Interviewer : Willhelm von Graffenberg
Interviewés : Mathieu Pascal et Ben « Barby » Claus
Gorod ne passait pas cette année au Hellfest… Mais c’est pas parce qu’on n’y joue pas qu’on n’a pas le droit d’y aller – imaginez le nombre de gens qui devraient passer sur scène sans ça… Mais c’est donc à cette occasion du Hellfest 2018 où ils étaient présents qu’on en a profité pour discuter passé et avenir du groupe avec Mathieu Pascal (guitare et composition) et Ben « Barby » Claus (basse)
[Willhelm von Graffenberg] Bonjour « Barby », bassiste de Gorod. On va commencer par un petit historique du groupe.
Barby : Très rapidement, Gorod, c’est un groupe de Death Metal formé en 1997 avec Mathieu, le guitariste. C’est un groupe de lycée, on a suivi le chemin normal d’un groupe de lycée ; maintenant nous avons cinq albums studio et deux EPs entre les albums… Voila, c’est un résumé très rapide ! Ah aussi, on a changé de nom en 2005… Mais Mathieu arrive…
[Mathieu s’installe, de retour de sa pause clope]
[WvG] Ça tombe bien : je vais pouvoir poser certaines questions plus spécifiques. Mais je vais commencer par une en rapport avec votre dernier EP, qui a reçu un gros succès critique, je ne sais pas si au niveau des chiffres ça s’est vérifié… Comment vous expliquez ce succès ?
Mathieu : Je serais tenté de te dire : « parce que c’est de la bonne musique ! » [Rires] C’est un EP qu’on a fait vraiment pour la tournée qu’on faisait avec Havok, sur une tournée thrash, donc on s’est dits : « on va essayer de faire un EP. » On a eu deux mois pour le faire, le composer, l’enregistrer. On l’a fait et c’est bien parce qu’on a le coté thrash qui est évident ; il y a quand même la patte Gorod. Comme tu as dit : « très bonne critique ». Et le plus beau compliment qu’on nous ait fait, c’est quand même le gratteux soliste d’Havok qui nous a dit : « Quand j’ai su que vous alliez faire un EP thrash, j’ai eu un peu peur que ça soit pour vous moquer un peu, de la parodie ou des paroles, à la va-vite. Je l’ai écouté et j’étais sur le cul : j’ai trouvé ça excellent et les paroles, ça colle au Thrash et au concept. » Donc on a fait du bon boulot en fait !
[WvG] Pour aller dans le style et la composition, pourquoi évoluer dans un genre aussi difficile d’accès et techniquement aussi, difficile, alors que, si je prends un exemple, AC/DC a bâti sa carrière sur trois accords ?
Barby : Tu fais la musique que t’aimes, à la base, c’est naturel. On aimait ce qui était speed, on avait des influences un peu plus prog donc on aimait quand ça tricotait un peu… et bah on a fait du « Death tricot » !
[WvG] Avec beaucoup de mailles, donc…
Ouais, c’est ça !
[WvG] Excepté le Hellfest, quel est l’endroit le plus balaise où vous ayez joué ?
Barby : Le Hammer Sonic… ?
Mathieu : Oui, à Djakarta, on a fait un festoche qui s’appelle le Hammer Sonic où on a joué devant je-ne-sais-pas combien…
Barby : Quinze mille…
Mathieu : C’était complètement hallucinant, le monde qu’il y avait, et puis de se retrouver aussi loin et voir qu’il y avait un public metal complètement fou, et qui nous connaissait, pour le coup !
Barby : Très, très bon souvenir, très beau Fest… Je pense qu’après le Hellfest, c’est celui-là… Et même qu’il y avait plus de monde au Hammer Sonic que quand on avait joué au Hellfest à l’époque où on y a joué.
[WvG] Même question mais dans le sens inverse : l’endroit le plus space où vous ayez joué ?
Dans une petite boite à Bordeaux pour une expo d’art contemporain. On avait une boite, un cube…
Mathieu : C’était un œuvre artistique, le truc entier…
Barby : Un cube qui faisait 666 en mesures non métriques…
Mathieu : Six pieds, sur six pieds, sur six pieds.
Barby : Voila. Et donc on ne pouvait entrer qu’à quatre, on n’a même pas pu réussi à faire entrer le groupe entier dedans. [Rires]
[WvG] Oh putain…
Et le but, si tu veux, c’est que tu rentres dedans, tu te serres, tu mets un kit de batterie minimal, c’est insonorisé à l’intérieur, tu commences à jouer… Là, y a un mec qui vient fermer la porte et les gens n’entendent plus rien de l’extérieur. Le but, c’est qu’ils viennent nous voir et poser l’oreille. Et pour la petite histoire, on a battu le record de durée à l’intérieur puisqu’on a joué quelques quarante minutes dedans… parce qu’une fois dedans, il n’y a plus que l’air qui est dedans.
