Gildas: « Déboires » est un terme un peu fort ! Je n’ai pas l’impression d’avoir galéré, mais il est évident que quand tu t’installes dans un nouveau pays et qu’en plus tu travailles à ton compte, tu as pas mal d’obstacles à affronter. C’est l’administration quoi, mais dans un nouveau pays, donc tout est un peu plus délicat.
Culturellement, il y a une différence entre la Norvège et la France plus importante qu’on imagine en France je crois. Quand on passe un week-end à Oslo ou à Bergen, on sort, on fait la fête, c’est un peu exotique et franchement sympathique. Vivre au quotidien en Norvège, c’est évidemment autre chose. Enfin j’ai été vite intégré dans un milieu de musiciens par exemple, ça m’a bien sûr aidé.
Gwenn: Après la sortie de The Age of Nero et cette fameuse tournée ‘finale In Black‘, Satyr et Frost décident officiellement de prendre un temps de recul et de faire une pause. Comment ça se passe, au niveau du travail, maintenant que le groupe tourne moins, j’imagine que ça doit être un sacré boulot, de se remettre dans le bain comme par exemple pour ce show du Tuska cette année…
Gildas: Je ne suis pas vraiment d’accord. On est des musiciens professionnels, on connaît nos morceaux, et on les oublie pas en 6 mois quand on les a joué sans cesse pendant 18. On n’est peut-être plus tellement habitué à l’intensité des shows mais on a joué tellement de concerts ensemble que tout s’est déroulé assez naturellement.
Gwenn: Je sais que tu es quelqu’un de passionné par la culture musicale dans toute sa richesse. Très investi dans la musique Jazz, qui requiert une énorme faculté d’improvisation et de dialogue avec les autres musiciens, trouves tu une certaine liberté dans le Jazz que tu ne trouves pas dans Satyricon du fait que tu ne sois pas compositeur ?
Gildas: Tout à fait. Dans Satyricon il y a peu de marge de manoeuvre pour moi, mais c’est le principe. Les morceaux sont généralement figés et lors d’un concert très peu de choses sont laissées au hasard. Ça ne me pose aucun problème car j’aime la musique et le mode d’expression du groupe tels quels. En jazz, les choses sont différentes, je peux choisir les gens avec qui je joue, les morceaux, les arrangements, et surtout la manière dont je m’exprime lorsque j’improvise.
Gwenn: Penses tu que la culture et le travail du Jazz t’apporte les éléments techniques qui te permettent de pouvoir t’adapter, comme tu l’as mentionné, au style très particulier de Satyr dans son jeu bourré de petits détails caractéristiques moins simples qu’ils en ont l’air…
Gildas: Je ne pense pas qu’il y ait vraiment de lien entre la technique utilisée en jazz et ce qui est requis dans Satyricon. Satyricon est résolument black métal/rock à la guitare et c’est ce qu’il faut savoir faire, avec le groove caractéristique. Le fait d’avoir une bonne maîtrise de l’instrument et une bonne technique permet de jouer avec finesse et d’exécuter les détails comme il faut, mais ça n’a pas grand-chose à voir avec le jazz. Le jazz dans ce contexte me donne surtout une facilité d’apprentissage/mémorisation, et peut-être un avantage pour le placement de certains riffs un peu délicats. Je n’utilise qu’un petit segment de mes possibilités à la guitare avec Satyricon. Par contre physiquement, scéniquement, c’est très exigeant.
Gwenn: Justement pour le commun des mortels, rien apparemment ne rapproche le Jazz du black metal, musicalement parlant. De ton point de vue, penses tu qu’il puisse y avoir un lien entre les deux et si oui, lequel ?
Gildas: Il peut y avoir un côté extrême intéressant dans chacun des deux styles, mais de mon point de vue ce sont deux styles de musique distincts. Le black métal fait parfois appel au côté rock/métal, qui fait plutôt réagir le corps, parfois au côté purement émotionnel. Le jazz pour moi c’est une affaire de d’instruments, de musicalité, de challenge, d’émotions aussi bien sûr, mais d’une manière totalement différente, plus proche de quelque chose d’intellectuel. De plus, je suis un « puriste » dans chacun de ces styles, c’est à dire que je vais écouter du black norvégien de 92 et du hard-bop de la fin des années 50, et j’aime en général rarement le mélange des styles. Dans ces conditions c’est difficile de faire un lien entre jazz et black métal vois-tu. Je crois plutôt que j’ai des centres d’intérêts musicaux très variés.
Gwenn: Tu mentionnes The Shadowthrone comme étant l’album qui t’a fait craquer pour Satyricon, à l’époque. Je trouve également que cet album est d’une richesse exceptionnelle, teintée d’inspirations traditionnelle et d’une certaine agressivité qui marquera ensuite le style du groupe. J’aime bien aussi quand tu dis que Satyricon ne s’inscrit plus dans un style, mais ne fait autre chose que du Satyricon. En tant que musicien, qu’est ce qui définit Satyricon, quels sont les éléments qui mettent en relief ce groupe par rapport à la vague black metal actuelle ?
Gildas: En fait j’ai découvert le black métal quand j’avais autour de 15 ans, et sur le conseil d’un cousin éloigné j’ai acheté « The Shadowthrone », c’était un de mes tout premiers albums de black métal après « Battles in the North » et un ou deux autres. Il est clair que le groupe à fortement évolué, mais très tôt on peut déceler des éléments « typiques » du groupe qui constituent une sorte de signature : une musique sévère, inflexible, inspirée de la musique rock et des mélodies particulières. Le groupe a un côté indépendant plutôt que de céder à la facilité, est aussi capable de créer de classiques, ce qui est rarissime dans ce style. Enfin les mots ne sont pas très utiles pour te répondre, le mieux est que chacun écoute et juge soi-même !
