Interviewer : Metalfreak
Interviewés : Alex et Sibylle Colin-Tocquaine
Photos : Metalfreak
Quand j’ai su que Witches et Agressor allaient se produire au Hellfest 2016, l’idée de les interviewer en même temps a vite germé dans mon esprit : je n’ai jamais caché mon affection pour ces deux groupes et c’est avec un réel plaisir que je les ai interviewés : Sibylle et Alex ont bien voulu répondre à des questions se rapportant à une époque qu’on a connu en même temps du fait que nous sommes à quelques mois près du même âge.
Vous vous rappelez quand vous avez eu vos premières approches avec le metal ?
Sibylle : Concert de Scorpions en 1982 pour la tournée « Blackout« . Mes parents m’ont amené avec eux ! Ma mère était verte ! pendant tout le concert, ils faisaient en sorte que je puisse voir le concert, par exemple en me maintenant assise sur la rambarde de l’escalier afin que je sois plus en hauteur… et moi à la sortie, je leur ai dit que j’avais compté le nombre de guitares qu’ils avaient…
Alex : Je crois que c’est quand je fouillais dans les disques de ma mère, je me rappelle du 45T de Black Sabbath « Paranoïd« , Des 33T de Deep Purple « FireBall » ou « Burn » et AC/DC « If you want blood You’ve got it« . Je me souviens encore bien des pochettes et de la musique qui est restée gravée a tout jamais dans ma mémoire…
Vos parents vous ont certes mis au rock / hard rock, mais qu’est-ce qui vous a mis au thrash, à une époque et dans une région qui n’était pas forcément les plus pratiques pour découvrir ce genre de musique, le Sud n’étant pas non plus le lieu où on rencontrait des metalleux à l’époque. (Je me rappelle qu’à chaque fois que je partais en vacances à la mer, j’avais du mal à trouver des fans du genre, et encore moins des magasins spécialisés)
Sibylle : je suis passée de Scorpions à Metallica, de Metallica à Sepultura, Voivod, Coroner etc…
On s’est fait porter par le speed « naturellement »
Alex : C’est l’évolution du son et de la technique d’enregistrement ainsi que les influences acquises au cours des années qui ont permis cette évolution, quand j’ai écouté Motörhead « No sleep till Hammersmith » la première fois , j’ai pris une claque : c’était très fort et violent, pourtant on reste dans du Rock’n’Roll, là. Comme pour le punk, j’en écoutais très peu… Ensuite Judas Priest et Iron Maiden, et puis sont arrivés Venom, Exodus et Metallica.
Dans les années 80, j’étais en constante recherche de la musique la plus rapide et la plus violente possible, l’avènement du thrash, puis du death, était une bénédiction pour moi. Aviez-vous également cette envie de sans arrêt voir les limites se repousser en matière d’outrance musicale ?
Sibylle : c’est exactement ça : chercher à avoir le plus rapide … mais finalement ce que j’écoutais et ce que j’écoute actuellement aussi n’est pas si speed que ç. Il y a largement plus violent et plus speed maintenant ! C’est limite gentil comme musique hahaha !
Mais à l’époque c’était très très violent !
Alex : oui, effectivement après le »Speed metal » qu’on a appelé Thrash par la suite et le hardcore, il y a eu le Death, le grind core avec l’arrivée des Blast Beat. Avec Repulsion et Genocide,
Le retour du Black Metal dans une nouvelle mouture.
C’est la recherche de ultra tout, plus vite, plus fort, plus grave, plus lent, plus gore, plus sombre, plus de clous, plus de noir… qui a amené a tout cela.
Quand on fonde un groupe, il y a toujours un musicien ou une formation qui vous sert de « héros » ou d’influence majeure : lesquels étaient-ce pour vous ?
Sibylle : je n’ai pas eu de « héros », je n’ai jamais mis les groupes sur un piédestal, comme intouchables etc etc… mais au tout début de Witches, j’adorais Metallica (les trois premiers albums !) et Sepultura.
Alex : Oh putain c’est mega dur de répondre à cela. Ça dépend de l’année… Pour Agressor, je dirais Venom, Exodus, Slayer, Mercyful Fate.
