Intervieweuse : Bloodybarbie
Interviewé : Emmanuel Lévy (chant, guitare & paroles)
A l’occasion de la sortie toute fraiche de « L’envers » (http://www.soilchronicles.fr/chroniques/wormfood-lenvers), le nouvel album du célèbre groupe de Black Symphonique/Avant-garde Wormfood, nous avons eu le plaisir d’interviewer la tête pensante et le chanteur du groupe Emmanuel Lévy pour en savoir plus sur leur nouvelle œuvre.
Tout d’abord merci et félicitations pour cet excellent nouvel album, comme d’habitude au top ! On va commencer cette interview par le commencement de Wormfood. Peux-tu me raconter la magnifique histoire de la naissance de Wormfood de la manière la plus originale et glauque possible? Pourquoi ce choix de nom de groupe d’ailleurs?
Le groupe est né en région rouennaise, dans les vapeurs alcoolisées d’un jour de l’an 2000-2001. Romain Yacono (co-fondateur et basse jusqu’en 2009) et moi-même avions quitté nos groupes de Black Metal de l’époque, et nous étions sans projet depuis quelques mois. Nous avions déjà des goûts plutôt anticonformistes et l’envie de créer quelque chose qui irait dans le sens de Type O Negative, Laibach, Samael ou Rammstein, avec une touche de Freaks ou d’Elephant Man. On s’est juste dit, presque comme un gage « Allons-y, montons un groupe ! » Et c’est ainsi que tout a commencé : une semaine après, nous étions en train de composer un tout premier titre, intitulé : « Sceptic Man ». On a continué comme ça pendant quelques mois, puis enregistré une démo 5 titres sous la houlette de Guillaume Pille (qui a plus tard fondé Two Notes Audio Engineering). C’est à partir de là que les choses se sont lancées, car ce premier enregistrement nous a permis de dénicher un batteur : Alexis Damien (plus tard dans Pin-up Went Down et Void Paradigm). Je crois que c’est le choix du nom de groupe qui est le plus sordide dans l’histoire. Je l’ai déniché alors que je feuilletais une collection de photos de superbes femmes… mortes, dans leur cercueil. Cette série était intitulée « Wormfood ». J’ai trouvé que c’était percutant et macabre, et nous l’avons adopté. Plus tard, je me suis aperçu qu’en argot américain, le mot avait une connotation un peu vulgaire qui dénotait avec le côté baroque et décadent du groupe. Je me suis même demandé s’il fallait renommer le groupe, en 2009. J’avais pensé le rebaptiser « Mangevers » ; mais ce sera finalement le titre d’un morceau sur ce nouvel album.
Pas de changement de line-up par rapport au précédent album ?
En dehors de votre serviteur au chant/guitare et paroles, le line-up a intégralement changé entre Posthume et L’Envers. C’est le premier disque que nous enregistrons ensemble.
Pouvez-vous nous résumer l’esprit de «L’envers » (la partie texte) et pourquoi cet intitulé?
L’Envers n’est pas à proprement parler un concept album, mais il présente une succession d’histoires sinistres, mises en musique, avec parfois un narrateur, et surtout une galerie de personnages – de monstres, pour ainsi dire. L’auditeur est constamment pris à partie, « mis au cœur de l’action ». J’aime voir chaque disque de Wormfood comme un voyage sonore : un train fantôme à parcourir avec le casque sur les oreilles, dans le calme de sa chambre, au beau milieu de la nuit… J’ai choisi ce titre car il présentait une grande richesse de sens : envers du décor, inversion, perversion, mais aussi sonorité proche de « L’Enfer ». De même, il y a pour moi un jeu de mot sur « l’an vers », l’année à laquelle Wormfood revient d’entre les morts… Si vous voyez d’autres interprétations, je suis preneur! Je suis sûr que c’est possible.
Si je te demande de le comparer à son prédécesseur (nous en ferons de même dans une chronique, mais il est intéressant d’avoir un point de vue du musicien)…
Posthume était désespéré et intimiste. L’Envers est désespéré… et totalement exubérant! Nous avons renoué avec nos premières amours, des accès de violence et de folie baroque, avec d’imposantes orchestrations, des poussées théâtrales. Et dans le même temps, nous avons poursuivi l’identité revendiquée avec Posthume : le Doom Metal gothique, la noirceur, la maturité des sujets, du chant (pas de grunt) en français, avec des textes plutôt poétiques. Des abominations proférées avec le plus grand raffinement possible. C’est donc un album qui fait la synthèse de toute notre carrière.