[WvG] Faut pas être claustro, quoi…
Mathieu : Y a pas de renouvellement d’air surtout !
Barby : Et tu joues dans le noir complet.
Mathieu : Y a pas de lumière…
[WvG] Ah oui, là, c’est space : je valide complètement !
[Rires]
[WvG] Alors Mathieu, puisque vous êtes là, comment vous composez et quel est votre processus ? C’est-à-dire est-ce qu’il y a un seul, vous en l’occurrence, ou est-ce que ça se fait à plusieurs ?
Mathieu : En principe, j’amène le morceau entier, la structure avec les guitares et la batterie, en tous cas les rythmes de batterie que moi j’imagine avec les guitares, et je propose ça aux autres membres du groupe. Après, il y a des modifications, ou pas. Barby pose ses lignes de basse par-dessus et Julien [Deyres, chant], en parallèle, écrit des textes et on les place souvent au moment de l’enregistrement sur la musique… Ça se passe comme ça.
[WvG] Ça répond déjà quasiment à ma prochaine question : est-ce que c’est une idée générale de morceau ou des idées mises bout-à-bout ?
Mathieu : Alors, là, cet album là [Aethra, à venir], il a été fait dans un laps de temps très court. L’écriture a duré de mi-décembre à fin janvier, c’est tout. C’était vraiment le rush, j’ai fait que ça pendant un mois et demi. Évidemment, ça faisait depuis le précédent album que j’avais des idées mais elles n’étaient que dans ma tête, j’avais pas essayé de poser des riffs et tout est sorti en un mois et demi. Je savais à peu près les riffs qu’il fallait que je fasse, dans quelle direction il fallait que j’aille mais tout a été couché en un mois et demi.
[WvG] Guitar Pro ou Guitar Rig ?
Mathieu : Pas Guitar Rig parce que j’aime bien enregistrer mes parties avec mon matériel, le matériel que j’utilise après sur scène, en fait. C’est pas beaucoup mieux mais j’enregistre avec, comme ça je suis persuadé que le son qu’il y aura au concert sera le même après. Guitar Pro, oui, mais je m’en sers juste pour écrire les partitions pour les autres, pour qu’on puisse avoir une trace écrite de ce que je fais. Ça, en général, je le fais une fois que tous les morceaux sont écrits, je repasse après dessus mais je ne compose pas avec : je compose en jouant, en fait, pas en écrivant. Je joue et j’écris ensuite, dans un deuxième temps. Je retranscris.
[WvG] En rapport avec la musique, est-ce que l’un de vous, hors groupe, travaille dans la musique ou a une profession liée à la musique ?
Mathieu : Moi, je suis prof de guitare dans une école, j’ai un studio d’enregistrement où j’enregistre et produis des groupes locaux… et pas locaux d’ailleurs.
Barby : Moi, je suis en intérim ; ça me permet de gérer mon emploi du temps. Sinon, le batteur est prof de batterie, l’autre guitariste est prof de guitare… Le chanteur, on s’en fout ! [Rires]
Mathieu : Le chanteur, en fait, il est guide touristique ! Finalement, on a tous des métiers qui nous permettent de pouvoir gérer le groupe à coté, de pouvoir partir en tournée quand on veut sans quand nous fasse trop la misère. On a notre vie qui est complètement autour du groupe.
[WvG] C’est vrai que ça simplifie un peu les choses.
Mathieu : Oui, c’est ça.
[WvG] Votre prochain album, c’est Aethra, qui sort le 19 octobre et s’annonce déjà comme un succès. J’ai écouté les quelques premiers morceaux, ça y va ! Vous avez bossé, comme vous avez dit, un mois et demi dessus. Si on prend le processus entier, du début jusqu’à la fin, ça prend combien de temps à développer, enregistrer, tout ça, tout ça ?
Mathieu : De mi-décembre à fin avril.
Barby : En fait, si tu veux, on est partis d’une discussion avec le label (Overpower Records, d’ailleurs, puisqu’on a changé de label avec cet album). Le label nous dit : « j’aimerais bien que l’album sorte à telle date, il me faut le visuel et le son six mois avant. » Lui, il voulait que ça sorte à l’automne, genre octobre-novembre. Au bout de six mois, il faut le son fini, c’est-à-dire en mai à peu près, il faut que le mastering soit fait du coup il y a quinze jours, trois semaines de mastering… Ensuite tu comptes l’enregistrement. Il fallait que l’album soit fini de composer en janvier et la réunion, on l’a eue en décembre ou novembre, je ne sais plus. Donc [Mathieu] a commencé à composer en mi-décembre et fin janvier, il avait fini. On a fait nos parties après les autres musiciens, on les a bossés pour enregistrer grosso modo en février. C’est enregistré en mars et après, c’est parti au mixage en mi-avril. Début mai, c’était fini.
