les mines de diamants. Même si ce n’est plus l’Apartheid, ça existe encore. L’idée de ce texte, c’est les indigènes qui creusent pour les gens soi-disant civilisés.

Igor : C’est pas très loin de l’idée du texte d' »Arawaks« .

Am’beer : Hé bien justement ! J’ai beaucoup aimé ce deuxième titre de l’opus « Beauté Païenne », et j’ai trouvé qu’il traitait à la fois d’un sujet passé mais pourtant très actuel.

Igor : Tu me parlais plus tôt du travail sur l’histoire, là c’est sûr que ça a influé. Ce qui est terrible dans l’histoire, et dans l’horreur de la traite des esclaves du XVIIIe siècle, c’est le déracinement de toutes ces populations. Mais d’une certaine manière, les noirs américains ont laissés le blues, ça a été leur héritage au monde. Ces arawaks qui devaient être 6 à 8 millions, aux alentours de Cuba du Brésil et des Caraïbes, se sont fait tués en cherchant l’or dans les mines, et n’ont rien pu laisser. Donc cette chanson c’était un peu une volonté de laisser une trace pour eux qui n’ont pas pu en laisser.


Am’beer : Votre nouvel opus « Beauté Païenne » est sortit depuis mars dernier, et vous avez beaucoup tourné depuis. Quels retours en retirez vous ?

Igor : Les retours sont super bons, on déjà eut beaucoup de chroniques.

Nico V : Avec l’album « Corps » on avait déjà ouvert beaucoup de portes. Au bout de cinq ans, on nous attendait un peu au tournant, et on est assez content du résultat de ce nouvel album.

Igor : Ça avait déjà commencé avec « Corps », et avec ce nouvel album au son un peu plus extrême, on commence à s’exporter un peu en Angleterre.

Am’beer : Vous avez d’ailleurs plusieurs maisons de disques, comment cela se fait et comment ça se passe ?

Igor : On commence une tournée de sept dates en Angleterre à partir du 20 octobre. Un booker s’est intéressé à nous après l’interview de Terrorizer Magazine. On sait pas vraiment pourquoi, d’autant qu’on chante en français et qu’on devait être les seuls sur le magazine.

Nico H : Il n’y a pas que le chant, le metal c’est un tout ! Les mecs nous ont dit qu’il valait mieux qu’on chante en français plutôt que dans un pseudo anglais foireux. On fait l’effort de traduire l’anglais quand les textes nous intéressent, eux font la même chose avec nous.

Igor : Puis c’est un peu un pied de nez, que les anglais s’intéressent à ce qu’on fait en français.

Nico H : Je pense que quand tu assumes ton propos artistique et ce que tu fais, ça se sent, tout est honnête en fait. On chante pas en anglais à des fins commerciales, on aime l’écriture et à partir de là tout est plus simple.


Olive Yeah : « Beauté Païenne », metal et paganisme intimement liés ? C’est un concept qu’on sent bien repris sur l’artwork de l’album.

Igor : Pour moi oui. Il me semble personnellement que le cœur du metal c’est le paganisme. Ce qu’on retrouve là dedans, c’est une force tellurique. Certains groupes le retrouvent parfois avec l’occultisme ou le satanisme, qui sont aussi une forme de paganisme. Le paganisme, c’est pour moi le cœur de ce que peut apporter le metal dans notre culture, parce que je pense que le monothéisme nous fait beaucoup de mal en ce moment.

Am’beer : Un line-up qui n’a pas bougé depuis 2005, ça devient assez rare. Quelles sont les forces que vous retirez d’une telle stabilité ?

Nico H : On à un peu tout vécu ! C’est un grand plaisir de se retrouver, que ce soit dans la fierté ou dans le pathétisme ! (rires)
Quand tu traverses les tempêtes, les humiliations, les euphories et les petites victoires avec un groupe, ça soude.

Igor : Puis c’est la déconne aussi, on se prend pas au sérieux ! C’est une relation qui s’équilibre, pas seulement musicalement, mais humainement.

Nico H : On ne se voit pas non plus tous les soirs, on habite chacun dans des villes différentes. Nous avons tous une certaine distance les uns vis à vis des autres, et le fait d’avoir cette distance maintient une sorte de flamme. On est content de se dire qu’on va se retrouver en répèt avant un concert, comme un bon petit vieux couple ! (rires)

Olive Yeah : Il s’est passé cinq ans entre la sortie de vos deux albums, trouvez vous que ce soit long ?

Igor : Beaucoup de gens nous ont demandés si on avait pas peur d’avoir été oubliés, mais un album c’est une petite œuvre qui te suis toute ta vie, donc on voulait pas faire de la daube. On essaye de ne garder que le meilleur.

