Interviewée : Anne Couvreur (Remparts Productions)
Interviewer : Seblack

Bonjour Anne, merci de prendre le temps de répondre à mes questions. Me concernant j’ai commencé à découvrir ton travail avec les badges que tu confectionnes pour les groupes, ce devait être ceux de Blurr Thrower, Hexis, je crois. Depuis, tu as monté ton label dédié au Black Metal tout en continuant à proposer diverses créations. Du coup ma première question sera des plus classiques : peux-tu simplement te présenter et nous dire comment et quand tu es entrée dans le Black Metal  ?
Tout commence en 2014 par une rencontre avec la musique de The Algorithm (du Metal Progressif créé avec une guitare et de l’électronique). Ça m’a tellement plu que j’ai écrit un livre sur ce one man band. Pour dire à quel point je ne fais pas les choses à moitié. Après quelques années dans le Metal Progressif (Born Of Osiris, Gojira…), les choses sérieuses sont apparues en 2017 lors d’un concert de Céleste – Black/Sludge Metal/ Post hardcore français – suivi de celui du groupe danois Hexis, dans la même veine mais en plus sombre. Grâce à ces deux groupes, une porte s’est ouverte devant moi. Je me suis sentie physiquement et mentalement propulsée dans un monde à la fois sombre, violent et chargé d’émotions. Étrangement je m’y suis sentie bien, alors j’y suis restée et j’ai continué mon chemin dans cette direction

Certains te connaissaient déjà pour la réalisation de badges ou d’autres objets, comment t’es venue l’envie d’aller plus loin et de créer ton label, quel a été l’élément déclencheur ?
Il ne m’est pas possible de rester simple spectatrice. J’ai besoin d’apporter ma pierre à l’édifice, de prendre part à l’action, soit à travers la création de merch’ pour les groupes, de bénévolat lors de festivals ou encore prendre des photos et des vidéos de concerts et les partager sur mes réseaux sociaux. Un jour, en étant témoin du temps et de l’ardeur que je mettais à fabriquer du merch’, quelqu’un de mon entourage m’a suggéré l’idée de créé un label. Sur le moment j’ai trouvé l’idée folle. Déraisonnable… Mais ça m’avait interpellé. En avril 2022, le gérant d’un fanzine (il produit aussi des groupes) me fait part de son embarras : le label avec lequel il devait coproduire un groupe a jeté l’éponge et il lui manque la moitié du financement. Je lui propose de lui prêter de l’argent. Il refuse. Le lendemain il m’envoie ce message : « Dis donc, ça ne t’intéresserait pas de coproduire des groupes ? ». C’était Brice de Acid Vicious Fanzine et le premier groupe que nous avons produit ensemble était Soupir.

Pourquoi ce nom de Remparts Productions ?
Les remparts sont une protection, un refuge, un lieu derrière lequel on se sent en sécurité. Ce sont de solides murailles sur lesquelles les groupes peuvent s’appuyer pour produire en toute confiance leur musique. J’aime bien aussi cette connotation à la chevalerie, à une certaine noblesse. Je vis dans une ville entourée de remparts, cela a dû influencer mon choix. C’est Christophe Szpajdel (The Lord of Logos) qui a dessiné le superbe logo de Remparts Productions.

On sent qu’il y a chez toi l’envie d’aller plus loin que de proposer de la musique ou un simple CD en développant très souvent des bundles comprenant diverses créations en lien avec l’univers de chaque groupe. Que peux-tu nous dire de cette démarche sachant qu’on reparlera de chacun des groupes un peu plus tard ?
Dès la première sortie, proposer du merch’ autre que le CD est apparu comme une évidence. Il enrichit et complète l’univers du groupe. C’est aussi une façon pour Remparts Productions d’apporter sa touche personnelle à chaque production. J’aime l’idée que les personnes qui suivent le label se demandent non seulement quelle sera la prochaine sortie mais aussi quel complément de merch’ l’accompagnera.

Bon, ce n’est pas trop galère quand même ? Pas de regret ?
C’est un peu stressant et ultra chronophage. Stressant parce que je suis toujours à fond. Je travaille de façon obsessionnelle. Mais attention ce n’est pas un stress vain. C’est du bon stress, celui qui permet de rester focus. Chaque sortie est un challenge. Aucun regret. Je vis les grandes heures de ma vie.

