Line-up sur cet Album
William Lacalmontie : Guitare, Chant Julien Taubregeas : Batterie Angéline Seguelas : Basse, Choeurs Dehn Sora : Guitare, Choeurs, Drones, Theremin
Style:
Post-MetalDate de sortie:
23 octobre 2020Label:
Consouling SoundsNote du SoilChroniqueur (Quantum) : 9.5/10
« Avec un ennemi depuis longtemps acharné contre nous, il ne faut pas se lier d’amitié, quoiqu’il le désire ardemment. Quelque chaude que soit l’eau, si elle rencontre le feu, ne l’éteint-elle pas ? » Proverbe tibétain
L’expérimentation dans la musique est toujours source de réflexion parce qu’elle amène des pistes, des nouveautés mais aussi son lot d’erreur. Le nombre de groupes que j’ai découvert, chroniqué parfois, et qui se targuait d’inventer un genre musical me donnerait l’impression de compter le nombre de doigt sur Shiva. Pour ainsi dire, j’ai parfois du mal avec ces expérimentations étranges. Je ne reviendrai pas sur mes opinions concernant le post-black metal, aussi vais-je également de transposer ce dernier sur l’appellation post-metal parce qu’à ce jour, je n’ai encore compris ni l’intérêt d’une telle appellation, ni le but recherché. Jusqu’à ce que je découvre que le nom « post-metal » était en fin de compte un genre bien précis, oscillant entre le sludge, le shoegaze et le post-rock. Et bien entendu, le metal! Du coup, ma curiosité compulsive a commencé à s’intéresser au genre post-metal mais jusqu’à ce jour, je n’avais encore jamais trouvé de groupes qui me faisaient vibrer au point de définitivement accrocher à mon tableau de chasse aux genres de musique, le dit post-metal. J’ai essayé avec Cult of Luna, Isis, Neurosis et Pelican, mais impossible pour moi d’accrocher et j’ai encore trouvé une foule de différences analytiques entre ces groupes pourtant représentants rares du genre. Et puis, l’occasion rêvée se présenta à moi un soir où je fis ma liste de courses « chroniquotidienne », et il me faut bien le dire, le charme incroyable, le pouvoir de persuasion et les phéromones plus que légendaires de Cassie di Carmilla m’ont finalement convaincu de sauter le pas. D’aller au-delà de l’infini… Euh, de la simple écoute. Il me fallait analyser un groupe et je profite de la sortie prochaine de leur premier album pour me projeter sur le groupe Ovtrenoir.
Ovtrenoir comme le mot inventé par l’artiste peintre et graveur français Pierre Soulages « outrenoir » pour décrire les reflets de la couleur noire, ou tout simplement le « noir-lumière ». Un joli mot pour décrire un joli paradoxe, et certainement une grande source d’inspiration pour parler d’un projet metal. Ovtrenoir est donc un groupe français, originaire de Paris, qui est venu au monde musical en 2014. Depuis cette année, et tous les deux ans, le groupe sort un CD. Un premier EP en 2016, un single en 2018 et enfin (si j’ose dire) un album cette année. Le premier donc, qui s’intitule Fields of Fire et qui sort chez Consouling Sounds. J’avoue que parvenir à sortir un premier album chez un label me rend envieux et aussi admiratif. On peut se dire sans trop de peine que ce CD s’annonce donc sur de très bons auspices vu qu’Ovtrenoir est déjà signé quelque part. Qui plus est sur un genre musical encore à ses frémissements en France. Peut-être ai-je donc un futur pionnier du genre sans le savoir? Quoiqu’il en soit, ce qui m’a intéressé de prime abord chez le quatuor parisien est cette progression musicale, avec au départ une sorte de post-rock acoustique, et l’arrivée de Dehn Sora en 2015 qui amène de la distorsion à volonté et donc qui contribue probablement à ce vers quoi le groupe tend de nos jours. Je vous avoue que j’ai vraiment hâte de me pencher sur cet album, la curiosité monte comme une mayonnaise à la Celtikwar!