Lequel des deux a encouragé ou poussé l’autre à se mettre la musique ?
Sibylle : euh… faut-il vraiment répondre à cela ? Hahaha
Alex : Le fait d’être ensemble, on fait les mêmes choses au début tout simplement…
Qu’écoutiez-vous à l’époque ? Et maintenant ?
Sibylle : à l’époque, comme je te l’ai dit Metallica, Sepultura, Voivod, Slayer, Coroner, Morbid Angel, j’en passe et des meilleurs.
Maintenant, les mêmes albums qu’à l’époque, mais aussi des groupes comme Revocation, Havok, Lost Society pour ne citer que les derniers que j’écoute en ce moment…
Alex : Metallica, Sepultura, Voivod, Slayer, Coroner, Morbid Angel, Repulsion, Terrorizer, Napalm Death, Possessed, Carcass, Destruction, Sodom, Kreator… et plein d’autres.
Maintenant ça part de Jimy Hendrix en passant par Rammstein, Rory Gallagher, Steve Vai, Macalpine, Funker Vogt, Dark Funeral, Dimmu Borgir, Dillinger Escape Plan, Meshuggah et j’en passe… Et forcement, les groupes dans lesquels je ou j’ai joué ou suis intervenu en tant que session.
Sibylle : ah oui j’oubliais, les allemands : Kreator, Destruction, Sodom… et bien sûr Holy Moses !
Le tape trading devait avoir une énorme importance à l’époque ? Peux-tu rappeler à la génération mp3 comment se diffusait notre musique dans un pays qui n’a jamais pris beaucoup de risques pour la médiatiser ?
Alex : A l’époque, pas de téléphone portable, pas d’internet, mais on avait des ordinateurs quand même. Ce n’était pas aussi démocratisé que maintenant, pas de CD enregistrable, c’était au début des CD audio, donc nous faisions des cassettes, pour enregistrer des demos ou faire des compilations de plusieurs titres de groupes différents sur des supports cassettes d’environ 60 à 90 mn.
On en mettait le plus possible, c’était le seul moyen d’écouter de la musique dans les baladeurs cassette ou Walkman.
Donc, nous faisions circuler des demos entre nous, c’est à dire, auprès des gens qui étaient dans notre milieu musical, les fans, les fanzines et les groupes. Ce milieu était très restreint et nous communiquions par courrier essentiellement, quelque fois par téléphone mais c’était extrêmement cher d’autant plus que nous couvrions le monde entier.
Il faut savoir aussi que l’Europe telle que nous la connaissons maintenant n’existait pas : il y avait des frontières, donc des douanes.
C’est grâce à cela que j’ai connu Mayhem, Sepultura, Morbid Angel, Napalm Death avec qui nous correspondions régulièrement ainsi que tous les groupes Français du même style.On s’échangeait T-Shirt, cassettes, flyers et les contacts pour les fanzines, c’était un microcosme international de fans de Metal Extreme, et le seul moyen de se faire connaître car même les principaux médias spécialisés n’étaient pas très ouvert à ce style trop dur à leurs yeux.
Il y a d’ailleurs un bouquin qui s’appelle « Glorious Times: A Pictorial Of The Death Metal Scene 1984-1991« de Alan Moses (Buttface ‘zine) et Brian Pattison (Chainsaw Abortions ‘zine) qui est une fenêtre sur ce qui se passait à l’époque car ce sont de vieilles photos non professionnelles qui te replongent dans l’atmosphère de nos débuts.
Sibylle : on a vraiment connu pleins de groupes comme ça: Coroner, Voivod, Kreator.
Sans ça, il n’y aurait pas eu beaucoup de choses à se mettre sous la dent… enfin… dans les oreilles…
Witches et Agressor voient le jour la même année, en 1986, vous n’étiez même pas encore majeurs. Witches à la base devait ne se composer que de femmes : ce n’était pas trop galère ?