Comment choisis-tu les groupes que tu sors ? Comment s’effectue la prise de contact avec les groupes ?
Écouter un groupe équivaut à écouter un son. Une marque de fabrique. Quelque chose d’unique qui fera la différence avec les autres groupes. Cela n’a rien à voir avec la qualité sonore de l’enregistrement. C’est ce quelque chose d’indéfinissable dans la sonorité de leur musique qui captera mon attention.
Les prises de contact commencent en général par un simple message. Soit j’envoie un email à un groupe pour leur proposer de les produire ou ce sont eux qui me contactent. Après c’est oui ou non.

A ce jour, Remparts Productions compte quatre sorties. Je te propose de nous les présenter, commençons par Soupir qui a été la première.
Du Black Metal Atmospherique teinté de Neo Folk et de beaux textes poétiques. Un son particulier. Pour la création du digipack nous avons longtemps hésité entre un fond bleu ou couleur crème. Le bleu l’a emporté. Comme merch’ complémentaire ils souhaitaient des T-shirts blancs avec, sérigraphiés sur le devant, une représentation de la Mort et un corbeau (un animal cher à Malnuit). Il a été fait selon leurs désirs. Le label est là pour exaucer les vœux des groupes

Au mois de septembre, tu as sorti le nouvel d’album d’Atra Mors, l’un des multiples projets de Noctu.
Noctu est très prolifique et incroyablement talentueux dans tout ce qu’il réalise. Je suis une inconditionnelle de son groupe Vexev. Nous avons correspondu à un moment et lorsque qu’il a voulu produire l’album d’Atra Mors « Morbid Killers – and Other Deaths in Music » il a fait appel à moi. Je me rappelle lorsque j’ai écouté l’album la première fois… Ça envoyait grave ! J’ai dit oui tout de suite. En complément du CD j’ai imprimé sur du beau papier des photos de paysages de la région de Lombardie que Noctu avait lui-même prises. Il aime la nature, les grands espaces. Le T-shirt reprend la pochette de l’album. Nous voulions qu’il y ait cette couleur rose fuchsia mais, pour des raisons techniques, ça n’a pas été possible, il est donc en noir et blanc.

On reste en Italie mais plus au sud encore avec le groupe sicilien Malauriu…
… Et leur EP « De Natura Obscuritatis ». Quel étrange et fascinant EP. Moitié Black Metal, moitié Dark Ambient. Il y a un beau travail de recherche de sonorités. J’étais curieuse de voir quelle aurait été la prochaine étape dans leur processus créatif. Je dis « j’étais » car, malheureusement, je viens d’apprendre lors de la rédaction de cette interview que le groupe a décidé de se séparer.
Pour le merch’ complémentaire le groupe voulait un T-shirt long sleeves mais pas noir. Je leur ai trouvé un TS gris clair. La pochette de l’album est imprimée sur le devant et sur les manches il y a écrit le titre de l’EP et « Sicilian Occult Black Metal ». C’est Azmeroth Szandor (leader des groupes Heretical et ImmolaroR) qui a réalisé tout ce magnifique design. Pour rester dans le coté occulte et ritualiste il y avait aussi la couverture de l’album imprimé sur du bois (dans l’esprit des anciennes icônes) et une bougie votive.

A la Fin de l’automne 2022, tu as sorti l’album d’Indre Morke 
Indre Morke est un duo franco/germanique. J’avais beaucoup aimé le premier EP « Hymnes Misanthropiques, Ode à la Noirceur » et j’ai été tout de suite partante pour produire « Mort, Solitude, Isolation ». J’adore le son de la guitare de Waldseel et le timbre particulier de la voix de Midgard. Cet album est à la fois très sombre, poétique et complètement misanthropique. Dans le bundle, outre le T-shirt, il y un plumier customisé. Pourquoi un plumier ? Parce qu’il évoque le passé et la nostalgie d’un monde révolu. Il fait écho à la typographie manuscrite des paroles des chansons imprimées à l’intérieur du livret. Brian Marie-Claire, le guitariste de Hats Barn, est illustrateur et cela faisait un moment que je désirais travailler avec lui. Il accepté de réaliser un dessin sur le thème des maisons abandonnées. Son travail autour des détails est impressionnant.

