Line-up sur cet Album
- M.S : composition
- G. : composition
Style:
Drone Metal / Funeral Doom MetalDate de sortie:
01 septembre 2022Label:
Dying Sun RecordsNote du SoilChroniqueur (Quantum) : 9.5/10
“On est gai le matin, on est pendu le soir.” Voltaire
Strangulation est un groupe qui, non content d’adopter un nom aussi mystérieux que macabre, est surtout rempli de zones d’ombres. Pratiquement aucune information n’a circulé sur la sortie de son premier album, et il m’a fallu chercher lointainement dans les méandres sinueux d’Internet pour trouver un ou deux articles qui en parlent. Nous apprenons alors que le groupe est espagnol, non sans savoir d’où exactement, mais on s’en contentera. On sait également grâce au site du label Dying Sun Records qu’au demeurant je ne connaissais pas jusqu’à aujourd’hui, qu’il s’agit d’un duo de musiciens qui répondent aux doux pseudonymes de G. et MS. histoire de faire simple, que ces derniers officient dans des groupes que je connais absolument pas que sont AkoúΦenom (black / death metal), Arkaik Excruciation (black / death metal), Excurse (Funeral Doom / Sludge Metal), et enfin Suspiral (black / death metal). Au moins cela m’aura permis de découvrir que les deux protagonistes de ce projet opaque viennent vraisemblablement de Galice, et que le dénommé MS. officie à la guitare et au chant dans ses projets, tandis que G. fait pareil. Donc quid de la basse et de la batterie? Bref. D’un côté je râle un peu parce que j’aime bien étancher ma soif de connaissance sur les groupes que je chronique, et lorsque je n’ai que des clopinettes comme ce soir, je suis un peu frustré. Mais en vrai, il y a quelque chose de grisant quand vous avez comme cela un projet aussi flou que Strangulation. Et ce n’est pas cet album éponyme qui va me laisser sur ma faim, c’est moi qui vous le dis.
Bon, pour la pochette, je ne serai pas aussi extatique. Même si je devine qu’au travers de ce procédé un peu vague, voire raté, il y a une volonté de faire exprès de déranger l’auditeur. C’est pourtant d’une simplicité toute bête. Vous prenez un gros crâne de ce qui ressemble à un bélier, posé par terre ou sur un récipient comme une table par exemple, vous prenez une salve de photographies sur tous les angles possibles, sur toutes les lumières envisageables, et finalement vous prenez non pas comme le commun des mortels ferait avec la meilleure, la plus réussie, mais la plus ratée. Celle qu’instinctivement si j’ose dire, vous supprimez directement de votre appareil numérique. Eh bien, c’est probablement ce que nos amis espagnols ont fait pour gratifier ce premier album éponyme. Maintenant, est-ce que l’on peut aisément parler de gratification? Moi, je pense qu’il faut (pour une fois) voir au-delà de cette apparente maladresse. La photographie est très macabre, et l’idée de la rendre floue à ce point tend vers ce qui ressemble à une vue de quelqu’un qui sent le malaise arriver. Une vue troublée par je-ne-sais quel facteur physiologique, contemplant ce crâne qui est en plus magnifique, fait penser à une sorte d’hypnose ou d’emprise psychique. Comme si ce crâne avait envouté la personne qui le contemple, en somme. Et du coup, sans crier au génie, je trouve qu’au moins cet artwork dégage un truc vraiment flippant. Ce qui a le mérite de développer un fond contextuel potentiellement intéressant, au lieu de se contenter de la forme qui reste stricto facto bien basique. Moi, je préfère me dire en effet que parfois, c’est dans la simplicité que l’on a les meilleures surprises. Alors, loin de moi l’idée de faire de cette photographie un ouvrage exceptionnel, mais au moins j’admets que ce minimalisme visuel illustre le fonctionnement de Strangulation dans sa musique. Retenez bien les mots minimalisme et hypnose, ils sont cruciaux pour la suite. Bémol : pas de nom sur la pochette…
La première écoute (et l’unique, je le confesse) de cet album n’a pas été une sinécure, loin de là. Imaginez-vous avoir un album uniquement composé d’un seul morceau qui dire une heure et six minutes! Un seul morceau que vous devez vous farcir sans pause possible, en tout cas quand vous conduisez! D’ailleurs, petit aparté, cet album n’est pas à écouter en conduisant sous peine de finir encastré dans un arbre sans se souvenir du prodrome de l’accident. Bref! Si encore cette heure et des brouettes étaient agréables mais non! Strangulation nous offre sur un plateau un véritable concentré funeste de funeral doom et de drone metal. Le cocktail est impressionnant, puisque sur l’heure il y a au moins trois longs passages qui font office d’interlude, introduction et conclusion et qui sont plus