[WvG] Ça a été quand même rapide…
Mathieu : C’est rapide… et en même temps, on fonctionne comme ça : c’est mieux quand tu as une échéance. Du coup, ça te permet de savoir quand le travail doit être fait. L’un dans l’autre, c’est pas « si pire » que ça.
Barby : C’est comme au boulot : quand t’as une tâche à faire, que t’es en intérim, si on te dit pas « elle doit être faite ce soir »…
[WvG] Eu égard à ces délais relativement courts, et vous avez, j’imagine, un niveau d’exigences quand même assez haut vu le genre dans lequel vous êtes, est-ce que vous êtes à 100% satisfaits de ce que vous avez donné sur cet album et pour cet album ?
Mathieu : Carrément, ouais ! On n’est pas moins satisfaits parce que ça a pris moins de temps, en fait.
Barby : Tu fais toujours le maximum, on a toujours donné le maximum de ce qu’on pouvait au moment où on devait le donner donc il n’y a aucun regret à avoir, quoi qu’il arrive.
Mathieu : Et il y en a certains, notamment notre chanteur et notre batteur, qui ont même donné plus que leur maximum pour cet album. Ils ont osé et ont essayé de faire des trucs qu’ils ne savaient pas faire. En fait, on est super fiers de ça.
[WvG] Donc en fait, c’est vraiment le rush qui vous a poussés à vous améliorer ?…
Barby : Je sais pas… Après, peut-être que les morceaux qu’on fait maintenant, quand on les rejouera sur scène dans dix ans et peut-être qu’on changera un truc parce qu’on aura évolué en temps que musiciens, comme je peux par exemple changer quelques lignes de basse sur des morceaux du premier album quand je les joue maintenant. Sinon, on n’a aucun regret et on est totalement fiers de l’album qu’on a fait parce qu’on a fait notre maximum.
[WvG] On parlait tout à l’heure des différents styles, le progressif et autres… On entend pas mal d’influences, du genre Free Jazz. D’où vous viennent ces cultures ? Parce que, l’idée, c’est quand même que vous mélangez des genres plutôt liés à la brutalité metal avec des influences derrière qui sont plutôt liées à des styles divers…
Mathieu : En fait, c’est la musique qu’on jouait avec la musique qu’on aime entendre, c’est un mélange de ça. La musique qu’on sait jouer, c’est le Metal, et la musique qu’on aime écouter, c’est le jazz. [Rires] Et je ne saurais pas jouer du jazz, je ne sais pas le faire. D’un autre coté, du Metal, je n’en écoute pas forcément des masses. Mais c’est le mélange de ces deux trucs, en fait. Tu vois ce que je veux dire ? Alors, pas forcément tous les jazz mais le jazz funk, le jazz fusion des années 70. Dans ma tête, ce que je fais, c’est que je mets ça en Metal.
[WvG] D’où le groove qui va derrière…
Mathieu : Voila !
[WvG] Pour revenir au prochain album, d’où vous est venue l’inspiration ? On sent qu’il y a plein de références. On ne va pas spoiler non plus mais il y en a sur le Japon, sur l’Egypte, l’Inde… Est-ce que c’est une volonté d’aller chercher dans ces divers univers (cf. la pochette qui évoque une déesse hindoue). C’est une résultante ou c’est quelque chose qui était conçu dès le départ ?
Mathieu : C’est lié aux textes, en fait. Julien, une fois qu’il s’est décidé sur le thème de « la lune », a essayé de chercher tous les mythes à travers le monde qui ont pu exister, dans toutes les civilisations par rapport à « la lune ». Il en a trouvé effectivement partout : dans toutes les civilisations, il y a quelque chose parlant de la lune. Que ce soit une divinité, des légendes, des histoires… Et il a essayé de faire une sélection de tout ça pour ce qui était le plus metal possible, si tu veux. Il y en a beaucoup qui sont juste chiantes ou gnangnan… Il en a même trouvé en Polynésie, comme tu dis en Égypte, chez les Maya… Il en a trouvé évidemment en Europe, partout en fait. C’est pour ça que, sur les dix morceaux, chacun parle effectivement d’un continent différent, limite.
[WvG] En effet : « Hina », c’est sur le Japon, « Bekhten », c’est sur l’Égypte…
Barby : Oui.
