AmenRa + Crown (Villeurbanne, Le CCO, 18 avril 2022) ...
Photos + report : Cassie Di Carmilla
Ce soir, à la lueur crépusculaire, je me faufile entre les ronces et la brume épaisse guidée par le bruit des vagues de delay. Ce soir, 18 avril 2022, c’est le concert AmenRa / Crown au CCO (Villeurbanne) organisé par Sounds Like Hell Productions (que je remercie pour l’accréditation), en accord avec Garmonbozia Inc.
Accueillie par le gigantesque stand de merch d’AmenRa, je pénètre dans une salle déjà bien embrumée. C’est dans ce clair-obscur que Crown fait son entrée sur scène.
Nous retrouvons le groupe alsacien sur scène un an après la sortie de son troisième album (‘The End of All Things’ sorti le 16 avril 2021 chez Pelagic Records). Comme le nom de l’opus le laisse présager, le groupe n’est pas fantaisiste et, c’est dans une ambiance glaciale que le quartet entre en scène. Les guitares tranchantes et plaintives font des percées ombrageuses dans la fumée tandis que les percussions viennent se heurter aux arrangements éléctro / indus dans une frappe percutante aussi précise que la sphère d’une goutte de pluie dans un océan musical. Le pied du micro vacille entre les mains de Stéphane Azam sous le tempo lent et lourd d’une musique Sludge émouvante. Il saisit le micro de sa voix claire pour se joindre aux cordes tourmentées dans une étreinte bouleversante. Le chant s’écorche sur quelques envolées rugueuses, hurlant de désarroi les pensées d’un monde dénaturé qui tournoient sur des boucles sonores magnétiques – ou la cocasserie d’une vision pessimiste sur l’état de la Planète sur fond de musique industrielle.
Cependant, même si l’œuvre de Crown est sombre et oppressante, je n’y perçois pas une volonté de contempler la terre partir en fumée mais bien celle de la voir s’illuminer – une éclaircie : imaginer l’humanité évoluer, portée par l’apaisement du chant clair ou le cri de cœur et de la dynamique des arrangements électroniques de ce Post-Metal.
Un nuage orageux plane toutefois au-dessus de la scène. La production de l’album ‘The End of All Things’ faisant ressortir toutes les nuances de la richesse musicale de Crown, j’ai donc été déçue de ne pas les retrouver en live en raison de la qualité sonore et du micro chant qui, bien trop en retrait, se fondait dans les effets des guitares. Une prestation toutefois à saluer, sachant qu’elle était la première de leur nouveau comparse guitariste.
Le set se termine. Ce que je pensais être un orage émotionnel n’était en réalité qu’une averse annonçant la tempête qui allait poindre sur scène. Alors, dans la pesanteur atmosphérique, j’avance dans la brume avec cette boule d’impatience qui remonte jusqu’au nœud d’émoi resté coincé dans ma gorge. C’est un chemin sinueusement cathartique parsemé de branchages écorchant l’âme et hachant les silhouettes des musiciens d’AmenRa.
AmenRa fait partie du collectif Church of Ra avec Wiegedood, Oathbreaker, Hessian, The Black Heart Rebellion, Dehn Sora, Kingdom et bien d’autres artistes. Ce projet comptabilise six EP, treize splits (dont le dernier avec Cave In et Marina Nadler est sorti en avril dernier) et un sixième album, paru en janvier de cette année, qui n’est autre que la version 2 de ‘De Dorn’ de 2021 : une expérience musicale dans sa langue natale. Fort de ce bagage musical, le quintet l’emporte avec lui de ses Flandres originelles jusqu’à ce concert. Mais qu’importe le lieu ou l’instant dans la carrière du groupe, l’office reste inchangé : lumières en contre-jour et fumée abondante, chanteur dos tourné au public et projections sur le mur. Cette ambiance intimiste et calfeutrée est d’ailleurs renforcée par des moyens accrus à chaque tournée.
Je trouve qu’il y a un côté voyeuriste à assister à un concert d’AmenRa. Je tente de distinguer les musiciens au travers des ombres portées par les vidéos projetées sur le fond de scène. Elles procurent le sentiment d’observer un spectacle malsain, cachée dans un bosquet. Tapie dans l’ombre de la fosse, je tente de distinguer le visage du chanteur à la voix écorchée, entre les ombres des ronces et le brouillard de la fumée. Je vous laisse donc imaginer cette satisfaction perverse lorsqu’il finit par nous faire face, un court instant ! D’ardeur, le linceul en forme de t-shirt du pionnier fini par céder, dévoilant ainsi la potence de l’Eglise de Ra encré en full back.
Le chant clair de Colin H. Van Eeckhout, sur des titres comme ‘Plus Près De Toi’ (issu de l’album Mass VI) prend des airs frêles et naïfs avant de s’animer à nouveau dans des élans plaintifs et éraillés au bord des sanglots de douleur. La voix secondaire du bassiste vient parfois s’imposer sur ce set à tel point qu’il en efface le chant lead.
Deux tuyaux de métal l’un contre l’autre : quelques frappes régulières entame le concert. La batterie est présente mais ce sont surtout les cordes qui servent la musique des flamands. Entre mélodies mélancoliques et riffs agressifs, les émotions s’alternent durant la prestation. Un façonnage brut de cet assemblage d’instruments consolide la nervosité de la musique.
Comme un orage qui craque sous une pression atmosphérique lourde, ce concert est un soulagement après cette ère d’aridité événementielle. Des larmes bienfaitrices qui arrosent vainement de mauvaises herbes et concluent le concert par ces mots projetés : ‘peu à peu ces fleurs tomberont, il ne restera que les épines’… La messe est dite.
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