Le dernier album en date et pas des moindres puisqu’il s’agit du groupe chilien Eltun. Comment diable les as-tu dénichés ? Leur album est incroyable !
En premier lieu Eltun avait contacté le label Crush the Desert, avec lequel ils avaient déjà travaillé, mais, cette fois-ci, je ne sais plus pour quelle raison, ça n’a pas été possible. Le manager de Crush the Desert a transféré la demande d’Eltun à Brice d’Acid Vicious Fanzine. Brice m’envoie le lien vers la musique et me propose une coprod. J’écoute et je me dis « wow wow wow mais qu’est-ce que c’est ?! ». C’était la première track de l’album « A la Sombra del Pillan ». Ça m’a tellement plu que j’en avais des frissons. Bien sûr, j’ai dit oui pour la coprod. Comme le Chili c’est loin et que les frais de port sont exorbitants sur le Bandcamp de Remparts Productions, j’ai fait le digipack avec les frais de port offerts, afin de rendre la musique accessible à tous, même à ceux qui sont en Amérique du Sud. Pour l’anecdote, j’ai envoyé un colis de dix kilos à Eltun à Santiago avec leur part de digipacks, des T-shirts, des flyers, des stickers etc… Le groupe était super content. L’époque a ses défauts mais il est quand même formidable de pouvoir avoir ce genre de relation, d’échanges, avec des groupes à l’autre bout du monde.

Au final, les sorties de Remparts Productions sont très différentes les unes des autres, bien sûr on reste dans un Black underground mais toujours avec des univers différents. C’est volontaire ou cela s’est fait comme ça ?
Il est très important que chaque sortie soit une surprise, une découverte pour les personnes qui suivent le label, l’éclectisme est donc de mise.

Remparts Productions arrive presque à sa première année d’existence, quel premier bilan en fais-tu ?
Jour après jour, l’audience de Remparts Productions s’agrandit, que ce soit sur les réseaux sociaux ou sur le Bandcamp. C’est une bonne chose. Les ventes sont encore timides. Pour le moment je finance les productions avec mon argent propre. Mais j’ai bon espoir d’arriver un jour à un autofinancement. Jusqu’ici tous les groupes produits par Remparts Productions m’ont fait part de la satisfaction qu’ils ont eu de travailler avec moi. De mon côté être productrice m’apporte un indicible contentement. Alors… Que l’aventure continue !

D’autres sorties et projets sont déjà prévus, que peux-tu nous en dire ?
Sont prévus dans les mois à venir : l’album « Gone » d’Autumn Laments, un one man band allemand. Du black Metal mélancolique sorti il y a quelques années en cassette (sold out) et que je ressors remastérisé en CD. L’EP du groupe français Azgarath en coproduction avec Chaoscibel et The Ritual Prod. L’album tant attendu du groupe de DSBM français Bovary. L’album de Moulderyawn, avec son univers entre enchantement et terreur. L’album de Silicose, du BM/punk contestataire français. Il y aura aussi l’album de Na Zarot, du raw BM Allemand. Je viens de signer un groupe ukranien et un autre danois… d’autres suivront…
Remparts Productions « unplugged » va voir le jour cet été afin de permettre aux musiciens des groupes qui ont déjà signé chez Remparts Productions d’exprimer leur art à travers des versions acoustiques de leur musique. C’est une idée qui m’est venue lors d’une conversation avec le guitariste de Eltun. Ce n’est pas un projet à part. Il sera pleinement intégré au catalogue du label.

Est-ce qu’il y a un ou des groupes que tu rêverais de signer ?
Je ne rêve que de ce que je peux avoir… Et c’est déjà beaucoup de travail.

Merci beaucoup pour tes réponses je te laisse le mot de la fin
Dans mon entourage, si certains m’ont encouragée dans la création du label, d’autres ont tenté de m’en dissuader… alors je citerai un philosophe belge : « Si tu le sens pas, le fais pas… » et je rajouterai « mais si tu le sens… fais-le ».
On n’a qu’une vie…

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Chroniques :
Soupirs – Il est d’étranges soirs…
Atra Mors -Morbid Killers – And Others Death in Music
Malauriu – De Natura Obscuratis.
Indre Morke – Mort, Solitude, Isolation.
Eltun – A la Sombra del Pillan