Line-up sur cet Album
Pia Isaksen : Basse, Chant, Compositions. Guests : Ole Teigen : Batterie / Gary Arce : Guitares
Style:
Doom Metal / StonerDate de sortie:
25 mars 2022Label:
Argonauta RecordsNote du SoilChroniqueur (Quantum) : 9.5/10
« La morale est un talent de société. » Rémy de Gourmont
L’image de la femme dans la musique metal. J’ai par moment l’impression que c’est un débat sans fin, que le metal est gangréné par des usurpateurs de bonne conscience qui profitent de faire épandage des réseaux sociaux pour se livrer aux pires turpitudes. Loin de moi l’idée de me faire le défenseur des causes les plus féministes mais je me dois d’admettre que notre communauté a encore pas mal de route à faire avant d’atteindre l’exacte égalité entre les sexes. J’ai malheureusement souvent remarqué, encore ces derniers jours avec le Hellfest qui était le thème central sur les réseaux sociaux, de nombreux commentaires où il était question de comparer non pas la meilleure chanteuse entre Epica, Nightwish et j’en passe mais la plus jolie sur scène… Alors, je veux bien que l’on soit des hommes et que l’on souffre de quelques faiblesses libidineuses mais tout de même. Ne pourrait-on pas considérer les frontwomen comme autrement que de simples poupées d’exposition ? Il en va de même d’ailleurs aussi de certains groupes qui « exhibent » leurs chanteuses comme l’attraction sexy sur les photographies de promotion. C’est juste difficile à digérer pour moi qui essaye de faire des chroniques et qui tentent de garder un regard neutre sur les situations de ces réseaux sociaux qui ne sont qu’épandages de propos misogynes et grossiers. Après, je parle spécifiquement des chanteuses parce que c’est selon moi l’exemple le plus évident que je pouvais trouver étant donné que ces dernières sont les plus exposées à la population, mais alors quand il s’agit de parler d’instrumentalistes féminines, c’est encore pire ! Parce qu’elles sont très souvent snobées. Et pourtant, les Dieux savent que des musiciennes extrêmement talentueuses, il y en a énormément. Et je ne comprends vraiment pas pourquoi, quand je lis des reports de concerts de certains autres webzines, on ne voit pas d’apologie de la technique instrumentale, du charisme autre que quand il s’agit d’évoquer les poitrines gonflées par les corsets et j’en passe, etc. Pour moi, je suis désolé, mais ce manque de considération concrète à l’égard de la gent féminine est un réel problème. Aussi, j’espère qu’avec cette chronique, je mettrai un peu plus en lumière l’artiste derrière le projet de Pia Isa autrement que pour sa beauté. Parlons donc de l’album « Distorted Chants« .
Pia Isa est le diminutif d’une musicienne norvégienne nommée Pia Isaksen et qui officie dans le groupe de doom heavy metal Superlynx. Je ne sais pas si vous connaissez, pour ma part c’est non. Je n’avais jamais entendu parler ni de l’artiste qui est officiellement bassiste et chanteuse, ni de son groupe. En revanche, ce premier album solo intitulé donc « Distorted Chants » est une petite attraction en lui-même. D’abord parce qu’il sort directement chez ce label que j’apprécie tant et qui est Argonauta Records. Ensuite parce que sur l’album, outre Ole Teigen qui joue dans le même groupe qu’elle et qui fait les parties de batterie sur cet album, est aussi présente en invitée à la guitare Gary Arce qui joue entre autres dans Yawning Man que j’avais déjà fait en chronique en des termes forts élogieux. C’est pour ce genre de surprises que j’aime vous faire un bref rappel biographique, parce que comme cela, vous vivez mes aventures de petits amateurs de musique qui trépigne devant son écran comme une pustule au salon du staphylocoque doré (paraphrasé auprès de mon Big Mamamouchi de la Dent de Crolles Metalfreak). Pour le reste, hormis les termes emphatiques habituels et fort peu authentiques, je n’ai pas d’autres choses à vous faire croustiller sous la dent pour cette bio. On passe donc directement à l’entrée sans passer par l’apéritif, ce qui avec ces fortes chaleurs aurait été de bon aloi ! Mais tant pis !