tournés sur un registre calme mais noir au possible, et des passages extrêmes, metal quoi. Ce qui est inhérent à ces styles de musique, que l’on retrouve avec exactitude sur ce Strangulation reste le minimalisme de la musique. Le morceau unique tourne en boucle, tout simplement. Avec ces pauses en clean qui détendent un peu le cerveau puisque la particularité de faire dans le minimalisme est que le cerveau et l’esprit sont clairement mis à rude épreuve. Via ces répétitions d’un ou deux mêmes riffs, on se perd totalement dans l’écoute, on déconnecte de la réalité pour entrer dans une dimension de marasme et de misère, notamment quand la lenteur du doom metal associée aux ambiances très sombres du funeral doom et du drone metal est importante. Or ici, elle n’est pas seulement importante : elle est dantesque. Les riffs sont tellement lourds qu’à un moment je me suis imaginé un énorme brachiosaure en train de marcher sur une terre désolée, mais loin de titiller le côté drolatique du genre stoner qui parfois emprunte une imagerie pachydermique pour détailler sa musique, Strangulation aborde un étendard de noirceur tellement incroyable que c’en est dérangeant. La particularité du drone metal ici est qu’il est usité non seulement dans sa forme ambiante que l’on connait plus, mais aussi dans sa forme extrême avec une mise en exergue très profonde de son intensité sonore et de ses arpèges détonants. Le côté funeral doom metal intervient selon moi en flagrance sur les passages en clean, un peu comme le ferait Ahab par exemple, avec une mélodie guitare lointaine souvent enrobée de couches de dark ambient ou de drone ambient, avec même des samples industrielles à la Lustmord facilement identifiables. Vous aurez deviné si vous me lisez régulièrement (on est en droit de rêver) que citer Lustmord et Ahab demeure un gage de positivisme! Et je dois avouer que ce premier album ne manque pas d’arguments. Franchement j’ai même vraiment aimé l’écoute que je trouve finalement bien plus agréable et harmonique que certains albums entrecoupés de plusieurs pistes. L’unique morceau de Strangulation est très fluide, et tellement ambiant que je ne me suis pas ennuyé du tout. Sa grande force et aussi un côté dangereux est que l’on se retrouve littéralement happé par la musique, un peu comme Alan Parrish se retrouve aspiré dans le Jumanji! C’est un peu le même truc. En plus de cela, loin de tomber dans l’outrancier minimalisme, l’album est assez riche en mélodies guitares, et en samples ambiants. Et comme il n’y a pas de batterie, on ne peut que se laisser porter. Je dois donc admettre que j’ai été très agréablement surpris par cet album-morceau! J’étais sceptique, mais mes doutes ont été chassés d’une force incroyable, que je ne soupçonnais pas chez ce duo de musiciens qui est plus habitué au metal extrême et bourrin qu’au metal lancinant et oppressant. Presque une claque, presque!
Première grande surprise également pour moi, qui va de pair avec les premières secondes de ce loooooooong morceau, qui se situe sur la production. En même temps si l’album Strangulation était mal produit, croyez-bien qu’au vu de la difficulté de la tâche qui s’appelle « l’écoute », ce ne serait pas du tout une promenade de santé. Et manifestement le contrat est largement rempli. Le son est impeccable, digne des meilleures productions du genre, avec ce côté atmosphérique très prenant, une occupation de l’espace sonore qui est optimale et ni trop ni pas assez, un juste milieu qui permet d’avoir cette caractéristique hypnotisante et surtout, qui n’empiète pas sur le reste. Je suis bluffé parce que le morceau est assez riche en termes de composition avec cette démarche minimaliste que j’ai si bien décrit plus haut mais, comme tout minimalisme qui se respecte, il est ponctué par différentes petites accroches, des incorporations qui font toute la différence. Le grand talent de cet album-morceau est d’avoir réussi avec brio les ajouts, sans dénaturer de quelconque manière le son général et laissant toutefois une place de choix à ces petits trucs qui font tout. C’est génial, tout simplement. Je suis toujours plus emballé par l’idée d’avoir un premier album qui sent aussi bon d’un point de vue sonore, surtout quand il passe relativement inaperçu comme Strangulation. Un bon son pour du drone metal est d’accompagner les baisses de vibration des cordes, tout doucement mais sûrement, et quand en plus vous avez la touche mélodique d’un funeral doom metal, alors vous ne pouvez que vous prosterner devant une telle victoire sonore. L’album Strangulation est un vrai bijou du genre, vraiment. Quelle découverte incroyable!