Sibylle : heureusement, Witches a commencé directement avec 3 personnes : Nath à la guitare, Isa à la basse et moi à la guitare. Isa et moi, nous nous sommes auto-motivées pour se mettre au chant. Par contre la galère oui : pour trouver une batteuse – une qui sache jouer un peu (nous étions toutes débutantes donc nous n’avions à l’époque pas d’impératif de niveau – il fallait surtout qu’elle ait un peu de motivation pour jouer). Nous avons essayé toutes les batteuses qui se présentaient, dans notre style ou non il y en avait très peu ! Et nous avons essayé de brancher aussi toutes mes copines pour jouer de la batterie. Enfin bref, nous n’avons jamais trouvé, Alex a joué le batteur intérimaire pendant quatre ans environs !
En 91 je suis montée sur Paris pour trouver des musiciennes et j’ai opté finalement de privilégier la musique et le groupe est donc devenu mixte !
Alex : Effectivement, on était jeune et pas de permis, certains membres du groupe étaient plus vieux et avaient des voitures, mais il fallait se démerder pour bouger, on faisait avec. Quand j’ai enregistré le split LP, j’allais au studio en Mobylette avec la guitare sur le dos sans housse, pareil pour répéter avec certains groupes.
Sibylle, qu’est-ce qui t’a poussé à chanter de façon éraillée ?
Sibylle : c’est tout simplement le style de chant que j’écoutais, que j’aimais, pourquoi donc faire autre chose ? En plus je dois avouer qu’à l’époque, chanter comme cela « pour une fille » surprenait tout le monde
Alex, pourquoi « Black church » (sur « Neverending destiny ») a-t-il été réenregistré sous le titre « The crypt » sur « Towards beyond » ?
Alex : Il y a eu un changement de line-up a un moment où nous avons pris une direction musicale un peu différente du début. Ca, c’est pour les puristes : certains riffs ressemblait beaucoup à un autre groupe et je voulais aussi l’intégrer dans l’histoire du concept de « Toward Beyond », l’intro a changé aussi. Voilà pour les petites explications
Alex, je présume que tu n’as pas loupé le set de Terrorizer, vu la reprise de « After World obliteration » que tu as faite sur le deuxième album ?
Alex : Ben c’est ce que je voulais, mais je n’ai pas pu les voir.
On est en 2016, vous êtes actifs sur la scène metal depuis bientôt trente ans : quel est votre regard sur l’évolution de la scène extrême ?
Alex : Dans le Death Metal, ce n’est plus les guitares qui sont techniquement plus imposantes, c’est la batterie qui prend une place prépondérante dans l’exécution du style, il y a moins d’aller-retours à la guitare comme dans le Thrash par exemple, d’où la désignation de old school.
Il y a des mélanges de style « extrême » qui sont super bien exécutés et bien orientés artistiquement parlant et d’autres que j’aime moins mais c’est une question de goût , je pense.
J’aime beaucoup le Black Metal, il y a une ambiance qui me rappelle le début du gothique par moment ainsi que le decorum qui sied bien à l’atmosphère du genre.
N’avez-vous pas peur que, avec les évolutions des techniques d’enregistrements et celles de la diffusion via internet, le metal perde en urgence et en spontanéité pour donner quelque chose de plus standardisé, de plus calculé ?
Sibylle : pour Witches, j’aurai dit carrément l’inverse. A l’époque, on composait, on jouait les morceaux en live pour les « roder » comme disait les autres, puis on faisait un album… c’est ce que faisaient tous les groupes.
Nous, on fait maintenant presque le contraire. On compose et on enregistre rapidement notre album , on les joue en live un peu avant l’album mais pas pour les « roder » : cela permet d’être très spontanés, on est justement dans l’urgence… plus qu’avant… car il faut, pour ne pas qu’on nous oublie, sortir toujours quelque chose, proposer toujours des nouvelles choses. Et comme cela, finalement, les morceaux sont plus spontanés ! Car si tu veux, tu peux rester des années sur tes compositions, les faire évoluer constamment et donc ne jamais les terminer…
Alex : Personnellement, je trouve que tout est trop aseptisé à cause des triggers et du fait de jouer au click, le copier /coller des ordinateurs, c’est super pour travailler mais ça perd un peu de hargne et de spontanéité, tout sonne de la même façon. Il n’y a plus autant d’agressivité dans la majorité des groupes et tout est « téléphoné », comme formaté et c’est dommage.