Nico H : Déjà d’un point de vue artistique, un album il faut l’écrire. Et ça coûte cher aussi, on est en auto-production et c’est Nico V et Igor qui gèrent la bourse de l’album. Sur quatre, il n’y en a vraiment que deux qui peuvent assumer le coût financier d’un album, donc on ne peut pas se permettre de sortir un album tous les deux ans, et on en n’a pas envie. On aime faire vivre nos morceaux, on est des maniaques exigeants. Maintenant, « Beauté Païenne » est là et on en est fiers, il faut qu’on tourne, et personnellement je préfère la scène au studio. Après, comme l’accueil à été bon, on n’a pas senti d’oubli de la part des auditeurs.

Nico V : On n’est vraiment pas dans le marketing. Comme on n’arrive pas à choper du gros fest, du coup on est sur des événements plus petits, mais on s’éclate ! Mais bon, j’avoue qu’un petit Motocultor ou un Hellfest ce serait génial !

Nico H : C’est un peu ce qu’il nous manque, quelqu’un qui puisse avoir l’expérience du terrain, un réseau, et qui ait envie de parier sur Abinaya, de tenter quelque chose.

Olive Yeah : L’apport des percussions fait partie de vos caractéristiques, comment cela est-il venu ? Avez vous été influencés par des groupes comme Sepultura ou Soulfly ?

Nico H : Quand j’ai rencontré Igor, il y avait déjà quelques bribes de percussions sur un djembé acheté au marché de Bondy (rires). Ils m’ont filé la toute première démo sur laquelle j’ai travaillé, et Igor et le batteur ont vraiment accrochés. J’ai fait des stages avec des burkinabés pour la percu traditionnelle, je trouve que leur technique est formidable mais ça me faisait pas vibrer plus que ça non plus. Je me suis beaucoup entraîner sur du rock, comme Noir Désir ou Louise Attaque, en plus des stages que j’ai pu faire. Le défaut, c’était que je jouais de la percu un peu comme de la batterie et quand Dumbo est arrivé, j’ai pu retravailler de façon traditionnelle la percussion pour lui donner vraiment toute son essence dans ce style musical. Je pense qu’avec la langue française, ça participe à notre identité.

Am’beer : Quels sont vos objectifs et vos aspirations pour la suite ?

Igor : Partir à l’étranger ! Là on a un plan pour l’Angleterre, et on à quelque chose qui se précise en Amérique du Nord. On aimerait aussi accrocher du gros festival en France, mais ce qui nous ferait bien kiffer en ce moment, ce serait d’aller tâter de l’étranger, de faire des belles rencontres.

Metalfreak : J’ai trouvé que le son et la production avaient évolué à peu près en même temps que le groupe. Vous avez cherché à ne pas changer une équipe qui gagne, mais avec une évolution à tous les niveaux.

Igor : C’est vrai que cet album est aussi marqué par le voyage, parce qu’on l’a enregistré à Philadelphie aux États-Unis, et c’était un univers un peu spécial. On tire un grand coup de chapeau à Kevin Pendel, c’est un ingé son très exigeant, et il nous a amené énormément de rigueur. Il nous fallait quelqu’un de carré, qui nous discipline en studio.

Nico H : Puis je crois que le public metal est très pointilleux sur l’écoute d’un CD et sur la production. Il aime quand c’est précis et carré. En live c’est différent, ça me dérange pas de faire de pains, mais pour le public qui achète le CD il faut que ce soit propre.

Am’beer : Quels sont pour vous les groupes capables de faire bouger la scène metal favorablement ?

Igor : En France ce qui m’a le plus impressionné pour le moment c’est Benighted, et Gojira qui brasse depuis un moment. Après j’ai pas vraiment l’impression qu’il y ait de nouvelles branches qui sortent dans le metal. Il y avait une sorte d’effervescence dans les années 1995, avec Soulfly, Rage Against the Machine, mais maintenant on est des héritiers.

Am’beer : On arrive à la fin de cette interview, un dernier mot pour finir ?

Igor : On a passé, avec Abinaya, l’Asso Khéops, Julien Tournoud, Jeep Moncorger et vous tous, une excellente soirée à l’Ampérage!! Le public Grenoblois a répondu présent et a été chaud bouillant, comme on aime le retrouver ! Des soirées comme celles ci sont celles qui font aimer le metal, aimer « transmettre » puisque c’est la signification indienne « d’Abinaya« , on espère vous retrouver aussi nombreux sur notre route à venir, en France comme au Royaume-Uni où nous partons en octobre pour 7 dates avec le groupe de Metalcore Londonien Ghostless. Rock On mates !!

 

Chronique « Corps » : http://www.soilchronicles.fr/chroniques/abinaya-corps

Chronique « Beauté païenne » : http://www.soilchronicles.fr/chroniques/abinaya-%E2%80%93-beaute-paienne

Site officiel : http://abinaya.free.fr/

Myspace : http://www.myspace.com/abinayarockpage

Facebook : http://www.facebook.com/AbinayaTribe

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