J’aime bien l’idée de distorsion qui est reprise par la pochette. On voit que l’image floue renvoie un côté en mouvement qui est étonnant, mais tout à fait raccord avec d’abord le nom de l’album qui est, je le rappelle, « Distorted Chants« , et ensuite par le style musical qui requiert de très fortes distorsions dans les cordes. Donc, dans un premier lieu, j’aime bien cette idée de mouvement que procure l’artwork. Pia Isa se dote également d’une curieuse image d’éclipse qui reflète le prisme de couleurs, et cela, au-delà de l’originalité de l’image, c’est le contraste, la dualité qu’offre ce jeu de couleurs simpliste mais ô combien contrastant avec l’image en noir et blanc autour qui, au passage, est une photographie d’un horizon marin avec un ciel chargé en nuages noirs. On pourrait trouver tout un tas de symboles derrière cette photographie, puisque l’horizon est sujet parfois à clichés en tout genre, mais dans le cas de l’album, je ne crois pas que ce soit l’aspect visuel le plus primordial. Je crois qu’il faut sincèrement se raccrocher à l’effet de l’image plus qu’au style qui dans un autre contexte serait relativement banal. Parce qu’on ne le dit pas souvent, et ce sera le sujet de ma prochaine introduction à deux balles, mais la mise en perspective du mouvement qu’occasionne la musique sur nous et le monde qui nous entoure est infinie. Voilà donc une idée particulièrement prenante et intéressante pour le premier album de Pia Isa. Franchement, je trouve l’artwork de fort bon propos si on le ramène au procédé musical qui maquille cet album, on y reviendra tout de suite après comme cela vous comprendrez le lien étroit qui anime image et musique ici pour « Distorted Chants« , et je ne manque pas de dire qu’au-delà de l’apparente simplicité, il y a pour une fois tout un tas de symboles potentiels qui me laissent en pâmoison. Très bon choix, très intelligent et mature ! Je valide.
Ce premier album est une expérience sonore étonnante et, je dois bien le reconnaître, extrêmement belle. Pour le genre, étant donné que Superlynx officie dans le doom heavy metal, on devinerait facilement que notre amie Pia Isa perpétue ce style de musique qu’elle semble maitriser, sinon chérir. Et on est effectivement bien dedans ! Avec toutefois une nuance importante : si on occulte les procédés pompeux qui consistent à coller des styles aussi incongrus sinon absents les uns par rapport aux autres, on ne peut pas oublier les références assumées de notre artiste norvégienne qui cite : Chelsea Wolfe, Sun O))), Deafheaven, Anna Von Hausswolff, My Bloody Valentine, Electric Wizard, Zola Jesus, Boris, Slowdive, Karin Park, Alcest, Dead Can Dance, Esben And The Witch et Emma Ruth Rudle. Bon ! Autant vous le dire tout de suite, il n’y a pas tout qui est visible sur « Distorted Chants » et, j’allais dire, heureusement. Cela vous donne néanmoins une petite idée de ce vers quoi tend la musique de Pia Isa. On a un doom metal avec un son typiquement stoner, les riffs étant plus sur une sorte de doom heavy bien lourd voire toutefois un peu de stoner, on sent poindre par moment quelques relents de desert rock mais c’est à peu près tout. Je ne vois pas tellement en quoi cet album sent bon le drone metal, ou le shoegaze, ou le post-black metal… Par contre ! Et j’insiste. La musique est absolument superbe. Le doom metal, et peu importe les colorations qu’on lui donne, a au moins le mérite de faire dans le minimalisme et la lenteur extrême, le tout sur des pistes qui sont courtes pour le style, offrant donc peu de répit et moins d’effets de somnolence que si les morceaux duraient trente minutes, et c’est un vrai plus. Notre artiste s’offre également le luxe, puisque c’est son bébé, de rajouter quelques petits samples ou quelques soli bienvenus, le tout pour appuyer les riffs qui tournent en boucle, que ce soit à la guitare ou à la basse. D’ailleurs, la basse est THE instrument de cet album. Véritable pièce maitresse de la composition, donnant un son très rebondi typiquement stoner puisque les riffs sont bien rock au lieu du sludge où les riffs sont tout l’inverse. Bien évidemment, le chant féminin rajoute une touche personnelle et féminine qui contraste de manière saisissante mais surprenante avec les riffs très masculins si j’ose dire. L’album « Distorted Chants » est en tout cas un CD pour lequel le doom metal joue une de ces plus belles partitions. J’ai toujours eu un faible pour le doom minimaliste car on ne sait jamais avec quoi les groupes édulcorent le fait que les mélodies tournent tout le temps, et c’est toujours l’effet Kinder Surprise : on sait qu’on va avoir un tube jaune foncé, mais on ne sait pas ce qu’il y aura dedans. Dans le cas de Pia Isa, on sent qu’outre cet aspect de fort bon aloi, il y a quand-même une part apportée à l’onirisme et à la lourdeur oppressante qui requiert une technicité instrumentale importante, ne serait-ce que pour tenir un tempo aussi lent, et force m’est de constater que je me suis retrouvé pantois d’admiration devant le talent de cette musicienne. C’est incontestablement une excellente instrumentaliste ! Et c’est sur une note extrêmement positive pour ne pas dire extatique que je clos ce premier paragraphe, reflet d’une première écoute validée et qui frôlerait l’effet coup de foudre. Une excellente surprise !
