Photos + Report : Mitch

Amenra au Tattoo Planetarium / Mondial du Tatouage, annoncé quelques semaines avant l’évènement, ce n’est pas le choix le plus « grand public » ! Les précédentes éditions avaient proposé des Mass Hysteria ou des Ultra Vomit, c’était autrement plus rassembleur (racoleur ?) que ce difficile groupe Flamand de post metal, à l’instar de Hangman’s Chair qui s’y produira également le samedi soir !

Cette édition 2024 sera sombre ou ne sera pas, et nous n’allons pas nous en plaindre ! 30€ pour une journée à la grand-messe du tatouage mondial, c’est bien, mais 30€ avec un de vos groupes préférés qui vient se greffer à l’affiche, c’est encore mieux !

Nous le disions en ouverture, Tattoo Planetarium ? Mondial du Tatouage ? On en sait plus trop comment nommer cet évènement. Créé par le médiatique Tin-Tin (tatoueur et fondateur du SNAT, syndicat qui fédère les artistes tatoueurs), le Mondial se déroule depuis 2014, sur trois jours, à la Grande Halle de la Villette, magnifiques anciens abattoirs composés de structures en charpentes métalliques, 18 000 m2 modulables sur un parterre et des balustrades. Suite aux annulations des éditions des années Covid, l’organisation a périclité et fait faillite, une embrouille avec un ancien associé a ralenti les remboursements des préventes, et une très lourde ardoise a un temps été évoquée… Qu’à cela ne tienne, Tin-Tin est revenu dès 2023 sous un autre nom, Tattoo Planetarium, avec un concept identique (même lieu, même jury…), mais avec une fréquentation moindre, peut-être à cause de ce nouveau nom moins reconnu. Puis, à partir de fin 2023, le nom de « Mondial du Tatouage » a recommencé à être accolé à « Tattoo Planetarium », sans qu’une véritable explication officielle ne soit donnée… C’est dommage, on ne sait jamais vraiment si on doit louer les talents d’organisateur et la ténacité du patron, le remercier de tout ce qu’il a fait pour la profession. Ou blâmer ce « parrain » roublard à l’attitude blasée (lunettes noires et bas de survêtement élimé en ce vendredi), qui parade avec ses amis du jury (quasiment toujours les mêmes d’une année sur l’autre, bravo la diversité artistique !)…

Ceci étant dit, force est de constater que l’évènement est une pleine réussite pour les amateurs d’encre, une fois de plus. Plus de 500 tatoueurs du monde entier réunis en un lieu unique, la possibilité de se faire piquer par des artistes de très, très haut niveau. La plupart fonctionnent avec une prise de rendez-vous préalable, certains avec des flashs au tout venant (dessins à saisir, préparés en amont), d’autres encore sont des bêtes de concours et s’activent pour sortir une pièce destinée à emporter un prix : on a ainsi pu admirer des collaborations incroyables à six mains (un dos par Michaël Taguet, Hugo Feist et Bradley Tattoo) , ou à quatre mains sur une jambe complète (Carolina Caos Avalle et Stefano Galati, troisième prix au « Best of Show »). Feuilleter le book d’un artiste, choper quelques cartes de visite pour un futur projet, regarder les créations apparaître sous ses yeux sur la peau des clients, assister au défilé des candidats lors des concours thématiques, boire un coup en complétant sa collection de bonnets de la marque Crève, voilà de quoi s’occuper jusqu’au concert de 21h30. Pour ce qui est des concours, notons que le maître de cérémonie était, cette année, le rappeur Gérard Baste (du groupe Svinkels, passé au Hellfest 2023) d’un niveau général bien supérieur aux animateurs des années précédentes : Alexandre Devoise avait du bagout mais aucune connaissance en tatouage, les travestis des années suivantes ajoutaient, à cette lacune, une maladresse et une improvisation gênantes, ainsi qu’une culture générale défaillantes (« la candidate nous vient de Besançon, c’est une Bretonne ! », je n’ai plus la ville exacte en tête, mais c’était tout comme !). Au moins, Gérard Baste sait de quoi il parle, il fait preuve d’un intérêt non feint envers les candidats et rythme le défilé des œuvres de façon satisfaisante (mis à part une « balle perdue », « ton artiste est Roumain ? Ils ne sont donc pas tous dans le métro ? »).