J’ai toujours un peu de mal, d’ordinaire, avec les pochettes sur lesquelles ne figurent pas le nom de l’album et le logo du groupe. Il faut bien se mettre à la place de la personne qui rôde dans les rayons CDs : elle tombe sur un CD sans nom ni logo, va-t-elle montrer une curiosité suffisamment exacerbée pour s’emparer du CD et l’acheter? Moi, j’en doute. Je pense donc qu’Ovtrenoir a pris un risque, et c’est un peu dommage car il aurait été évité avec un rien de détail. Néanmoins, on ne peut pas lui enlever que cet artwork est extrêmement curieux, et accrocheur. Cet immense feu de joie mais sans public, hormis cet homme qui marche à côté – le pyromane? – le tout sur ce qui ressemble à un champ, me fait bien penser au principe du noir-lumière. Avec ces tons gris, on est en plein dedans et j’ai le sentiment que derrière ce feu, il y a surtout le paradoxe de la destruction par la lumière. Le feu est une symbolique incroyablement riche : renaître des cendres, le feu qui éclaire et réchauffe l’Homme mais aussi le consume, etc. Je trouve le choix de la métaphore pyrrhique judicieuse et suffisamment vaste pour que l’on soit immédiatement conquis. Parler de flammes et de cendres a toujours été une valeur sûre tant l’Homme en est fasciné depuis qu’il a appris à le dompter. Et en elle-même, la photographie ou le tableau – difficile de faire le distinguo – est magnifique. Un vrai artwork à exposer dans sa vitrine ou sur son étagère à CDs chez soi, et je suis même prêt à, pour une fois, passer outre mes opinions d’intégriste musicale à deux balles pour vanter cet artwork. De toute beauté!
Quoiqu’il advienne de l’artwork, soyez au moins certain d’une chose fondamentale : la musique d’Ovtrenoir ne laissera personne indifférent. Le metal qui est proposé ici est ce que j’appelle le « metal moderne« . Celui qui est un peu à la mode en ce moment, qui mélange riffs lourds, son du même acabit et touche moderne dans la production. Alors, la seule différence notable est qu’ici, je trouve qu’Ovtrenoir surfe sur le fameux post-metal car on a des influences sludge évidentes, mais aussi atmosphériques et shoegazing. Mais ce que j’ai adoré par-dessus tout c’est ce mélange des genres et ce son hyper lourds. Parvenir à mélanger de l’atmosphérique et un son comme celui-ci, qui absorbe tout le spectre, c’est du grand talent. Et cette première écoute m’a déjà bien persuadé que l’album est plus que prometteur! Sept morceaux d’une longueur qui balance entre le raisonnable et le long, mais qui, franchement, s’écoutent très bien sans pause tant la coercition est quasiment parfaite.
Le gros point fort pour moi de cet album est la production. On ne le répètera jamais assez mais se lancer dans une musique aussi complexe en termes de composition relève déjà d’une audace certaine, mais aussi d’un talent indéniable. Mais réussir à ce point-là l’examen du son, je dis bravo. Un grand bravo même, parce que ce dernier est excellent. L’enregistrement, le mixage et le mastering ont été assurés par Francis Caste, qui a travaillé pour les albums de Regarde les Hommes Tomber et ce n’est pas un hasard car on sent que sonoriquement parlant, il y a réellement des similitudes entre les deux. Stylistiquement parlant en plus aussi, puisque Regarde les Hommes Tomber et Ovtrenoir partagent ensemble un point commun qui est le sludge comme influence. Il est donc normal de trouver la patte du fameux Caste, et j’avais déjà vanté son travail (en ignorant que c’était lui) dans une chronique. Je trouve donc que le gros point fort est là parce que, comme je disais plus haut, réussir à mélanger de l’atmosphérique avec un son aussi lourd, aussi sludge en quelque sorte, c’est un sacré bel exploit! Et le pari est réussi haut la main. J’aime tellement ce son qui parvient à tout envahir dans vos supports d’écoute, où la distorsion des guitares est impressionnante mais audible à la fois, que la batterie occupe une place de choix dans l’enveloppe rythmique et que le chant est plein d’effets qui le rendent surpuissant. Voilà, j’ai fini mon propos, il est sincère : j’adore véritablement ce son et je ne suis pas loin de penser que l’album Fields of Fire a, pour l’année 2020, la victoire du meilleur son sur toutes les chroniques que j’ai faites!