Quelques mots sur l’artwork ? Qui en est l’auteur et que vouliez-vous représenter?
L’artwork vient réellement compléter l’expérience du disque, il plante le décor de ces histoires, sur la scène d’un de Palais de Versailles cauchemardesque. La pochette est presque une affiche de film, elle évoque à la fois le titre « Serviteur du Roi », que « Géhenne » ou « Poisonne ». Nous avons opté pour un packaging luxueux, digipack en grand format, avec un livret conséquent qui valorise les textes, et de nombreuses illustrations originales. Cet objet est né de la collaboration entre le photographe Andy Julia et le graphiste Hicham Haddaji de Strychneen Studio : ils se sont tous deux surpassés !
On voit que Pierre Le Pape a contribué à l’album, je croyais qu’il avait quitté le groupe pour se concentrer sur Melted Space ? Est-ce que c’est sa dernière contribution ?
Nous avons vécu de superbes moments en sa compagnie, et ses claviers apportent une belle touche orchestrale, de la profondeur, à l’album. Pierre Le Pape est effectivement très pris par Melted Space, des enregistrements et ses différentes tournées : nous l’en félicitons ! Il sera quand même sur scène avec nous sous la forme de samples orchestraux tirés de l’album, ce qui permettra de restituer L’Envers de la façon la plus fidèle qui soit.
Une nouveauté, on voit aussi quelques titres en anglais ! Envisagez-vous des albums à l’avenir écrits en anglais peut-être pour une plus grande visibilité internationale un de ces jours ?
Il ne faut jamais dire « jamais », mais pour l’instant, je ne prévois pas de faire du Wormfood en anglais ; je me réserve ce petit plaisir sur les albums de mon side project dark électro Erdh (dont le dernier EP, Sideremesis, est d’ailleurs sorti chez Apathia en octobre 2015). L’utilisation du français fait partie intégrante de notre identité musicale ; je crois d’ailleurs que nos auditeurs à l’étranger sont séduits par cette sonorité, « romantique » à leurs oreilles. Le titre auquel tu fais référence, « Gone On The Hoist », se déroule à Brooklyn et regorge de références à des groupes américains ; le choix de l’anglais était donc naturel.
Il y a pratiquement toujours eu un grand écart temporel entre vos albums (5 ans en moyenne), est-ce dû au fait que chacun d’entre vous est sur plusieurs projets musicaux et donc moins le temps d’avancer plus vite (sorties d’albums) pour ce qui est de Wormfood?
Avant son line-up parisien actuel, Wormfood a toujours eu une histoire instable, avec des départs, puis des arrivées de membres, qui ont parfois ralenti le projet, car il fallait relancer le projet à chaque fois, et garder la motivation de faire avancer le groupe. Par ailleurs, la volonté de faire une musique avant-gardiste demande un long temps de réflexion, afin de toujours se réinventer. Pour ce qui est de mon domaine de prédilection, l’écriture des paroles, j’ai besoin d’avoir suffisamment de « vécu » pour piocher des inspirations. Dans le cas précis de L’Envers, s’agissant du retour du groupe après une longue période d’absence, nous avons voulu mettre toutes les chances de notre côté : nous ne nous sommes donc fixé aucune contrainte de temps. Il n’y a que lorsque nous avons signé avec le label que nous avons mis les bouchées doubles sur le mixage. Cela étant dit, avec la nouvelle énergie qui entoure le groupe actuellement, je me suis attelé à la composition du prochain disque et nous allons donc tout faire pour qu’il ne s’écoule pas 5 ans avant le prochain !
Comment se déroule la composition au sein de Wormfood ?
Je propose le socle, intégralement composé à la guitare. Je me filme en train de jouer, puis Renaud Fauconnier retranscrit tout cela sur ordinateur ; nous échangeons ensuite beaucoup pour améliorer ces ébauches, affiner les structures. Chacun crée ensuite ses propres parties instrumentales, ce qui garantit l’apport créatif pour tous. Les orchestrations arrivent en bout de chaîne, souvent en relation avec les paroles (écrites tardivement sur des morceaux presque complets) et le thème des morceaux. Au final, nous obtenons des démos très abouties, et il ne reste plus qu’à partir en studio réenregistrer tous les instruments définitifs. C’est une méthode bien segmentée, qui a fait ses preuves dans notre cas.