Et Amenra, dans tout cela ? Ces multi-tatoués et adeptes de modifications corporelles (voir les impressionnantes vidéos de suspensions en plein concert du chanteur Colin H. van Eeckhout qui traînent sur YouTube !) ?  La présence des tatoueurs et du public les a amenés à faire leurs balances dès le jeudi. Ainsi, entre temps, le groupe a pu faire un peu de tourisme et visiter les catacombes de Paris (vous pensiez les croiser faire des emplettes dans les grand magasins ?!). De belles photos en noir et blanc, prises par le guitariste Mathieu J. Vandekerckhove, en ont été relayées sur Instagram. Tout au long de la journée, j’ai eu l’occasion de croiser, visitant la convention, Mathieu J. Vandekerckhove, puis le batteur Bjorn Lebon, trop ténébreux et intimidants pour que j’ose les déranger. Puis, au détour d’une allée, le bassiste Tim de Gieter, installé en train de se faire encrer le mollet par un tatoueur américain. Lui m’a souri, voyant mon t-shirt Amenra ! « Ce sera fini pour le concert ? », « J’espère, sinon il montera le finir avec moi sur scène ! », « Ah oui, il y a eu une performance artistique comme cela, avec les instruments d’un groupe branchés sur des machines à tatouer qui piquent un type aléatoirement en fonction des variations de la musique ! Allez, bon courage, à ce soir ! », « Merci, à tantôt ! », avec un délicieux accent belge ! Ils sont finalement peut-être plus chaleureux que leur dure image scénique ! J’aurai également un accueil très chaleureux sur leur stand de merch, tenu toute la journée (et pris d’assaut après le concert !) par leur manager, et leur merch guy historique Filip : « on peut parler in english, en français, en flamand, en brésilien, en arabe, comme tu veux ! ». Après dix bonnes minutes de discussion, il m’offrira plein d’autocollants, tiendra à échanger nos prénoms et à faire un selfie ensemble, vraiment sympa !

Le concert est annoncé à 21h30, après les trois concours de la journée, et alors que la plupart des tatoueurs, à l’œuvre depuis la fin de matinée, ont rangé leurs machines et commencent à se détendre ou à se restaurer dans la cour des foodtrucks. La fosse se remplit de fans concentrés, tenues noires, capuches, bonnets, pas mal de vêtements Amenra, la messe noire est annoncée. 20h15, depuis les premiers rangs, on aperçoit les musiciens monter sur le côté de la scène, accorder leurs guitares, quelques inquiétants cris stridents d’échauffement de Colin nous parviennent et commencent à installer le malaise. 20h26, fumée dense sur la scène, musique d’ambiance, la tension monte. Le groupe avait annoncé ajouter plusieurs titres à sa setlist, et en effet, « Dearborn and Buried » (« Mass V« ) déboule sans préavis, quelques accords en son clair, un premier coup de grosse caisse qui nous défonce le buffet, et c’est parti pour neuf minutes de chant déchirant et d’un sludge à la lenteur et à la pesanteur réellement impressionnantes. Bonne surprise pour une convention de tatouage, le son est puissant et excellent, depuis les premiers rangs, on se prend en pleine face un son de basse saturé monstrueux, sorti d’un gros « frigo » Ampeg 8×10. Peu diminué par son tatouage tout frais, le bassiste Tim de Gieter, qui est pourtant le dernier arrivé dans la formation (2020, à la place de Levy Seynaeve, Wiegedood), est le plus remuant, il vit littéralement sa musique, attaque ses cordes à fond et agite son interminable carcasse ; avec son crâne rasé – tatoué, sa moustache de serial killer et ses chœurs hurlés, il est le « négatif » du gars charmant croisé dans l’après-midi. « Plus Près De Toi » arrive ensuite, merveille de voyage tout en contrastes, avec sa douce voix qui chuchote la poésie « Je te cherche toujours, Je te cherche partout, Bien à vous, Et dans mon cœur j’emporterai, La solitude, Et en revenant je n’ai jamais cru qu’en silence je t’avais perdu, Et la désespérance », avant un final d’une dramaturgie rare. « Razoreater » (« Mass IIII« ) illustre également la capacité des flamands à naviguer entre douces mélodies à tomber et enclumes délivrées à 70 BPM.