La musique a quelque chose de magique parce qu’elle rend hommage, sans le vouloir je crois, à la modernité du metal. On sent bien qu’il y a, dans cet album, une vraie dimension de progrès dans tout. L’expérimentation dont je parlais volontairement en introduction et qui me laissait au départ très sceptique, mérite pour le coup d’être tentée ne serait-ce que pour des albums comme celui-ci. Ovtrenoir est un peu un groupe visionnaire pour moi, et sort nettement du lot comparé aux autres qui essayent vainement de nous vanter leur musique comme étant une nouveauté alors qu’il n’en est rien. Prenez-en de la graine tiens! Rien n’est meilleur que de voir ENFIN un groupe qui met du sens au modernisme dans la musique. Les compositions jouissent d’un son extraordinaire, mais aussi d’un élément qui me plait beaucoup : la stagnation. Les riffs sont excellents et ont surtout le mérite d’être tourné en boucle, avec des incorporations légères mais qui permettent de garder une base logique et solide, tout en mettant ce petit détail qui change beaucoup la face du monde. Les groupes qui comprennent que l’on n’est pas contraint et forcé de faire dans l’outrancière composition ont tout compris. Ovtrenoir a vraiment tout compris, c’est incroyable de se dire qu’un groupe aussi jeune puisse montrer une telle maturité dans un premier album. Je comprends tellement mieux la signature dans un label dès le premier bébé.
Le talent des musiciens est d’une évidence même, je cherchais une comparaison idoine et je me suis dit que la meilleure représentation que je pouvais en donner serait celle des films historiques contemporains. Certains films sont tellement bien faits d’un point de vue d’imagerie que l’on en oublie les documentaires vieillis par le temps, les images en noir et blanc très floues qui, certes ont du charme, mais ne subliment pas toujours le contenu. Je pense que le talent du quatuor a été de faire de tout un tas de styles anciens un film de haute qualité. Et cela passe bien entendu par une maitrise de leurs instruments totale et sans bavure, comme c’est le cas ici. Je voulais m’arrêter sur le rôle capital que joue le nommé Dehn Sora avec son theremin et ses drones. Non content d’amener de la profondeur au son, ce dernier amène aussi une dimension très « visuelle » à la musique et ce n’est pas pour rien puisque lui-même est un artiste visuel qui a notamment produit l’artwork d’un album de Svart Crown et de celui de Yeruselem que j’adore. On parle bien de visuel car cela relève de l’identité musicale et ici, par ce talent qu’ont les musiciens du groupe et cette originalité sonore que d’introduire des ambiances drones et un theremin, le groupe Ovtrenoir est encore une fois, preuve à l’appui, une valeur sûre. Gros boulot!
Le chant achèvera de me conquérir car la justesse technique est au premier plan et les différents effets posés dessus le rendent majestueux, torturés et aussi au premier plan. J’ai toujours adulé les chanteurs capables de cette technique là parce que, par méconnaissance probablement, je la trouve très difficile à exécuter sans risquer une violente quinte de toux digne du coronavirus. Encore un très bon point pour Fields of Fire et le groupe Ovtrenoir qui se dote d’un excellent chanteur.
Bien! Il est temps pour moi de finir cette nouvelle chronique. Groupe plein de promesses, mais qui a déjà selon moi largement fait ses preuves et ce, dès leur premier album! Un album lourd et atmosphérique, bourré d’ambiances pesantes mais aériennes à la fois, qui nourrit plein de paradoxe à lui tout seul, mais il était certain que ce serait le cas. Quand on cherche à se lancer dans une audacieuse recherche de perspective lumineuse dans la noirceur, il en va d’une telle dimension philosophique que la musique ne peut qu’être mature, intéressante et surtout de très belle allure! Premier album qui appelle à une première grande victoire pour le groupe parisien qui, j’espère, atteindra des sommets. En tout cas ce Fields of Fire est déjà un album exceptionnel.
Tracklist :
01. Phantom Pain
02. Wires
03. Echoes
04. Kept Afloat
05. Those Scares are Landmarks
06. I Made My Heart A Field Of Fire
07. Slumber
Laissez un commentaire