Combien de temps vous avez mis pour composer cet album et depuis quand vous travaillez dessus ? Qui est le producteur ? Où a-t-il été enregistré et en combien de temps ?
Le travail a débuté plus ou moins en 2012… Il aura donc fallu environ 4 ans! C’est Axel Wursthorn, membre fondateur de Carnival in Coal et propriétaire du Walnut Groove Studio, qui est le producteur du groupe depuis Jeux d’Enfants. L’enregistrement s’est étalé sur un ou deux ans, avec des périodes de réflexion, des pauses dans le processus. Nous aimons prendre le temps de faire bien les choses. Axel a eu une totale carte blanche sur le mixage et la direction artistique, il a donc apporté lui aussi sa vision et son savoir-faire. Nous le considérons comme un membre du groupe à part entière, et son avis est souvent primordial.
Tu es une fois de plus l’auteur des textes, penses-tu à écrire des romans macabres un de ces jours, à la Stephen King ou Maxime Chattam…? Peut-être que tu aurais autant de succès (rire) D’ailleurs quel est/sont ton/tes écrivain/s préféré/s ?
Oui, j’ai bien écrit les textes. Écrire de la fiction ? J’en ai très sérieusement l’intention. J’ai d’ailleurs un premier roman en chantier depuis quelques années. Sachant qu’il me faut à peu près un an pour écrire les paroles d’un disque, je dirais que d’ici une trentaine d’années, je sortirai un premier ouvrage. Pour mes 70 ans, si tout va bien…
Quant à mes auteurs préférés, cela va de Lewis Caroll à Huysmans, en passant par Lautréamont, Barbey d’Aurévilly, Robert Heinlein, Terry Pratchett, Neil Gaiman, Stephen King… Je dirais que j’ai toujours une préférence pour ceux qui développent un monde imaginaire et flirtent avec le fantastique. Je recherche avant tout l’évasion, dans la lecture.
Est-ce ton côté acteur qui t’as poussé à composer dans le Metal « théâtral »? Et avec tous ces projets musicaux que tu chapeautes, lequel te tient le plus à cœur?
Oui, bien sûr, être acteur me pousse vers cela. On ne demande pas à un parent lequel de ses enfants il préfère ! J’ai la chance d’avoir suffisamment de projets différents pour ne jamais me lasser, et être en perpétuel mouvement. Le second album d’Erdh arrive, ce sera un nouveau challenge dans un univers futuriste, et par ailleurs je souhaite mettre les bouchées doubles pour sortir l’album de The Lovotics, mon projet 100% pop, avec Axel Wursthorn. Un peu de légèreté entre deux recueils macabres!
Quelle était la partie la plus difficile pour vous concernant cet album?
L’écriture des paroles, qui est toujours pour moi une traversée en solitaire : interminable et angoissante. Sans aucune assurance d’arriver à bonne destination.
Quelle est ta fabuleuse histoire avec la musique, le Metal…?
Mon amitié avec Axel Wursthorn (Carnival in Coal, Walnut Groove Studio), qui a été déterminante dans ma carrière musicale et ma vie personnelle. Je pense que dans 40 ans, nous serons encore assis dans son studio à explorer de nouvelles formes musicales, en riant des mêmes imitations et blagues sonores. Ensuite, la collaboration avec les différents musiciens qui ont apporté leurs talents et leurs univers à Wormfood. Récemment, ma rencontre avec Paul Bento (Carnivore, Type O Negative) et d’incroyables souvenirs à Brooklyn, une sorte de pèlerinage sur les traces de mes idoles, sur fond de New Age et de musique indienne!
Avez-vous des clips bien macabres en préparation ?
Oui ! Il s’agira d’ailleurs du premier clip de notre carrière, l’équipe de tournage a été déjà constituée par la réalisatrice, le script est finalisé, et nous communiquerons prochainement là-dessus. Attendez-vous à un vrai court-métrage, qui prolongera le sombre plaisir de l’album.
Une tournée de prévue ?
Nous avons repris les répétitions depuis plusieurs mois, et je peux dire que nous quasiment prêts à nous produire. De premières dates sont en négociation en France, et je souhaite faire un concert spécial à Paris pour « baptiser » en live les nouveaux titres, entourés de nos amis et auditeurs fidèles.