[WvG] Question métaphysique : est-ce que vous auriez envie de plus ?
[Silence…]
[WvG] Vous avez quatre heures !
[Rires]
Mathieu : Qu’est-ce qu’on a envie « de plus » ?
[WvG] Plus de temps, plus de pognon, plus de public… ?
Mathieu : Bah, plus de public, oui, forcément ! On aurait envie de faire plus de tournées et rentables… On aurait envie d’avoir plus le temps de faire de la musique et pas d’aller travailler, de sortir des albums tous les ans.
[WvG] Hormis cette question, quelle est la question la plus stupide qu’on vous ait posé en interview ?
Mathieu : Ah ouais, il y en a une… Je me souviens plus…
Barby : Généralement, on les oublie, on préfère garder les bonnes questions…
[WvG] Pour les anecdotes, c’est toujours rigolo…
Barby : Oui mais là, qui vienne en tête…
Mathieu : Disons que la plupart du temps, les questions stupides sont posées par les gars qui nous interviewent et qui ne connaissent pas le groupe, alors ça fait des quiproquos…
Barby : On les a calés en interviews, ils ne connaissent rien du groupe… Donc là, tu les regardes, et… et voila.
[WvG] Être conviés à des Fests de l’ampleur du Hellfest, ou de Djakarta comme vous disiez tout à l’heure, vous recevez ça comme une gratification pour votre travail ?
Mathieu : Bah, bien sur, oui !
Barby : Tu le vois, juste par rapport au retour de ton entourage, des fans de Metal que tu connais… Tu leur dis que t’as joué au Hellfest et ils te regardent avec des yeux, genre : « ouais, trop cool ! » Forcément, c’est gratifiant. Après, en temps que musicien, que groupe et le travail que t’as fourni dans le groupe, pouvoir arriver là, ça l’est aussi : ça veut dire que t’as pas travaillé pour rien non plus. C’est pas une fin en soi mais c’est gratifiant.
[WvG] On parlait tout à l’heure du temps passé sur l’album et des choses à regretter… Mais s’il y avait des choses à refaire, ça serait quoi ? Je ne parle pas que dans votre album mais de tout ce qui est derrière également.
Barby : Ah bah, ne pas prendre des connards dans le groupe, quoi !
[WvG] Bon, bah, comme ça, c’est clair ! [Rires]
Barby : Voila… Faut pas chercher plus loin.
Mathieu : Très bien !
[WvG] Le Metal est bien plus diffusé et médiatisé dans les pays limitrophes de la France. Même si la médiatisation commence à évoluer (par exemple Télérama qui fait des articles, ARTE qui (re)diffuse les concerts, etc.), est-ce que vous pensez qu’il existe un moyen de faire sortir le genre de son carcan ou est-ce que vous pensez que c’est aussi bien qu’il garde son image « underground » ?
Mathieu : Disons… Juste un peu plus, tu vois ?… Pas forcément passer sur TF1 mais juste un peu plus : qu’il y ait au moins des radios qui passent du Metal un minimum…
Barby : C’est une histoire de culture, je pense. Tant que c’est pas dans la culture de base, ça restera un phénomène de foire… Après, dès que ça rentrera plus, ce qui est en train de se passer avec le Hellfest ou des trucs comme ça… Ca rentre un peu plus dans les mœurs. Tu vois, nous, on a commencé en 1997 ; j’ai un fils, je lui fais écouter du Metal… Pour cette génération là, le Metal, en gros, ça sera quelque chose de normal, pas un truc genre « Euuhah, ça sort d’où ? » A partir de là, il y a tout qui se forme : ça prend plus de temps que dans les autres pays mais ça prendra un jour.
[WvG] Pour finir, si vous deviez résumer en trois mots Aethra pour le promouvoir et donner envie de l’écouter voire de l’acheter, ce seraient lesquels ?
Mathieu : « Puissance »…
Barby : Ah merde, je l’avais… [Rires]
[WvG] Chacun trois mots, hein…
Mathieu : Alors, « Puissance »… « Spontanéité »… « Patate » ? Ah ouais mais c’est pareil que « puissance »… bon, c’est pas grave : trois mots !
Barby : Bon bah je reprends « Puissance » parce que c’est quand même un truc… « Gorod », parce que c’est quand même du Gorod… Et « Ouverture » aussi, parce qu’il y a vraiment des choses en plus qui devraient plaire à d’autre gens et faire venir d’autres gens tout en restant du Gorod.
[WvG] Merci bien !
Barby : Merci à toi pour tes très bonnes questions.
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Aethra, prochain album de Gorod sera disponible le 19 Octobre 2018 chez Overpower Records.
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