Bien évidemment que ce genre de démarche musicale questionne! Qui serait tenté d’écouter un album composé d’un seul morceau d’une durée d’une heure environ? Cela sous-entend que l’écoute doit se faire d’une traite, sans pause. Vous imaginez le chantier? Alors oui, on est en droit de se questionner. Pourtant, Strangulation m’a offert une hypothèse de réponse, et rapidement en plus. La démarche est de nous envouter, tout simplement. Cela passe par un processus d’hypnose, n’ayons pas peur de le dire! Vous êtes complètement et littéralement happé par la musique, qui fonctionne comme une sorte de montagne russe avec ces passages drone metal très marqués, et des moments beaucoup plus ambiants qui terrorisent, du moins prennent aux tripes. Il faut donc faire l’effort de se laisser aller, de s’installer confortablement et de lâcher prise totalement pour parvenir à une écoute utile et intimidante. Ce que bien malheureusement on ne peut pas faire partout. C’est pour cela que l’objectivité qui incombe à mon statut me force à dire que cet album, si excellent et génial soit-il, ne doit ou ne peut pas être écouté dans n’importe quel moment. Vous devez réellement être prudents, surtout quand vous effectuez une tâche qui nécessite une concentration importante. Bon, je suis dans l’emphase! Mais il va de soi que ce type d’albums, qui fait la part belle à un genre qui prend les boyaux dans leur aspect le plus profond comme le drone metal, qui se subtilise à un funeral doom metal qui porte parfaitement bien son nom dans le cas présent, pour aller perdre l’auditeur dans un labyrinthe sonore. Pour ma part, je me suis régalé. J’ai adoré cet album singulier et difficile à digérer pour la raison évidente qu’il fonctionne. Il nous aspire comme un vortex et nous ressort en miettes. Un véritable trou noir gigantesque! Du reste, je ne peux que conseiller l’écoute de cet album, l’achat un peu moins pour les raisons plus haut, mais il faut prendre son courage à deux mains et foncer. Réellement! Vous ne le regretterez pas.
Le chant étant très peu présent, j’ai hésité à en faire un paragraphe. Puis finalement je me suis décidé parce qu’il m’a lui aussi bluffé. Il est en effet très peu utilisé, se contentant majoritairement de quelques borborygmes ou de voix gutturales particulièrement bien exécutées. Sur des techniques différentes, qu’elles soient en grunt grave profond ou en growl aigu qui semble remonter du bas des entrailles, le chanteur s’amuse à jouer sur les techniques pour faire pas mal de remontées dans les octaves, plusieurs fois, pour ce qui ressemble à une accentuation des profondeurs de cette musique caverneuse et lente. On a l’impression que l’absence de textes clairs trahit un côté déclamation ou incantation qui augmente l’effet un peu mystérieux et macabre de Strangulation. Ce que je trouve audacieux est la prise de risque dans les techniques vocales, puisque le funeral doom metal est bien codé sur ce point avec un habituel chant en grunt grave, et la perspective de mettre des cris en tessiture plus haute constitue une prise de risque que je trouve non seulement casse-tronche, mais en plus payante! La musique n’en est que sublimée. Voilà pourquoi même si le chant est délivré au compte-gouttes, je voulais en parler. Loin d’être minoritaire dans la composition, il est très primordial. Vraiment.
Voilà une conclusion que je n’imaginais pas aussi bonne. Je partais avec tellement d’aprioris que je ne pensais pas être aussi agréablement surpris par le premier album éponyme de Strangulation. Duo espagnol composé de musiciens largement en dehors des styles drone metal et funeral doom metal, ce premier album sonne pourtant comme un excellent premier jet! Doté d’une musique extrêmement sombre, lente et oppressante, le seul morceau qui compose ce premier album a de quoi inquiété tant par sa longueur et son absence potentielle de pauses et sa musique qui n’est pas accessible à tout le monde. Il convient donc d’être initié pour accéder à l’entière plénitude de cette musique qui est absolument incroyable. Strangulation nous offre une variante de ce à quoi ressemblerait une mort imminente (par étranglement?) ou une expérience méditative flippante et lourde. Le corps et l’esprit ne ressortent pas intacts de cette écoute qui fait vrombir les entrailles et les cauchemars, les nourrit avec une gourmandise mortelle. Bref, cet album est un véritable petit bijou du genre drone metal et funeral doom metal, et la note est proportionnelle aux promesses d’avenir qu’offre ce duo de génies espagnols. Extraordinaire.
Tracklist :
1. Strangulation (60:06)
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