A l’occasion d’un bref emballement du tempo, un spectateur en furie déboule dans le pit, bousculant tout le monde, faisant voler quelques pintes de bière, désireux de pogoter avec… eh bien avec personne ! Un concert d’Amenra, c’est du recueillement, de la transe, c’est la musique du désespoir, c’est de l’introspection, c’est un mur de son, c’est une masse de spectateurs qui se balancent tels une vague, c’est un barbu transfiguré qui joint les mains pendant un moment de grâce, c’est un gars bien propre sur lui qui rayonne au sortir d’une partie pachydermique ! Paradoxalement, la douleur exprimée par les hurlements de Colin et sa gestuelle crucifiée (dos au public), la tristesse minimaliste des délicats arpèges, la misère exprimée par les projections en noir et blanc, et la violence des murs de son permet, à qui a la chance de se laisser « partir », de sortir comme extatique et « lavé » d’une telle expérience. Les détracteurs d’Amenra prétendent que c’est toujours pareil, une simple succession de moments de quasi silence et de déflagrations sonores. Pourtant, après une nécessaire initiation, on peut comprendre l’habileté des progressions, l’efficacité des contrastes, la poésie sombre, la maîtrise des temps faibles et des temps forts par les cinq belges. Tout est fait pour exceller dans les deux registres, douceur et violence. Chaque musiciens a deux facettes, Tim le bassiste qui joue aux doigts délicatement ou au médiator de tout son corps ; les guitaristes, avec une double amplification, petit combo Fender pour les sons clairs, énorme tête d’ampli basse Ampeg et baffle Mesa Boogie de metal pour les saturations ; Colin, le chanteur, capable de susurrer avec une voix très personnelle ou de cris stridents ; et Bjorn, le batteur, qui caresse ses cymbales délicatement ou enfonce ses fûts au fond du temps, profond dans le sol.

Une fois de plus, le moment fort du concert sera « A Solitary Reign », résumé parfait des qualités citées plus haut, de son gimmick mélodique entêtant à ses largages de troupeaux d’éléphants sur une foule dense.

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Est-ce que j’ai aimé ? D’après vous ?! 😊 Pour ce sixième concert d’Amenra, je suis peut-être moins « parti » qu’au dernier Hellfest ou qu’aux derniers concerts à Lyon, étant, pour une fois, plus dans l’analyse du rôle de chacun, à la recherche de la « recette » Amenra poste par poste, que dans du ressenti pur de l’entité dans son ensemble. Ca ne se commande pas, c’est une musique viscérale et exigeante, le petit plus « magique » n’intervient pas systématiquement. Mais cette heure et quart de communion aura distillé du plaisir plusieurs jours durant, comme s’il y avait un effet retard suite au partage d’une telle expérience. En tout cas, mission remplie pour Amenra, l’assistance était présente, attentive et enthousiaste, certains passants non aguerris ont juste dû se demander ce qu’il se passait ! Souhaitons à Hangman’s Chair d’avoir fait aussi bien le samedi (je n’ai malheureusement pas eu d’échos de cette prestation).