Il y en a quelques uns qui sortent du lot mais beaucoup sont des geeks de la musique qui manque de personnalité . Il faut s’aider de la technique technologique sans oublié le côté humain de l’artistique.
Si les années 80 ont été fertiles en émergences de nouveaux genres comme le thrash, le death, le black et tout ce qui gravite autour, le danger n’est-il pas que ces genres se mordent la queue pour avoir fait le tour de la question ? Il y a un vivier de groupes de thrash ou death estampillés old school, pour certains vraiment excellents, mais qui laissent désormais peu de surprises hormis une réelle qualité dans ce qu’on peut finalement appeler une restitution d’influences des groupes précurseurs.
Alex : Oui, ça c’est normal, c’est un cycle dans les genres. Après il y a les précurseurs et ceux qui font pareil ou mieux, comme tu l’as dis plus haut, nous n’étions pas majeurs au début et maintenant on est proches de la cinquantaine, voir plus pour certains, d’autres ne sont même plus parmi nous…
Le tout, c’est de laisser une trace et que le genre se perpétue pour que l’on aussi puisse faire partager notre expérience aux plus jeunex. Certains des musiciens qui jouent avec moi n’étaient même pas nés quand j’ai commencé… ça calme quand tu joues dans la classe « vétérans », du coup, on est cultes et respectés de ce fait.
A quoi ressemblerait un « nouveau genre » musical en matière de metal ?
Alex : Bonne question…
Agressor n’a pas sorti d’albums depuis 2006, soit dix ans… Pourquoi ce silence ?
Alex : J’ai du le faire diverses raisons : boulot, famille, jouer dans d’autres groupes, besoin de faire un break…
En prévois-tu un dans un futur proche ?
Alex : Oui, on a plein de compos en chantier, on est en train de faire le tri pour savoir dans quel style nous allons nous engoufrer.
Où en es-tu niveau line up ?
Alex : Joel Guigou à a la basse et Kevin Paradis à la batterie, au niveau des deuxièmes guitaristes, en ce moment c’est la valse des sessions .
On a eu Kevin Verlay et Sylver.
Qu’en est-il d’une réédition de « Neverending destiny » ?
Alex : Tous les albums ressortiront a partir du moment ou le nouveau sera sorti. Symposium of Rebirth ressortira avant tout cela en une version totalement nouvelle, remasterisée et réenregistrée, ça fait un petit moment que je suis dessus. Là, j’arrive à la fin et le résultat est vraiment bien…
Sibylle, Qu’en est-il de Witches ? j’ai eu vent que tu composais… Penses-tu rester dans quelque chose de très violent comme « The hunt » qui est sans doute ce que Witches a sorti de plus brutal ?
Sibylle : Nous sommes actuellement en train de finir l’enregistrement d’un nouvel EP pour les 30 ans de Witches cette année ! ce sont 4 morceaux composés pendant la première époque de Witches, j’entends par « première époque de Witches » les années de 1986 à 1990, époque où Witches était implanté dans le sud de la France et que nous essayions d’être un groupe entièrement féminin. Ces morceaux sont de 88/89 et nous les avons réactualisés, restructurés… une version 2016 en somme !Et pour compléter cet anniversaire, nous avons demandé à Alex de faire les solos, puisqu’il faisait partie de Witches à cette époque-là.
Comment se fait-il, hormis de brèves apparitions sur vos albums respectifs, que Alex et Sibylle n’ont jamais créé un groupe ensemble dans la durée, avec album(s) à l’appui ? Est-ce envisageable ?
Sibylle : Alex ?
Alex : Je ne sais pas, je ne l’ai pas envisagé, mais il y a eu des périodes moins bien, avec des haut et des bas ensuite on fait notre vie chacun de notre côté du coup, on a pas vraiment pris le temps de le faire.
Une tournée ou un concert Agressor / Witches est-elle possible ?
Sibylle : On a joué ensemble, en Belgique fin avril au blue lightening festival ! Une tournée, ça, ça serait cool !!!
Alex : pourquoi pas….
Agressor :
http://www.facebook.com/agressor.fr
http://myspace.com/TheTrueAgressor
http://www.youtube.com/TheTrueAgressor
Witches :
https://www.facebook.com/witches.fr
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