L’autre gros point fort, et non des moindres, se situe sur la production de ce premier album. Avec le label dûment cité, on ne sait jamais sur quoi on va tomber. Autant j’ai eu des albums superbes, autant des albums plus normaux dirons-nous, autant de vraies purges. Je pense que le choix des CDs est assez intuitif chez le label italien. Mais la catégorie de « Distorted Chants » est indubitablement celle des albums ayant une production impeccable. Comme je l’énonçais plus haut, la basse joue un rôle exceptionnel et se pare donc d’une sonorisation exceptionnelle. Avec un son rebondi, typique du genre stoner et / ou sludge, cela donne une approche plus rock et plus mélodique encore que si le doom metal était au minimalisme le plus morfondu. La batterie manque néanmoins selon moi un peu de pêche surtout sur les toms et la caisse claire qui est un peu trop faible pour moi. Là où les guitares sont en revanche bien sonorisées, en prenant soin de ne pas trop intervenir pour camoufler la basse, et je trouve ce procédé fort intéressant là encore. Cela change en tout cas des sorties récentes ! On dirait même que Pia Isa tente de conserver une part old school tout en conservant un son moderne, propre et net, ce qui constitue, je trouve une démarche non seulement audacieuse, mais en plus foncièrement réussie et qui m’évoque Triptykon ! En tout cas, je ne trouve pas tellement à redire sur cette production qui sonne comme l’une des plus propres que j’ai pu entendre jusqu’à présent dans le roster du label. « Distorted Chants » est, on le rappelle, le premier album seulement de Pia Isa qui n’en demeure pas moins une artiste d’expérience et qui sait pertinemment ce qu’elle veut. Rien que pour cela, il faut l’écouter.
Mais il serait réducteur de conseiller d’écouter « Distorted Chants » rien que pour la propreté du son. Cet album, c’est une vraie poésie. Le pouvoir du doom metal est d’avoir suffisamment de langueur pour offrir des moments planants et lointains, avec cette touche de féminité dans le chant qui comme je disais, contraste de manière métaphorique avec le côté masculin et viril du stoner. Cet album s’écoute vraiment bien, avec une fluidité limpide et un mélange de différentes émotions qui ne laisse pas indifférent. On est pris aux tripes et on se laisse envahir par un flot d’émotions contraires, perdus que nous sommes dans les méandres musicaux des instrumentations de l’album. On pourrait même parler d’hypnose. Ce qui frappe justement, c’est ce côté variant sur l’album puisque les morceaux ne sont pas réellement sur la même thématique générale. On sent qu’il s’agit d’un album en forme de recueil que d’un album concept pur. Et pour une fois j’ai envie de dire, j’adore ! Au moins, Pia Isa joue clairement le jeu de la différence et de l’illogisme pour jongler sur différents aspects de sa musique, et cela je trouve que c’est très positif. Vous l’aurez compris donc, l’album me sied beaucoup. J’aime ce que véhicule cette artiste de grand talent, et je trouve son projet solo un peu perfectible par moment, mais globalement maitrisé, mature et très bien composé. Il me tarde déjà d’avoir le prochain.
Et on ne pouvait pas finir cette chronique dithyrambique sans parler du chant qui ne sera pas l’exception négative du tout, bien au contraire ! Je louais la perspective d’avoir un chant féminin très calme, doux et un peu romantique par moment, sur du gros stoner bien lent et un doom metal rebondi comme jamais. Et je n’ai pas été déçu, loin de là. Le contraste est étonnant et fait mouche absolument, pour un résultat magnifique. La voix est belle, franchement ! Quelques moments sont un peu plus puissants et me font penser à Blod, mais je retrouve surtout cette lenteur vocale qui permet quelques étendues langoureuses, et j’aime vraiment ce tout. Maintenant, j’aurais aimé secrètement quelques moments plus rock mais cela reste un résultat plus que beau. On plane littéralement avec la voix de Pia Isa qui non seulement est une instrumentaliste géniale, mais en plus une chanteuse de renom. Alors, what else ?
En conclusion, je présentais sous vos yeux de lecteurs et lectrices ébahis le premier album du projet solo de Pia Isaksen, qui s’appelle sobrement Pia Isa. L’album « Distorted Chants » est un concentré de ce que notre musicienne norvégienne aime, et les influences ne manquent pas. Certaines sont présentes, d’autres non, mais on sent que le doom metal proposé se situe sur une accentuation stoner marquée, avec peut-être aussi quelques délires heavy de fort bel effet, pour un résultat absolument bluffant. Un album incroyablement bien mené, sur une composition intelligente et qui permet d’avoir un large panel d’atmosphères différentes, ce dernier fonctionnant comme un recueil de compositions. L’expérimentation n’est pas totalement immersive, mais on a un album qui fleure bon le minimalisme, avec cette virilité musicale qui tranche avec la voix féminine pleine de charme de notre amie, et le résultat vaut que pour un premier album, c’est déjà un grand album. Pour un futur grand projet artistique ? Sûrement ! En tout cas, c’est à savourer sans concession ni excuse. Bravo !
Tracklist :
1. Follow the Sun 04:17
2. Statistics 04:56
3. Quiet Beach 04:04
4. Trauma 03:45
5. Sleepless 03:31
6. A hopeful reminder 02:43
7. No Straight Line 03:12
8. Mantra 03:09
9. Every Tree 03:48
10. Velvet Dreams 03:20
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