Quel était jusqu’à présent le disque qui a eu le plus de succès ?
Aucun. Il y a toujours eu un fossé entre succès critique (et nous avons la chance d’avoir toujours été bien accueillis par les médias) et succès commercial. France semble être une sorte d’album-culte, qui a marqué les esprits en son temps. Posthume est sorti dans des conditions trop tourmentées pour avoir une réelle visibilité – peut-être les auditeurs vont le redécouvrir avec la sortie de notre nouvel album. Nous avons tout mis en œuvre pour passer un cap avec L’Envers, à tous les niveaux. J’espère que cette stratégie va être payante et permettre à Wormfood de se développer davantage.
Quel est le concert qui t’a marqué le plus ?
Chaque concert est unique ; je les vis un peu en « pilotage automatique », dans une sorte de transe. Cela dit, je me souviens d’une date avec Ultra Vomit à Rouen, totalement démentielle, à l’Emporium Galorium. La salle était en surcapacité totale : à chaque pogo, tous les baffles menaçaient de s’effondrer sur le public. Les murs en pierre ruisselaient de la sueur dégagée par tout ce petit monde surexcité, et nos instruments étaient couverts de condensation. C’était vraiment incroyable – et inconscient.
Si tu devais choisir trois représentants de la scène metal française actuelle, qui désignerez-vous ?
Par pur copinage et estime pour leurs démarches, disons : The CNK, Herrschaft et Soror Dolorosa (qui est plus goth que metal).
Il y a eu beaucoup de changement de label pour la release de vos albums, chaque album était signé par un label différent, y-a-t-il une raison particulière ? Comment vous sentez-vous désormais avec Apathia ? Peut-être le label de vos rêves ?
Pas tant de labels que ça. En réalité, les deux seuls « vrais » labels furent Code 666 pour France et Apathia Records pour Décade(nt) et L’Envers. Nous avons des relations très cordiales avec notre label actuel, et ils ont fait le maximum pour cette sortie. Voyons où nous emmène cette collaboration.
Avez-vous déjà fait des tournées européennes et si oui avec qui ?
Nous avons fait plutôt des mini-tournées, ou des dates ponctuelles, notamment en Hollande et en République Tchèque. Nous avions joué avec Ataraxie, Officium Triste, Monarque, Rossomahar…
Quelle est la position de Wormfood à l’heure actuelle ? Qu’espérez-vous/attendez-vous de l’avenir vous concernant ?
Nous continuons à être un objet sonore non identifié. Nous ne laissons pas les auditeurs indifférents, et c’est bien tout ce qui compte à mes yeux. J’espère que notre travail acharné sera reconnu, et que nous continuerons à faire avancer notre projet, à le développer en live comme sur album sans se répéter ou perdre le « feu sacré ». Et ne soyons pas naïfs : j’espère que nous allons vendre beaucoup d’albums, car c’est ce qui permet de continuer à enregistrer de nouveaux disques et les promouvoir dans de bonnes conditions.
Est-ce que l’un des membres de Wormfood vit de la musique (en tant que job à plein temps) ? Et sinon, quelle est la profession des membres en dehors de la musique ?
Nous vivons tous de la musique ou d’une activité artistique. Je partage mon activité entre le métier d’acteur, l’écriture, et la création de musiques originales sur des projets audiovisuels. Certains d’entre nous enseignent la musique.
Enfin que pense-tu de la scène metal française ? Et de ton point de vue, comment vous auriez aimé qu’elle soit ou qu’elle devienne ?
Tu vois, nous sommes restés en retrait pendant longtemps, et je dois avouer que je suis sans doute passé à côté de plein de nouveaux groupes talentueux. J’ai l’impression que la scène française est plus diversifiée que jamais.
Je te laisse terminer avec une citation, une phrase ou trois mots qui résument votre album.
« NEC PLVRIBVS IMPAR »
Merci encore pour cette interview et bonne continuation !
1 Commentaire sur “Wormfood”
Posté: 23rd Mai 2016 vers 2 h 47 min
[…] P.S : Si vous voulez en savoir plus sur le groupe et l’album, voici une interview complète d’Emmanuel Lévy: http://www.soilchronicles.fr/interviews/wormfood2016 […]
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