Gwenn: Un show qui t’a particulièrement marqué ? Je sais que le Hellfest, ça a été le cas à cause de tes origines rennaises…
Gildas: Oui évidemment, c’était un de mes premiers concerts peut-être le quinzième ou quelque chose comme ça, avant les tournées de T.A.O.N. Et puis c’était surtout mon premier concert en France avec Satyricon. Le concert de Rennes fin 2008 était assez spécial, ça faisait bizarre d’être sur la scène de l’Antipode après être allé voir tellement de concerts là-bas quelques années auparavant. D’ailleurs Fred, si tu me lis… Le dernier à Paris était assez fantastique aussi, j’avais une foule de potes qui s’étaient déplacés, ça faisait vraiment plaisir. Il y a tellement de concerts marquants sur environ 200, c’est difficile de choisir ! Je reparlais l’autre jour avec des amis de ce concert à Bergen en mai 2009, et je crois que d’un point de vue personnel ça a été mon meilleur concert avec le groupe. Mais le concert gratuit et improvisé à Garage Bergen en juillet de la même année était aussi fantastique… et que dire des concerts en Inde, en Russie ou à Las Vegas le soir de la Saint-Valentin (!!!)
Gwenn: J’ai lu que tu as aussi une expérience en chant (Morbid Rites), c’est quelque chose que tu souhaiterais retravailler à l’avenir ?
Gildas: Le chant n’est pas exactement ma spécialité, mais il semble que ma voix passait bien dans Morbid Rites. Pour être honnête je n’ai pas braillé depuis un certain nombre d’années, et je ne sais pas si je serais capable de le refaire ! Quand j’avais 18-20 ans, j’ai enregistré un paquet de démos en métal extrême tous genres, mais surtout black metal, j’avais un groupe appelé Pest où et je faisais moi-même la programmation de la batterie, la guitare, les voix, dans la tradition des one-man-bands. Morbid Rites était vraiment un groupe sympa avec des potes, formé plutôt pour célébrer le vieux thrash/black que réécrire l’histoire, mais c’est assez efficace. Peut-être que je groupe se reformera un jour, pour un concert ou plus, mais géographiquement c’est un peu compliqué comme tu imagines et certains de membres ne sont plus du tout actifs en musique. Rien n’est vraiment décidé mais rien n’est exclu ! Ce qui est sûr c’est que j’ai des demandes régulières en provenance de Bretagne pour qu’on refasse quelque chose. Pour ce qui est du travail de la voix plus mélodique, je crois que c’est important de passer par là à un moment en tant que musicien, mais je ne m’y suis jamais encore vraiment collé. À côté de ça, je travaille l’improvisation à la guitare en chantant ce que je joue un peu à la manière de George Benson si tu connais. C’est très utile.
Gwenn: Je sais que tu es aussi friand de Burzum que de Coltrane… Y a-t-il des groupes que tu aimerais me faire découvrir, des choses un peu moins connues, aussi bien en Jazz qu’en Metal ?
Gildas: Il y a tellement de choses différentes, de styles intéressants à découvrir… je pense par exemple à Serena Maneesh que j’ai découvert en concert il y a quelques mois à Oslo, une sorte de shoegaze un peu expérimental, c’était assez incroyable. J’ai déjà fait pas mal de pub pour Lydia Laska, un groupe d’ici également qui fait du « True Norwegian Black’n’roll Pop » comme ils disent eux-mêmes. Un des rares groupes qui font une fusion de plein de styles vraiment réussie. Leurs concerts sont généralement fantastiques aussi. La scène rock norvégienne est très vivace d’une manière générale, et ces deux groupes déchirent vraiment !
Gwenn: Tu as des projets de passer en France dans le cadre de tes formations musicales actuelles ?
Gildas: Oui, dès que l’occasion se présente !
Gwenn: Un grand merci pour ta disponibilité, et merci encore pour ce show au Tuska, un réel régal. Si tu souhaites ajouter quoique ce soit, des contacts, des liens… n’hésite pas !!
Gildas: On a pris notre pied à jouer au Tuska aussi, c’était vraiment un show spécial pour nous ! Merci à toi pour ton interview. J’ai déjà mentionné plus haut quelques artistes que j’apprécie. Vous pouvez allez aussi voir ma page MySpace avec un peu de guitare à http://www.myspace.com/gildaslepape en attendant le site ainsi que le MySpace de Morbid Rites (http://www.myspace.com/themorbidrites). Sinon, allez voir Metastazis.com, il a un super style. Jetez aussi une oreille sur Far Plain, un groupe de Paris qui fait du rock/metal 90’s. Ils viennent d’enregistrer leur 2ème album et c’est vraiment bon.
Gwenn: Pour terminer, un petit Kouign Amann et un fond de Calva bien de chez nous, ça te dit ?
Gildas: Certes ! Une partie de ma famille est originaire de Douarnenez, donc tu penses bien ! Calva pourquoi pas, mais si tu as une Brit rousse ou une Coreff ambrée, je préfère!
Merci à toi, Gildas, un grand bonjour de Douarnenez, et de la communauté metal rennaise!
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