Line-up sur cet Album
- Aharon : chant, paroles
- Wilhelm : guitares, composition
- Léo Dieleman : basse
- Romain Gudet : batterie
Style:
Black Metal MélodiqueDate de sortie:
19 janvier 2024Label:
Les Acteurs de l'Ombre ProductionsNote du SoilChroniqueur (Quantum) : 9.75/10
« Nous savons seulement ce qui est en jeu quand nous savons que cela est en jeu. » Hans Jonas
« « Animal », au sens grec du mot ne signifie pas « bête », mais «être animé»: cette acceptation inclut les démons, les dieux, les astres qui eux aussi ont une âme — et même l’univers, considéré comme un tout pourvu d’âme (Platon, Timée, 30 c) : ce n’est nullement « rabaisser » l’homme que le situer dans cette échelle, et le spectre de l’« animalité », avec ce qu’il donne à entendre au sens moderne, se faufile ici clandestinement. En réalité, le rabaissement consiste, pour Heidegger, à situer « l’homme » sur une échelle, quelle qu’elle soit, c’est-à-dire dans l’enceinte de la nature comme telle. La dévaluation chrétienne d’« animal » en « bête », qui, de fait, empêche de se servir du terme autrement que par opposition à « homme », reflète simplement la rupture accentuée avec la position classique — cette rupture par laquelle l’Homme, unique possesseur d’une âme immortelle, en vient à se tenir tout entier hors de la « nature ». Le raisonnement existentialiste prend son envol en partant de ce nouveau tremplin : il joue de l’ambiguïté sémantique d’« animal », ce qui lui permet de marquer un point sans difficulté, mais il dissimule ce changement de tremplin, dont cette ambiguïté est fonction, et il omet d’affronter la position classique avec laquelle il dispute en apparence. »
« Faisant partie de cette totalité, étant un cas de la nature, l’homme n’est qu’un roseau, que peuvent écraser à tout moment les forces d’un univers aussi aveugle qu’il est immense, où l’existence n’est qu’un accident aveugle parmi d’autres, non moins aveugle que le serait l’accident de sa destruction. Toutefois, comme roseau pensant, il ne fait point partie de la totalité, il n’en relève pas ; il est radicalement différent, et sans commune mesure avec elle : car la res extensa ne pense pas, Descartes nous l’a appris, et la nature n’est que res extensa : corps, matière, grandeur extérieure. Si la nature écrase le roseau, elle le fait sans penser, tandis que le roseau — l’homme — même au moment qu’on l’écrase, a conscience d’être écrasé. Il est seul dans le monde à penser, non parce qu’il fait partie de la nature, mais en dépit de cette appartenance. Comme il n’a plus part à la signification de la nature, mais qu’il se borne à participer, du fait de son corps, à la détermination mécanique de cette nature, de même la nature n’a plus part à ses préoccupations intérieures (…) telle est la condition humaine. Il n’est plus, le cosmos, ni son logos immanent, avec qui mon logos pouvait se sentir une affinité ; il n’est plus, l’ordre du tout, au sein duquel l’homme a sa place. La place qu’il occupe, elle lui apparaît à présent comme le résultat d’un simple et brutal accident (…) l’indifférence de la nature signifie aussi que la nature est étrangère à toutes fins. La téléologie étant chassée du dispositif des causes naturelles, la nature, elle-même sans but, cesse de donner la moindre sanction aux buts que l’homme pourrait se proposer. Un univers sans hiérarchie intrinsèque de l’être, tel qu’est l’univers copernicien, laisse les valeurs sans soutien ontologique ; le moi est rejeté tout entier vers lui-même quand il est en quête de sens et de valeur. »
Pourquoi je partage deux longs extraits, chose que je fais très rarement à vrai dire, par peur de paraphraser un auteur ? Tout simplement parce que la question du gnosticisme est une question qui m’a été un moment de ma vie fondamentale, et j’avais adoré (non, j’adore toujours) le livre de Hans Jonas, sorti en 1978 (j’ai l’édition Flammarion de 1992 pour ma part), et qui s’intitule « La Religion Gnostique« . Il faut être branché philosophie et théologie, ce qui est mon cas. Et ce livre a été d’une aide exceptionnelle pour me faire comprendre qu’on pouvait croire en une foi sans penser qu’il y a obligatoirement au bout un Salut comme conclusion. Cette prochaine chronique a totalement réveillé cette volonté d’introspection de ma part et j’en remercie le groupe même si ce n’est pas eux qui ont volontairement provoqué ceci. J’en profite quand même pour me concentrer sur ma tâche du jour, à savoir la chronique d’A/Oratos et de l’album nommé « Ecclesia Gnostica« , sorti chez les Acteurs de l’Ombre Productions.
Et le moins que je puisse dire est que les acteurs de ce projet ne me sont pas inconnus du tout ! A/Oratos est en effet composé par des musiciens des groupes Griffon (que j’adore), Catubodua, Decima (que j’adore) et le batteur se veut être également le batteur live de Jour Pâles. Un ensemble de musiciens avec un pedigree chacun plus qu’honorable surtout quand on mesure leur portée sur la scène black metal française, cela laisse déjà pantois. La découverte la plus incroyable pour moi a été l’âge de ce projet originaire de Paris que je croyais tout jeune, récent, et qui s’avère exister depuis 2016 ! Avec à la clé un premier EP nommé « Epignosis » sorti en 2019 en autoproduction, et donc cet album qui n’est autre que le premier du groupe, appelé « Ecclesia Gnostica« , et qui sort sous la bannière prépondérante du label les Acteurs de l’Ombre Productions. Un chouette bond en avant donc pour ce groupe qui semblait avoir été laissé de côté pendant cinq ans, et qui éclate enfin au grand jour sous des auspices rassurants avec ce premier album qui promet, sur le papier, bien de belles choses ! On va le savoir tout de suite.
Et pour commencer, voici venu le temps (non je ne ferai pas la blague !) de causer de la pochette. Le nom de l’artiste ayant créé ce chef d’œuvre ne m’est pas du tout inconnu là encore puisqu’il s’agit d’Above Chaos, alias de Vincent Fouquet, et qui a notamment crée les ouvrages absolument magnifiques des groupes Ixion, Entropia Invictus, Catalyst, Trollheart, Temple of Baal, etc. La particularité est que l’on sent une patte certaine mais qui s’adapte aux désidératas des groupes pour sans cesse se recréer, et il n’y a point d’exception dans le cas d’A/Oratos. L’artwork est sublime, dans un style graphique bluffant, rappelant à s’y méprendre les ouvrages architecturaux d’époque ancienne qui font penser aux reliques. Avec des perspectives en doré, un doré un peu fatigué par l’âge, le perfectionnisme est poussé jusqu’à démontrer une décoloration naturelle de l’or, pour donner un ton gris argenté du plus bel effet ! Il y a une telle richesse visuelle en matière de symboles que ce serait difficile de tout décrire, mais on notera évidemment les deux mains noircies qui se rejoignent en prière, les deux sortes de coupelles à gauche et droite des mains qui font effet soleil et Lune, et un os probablement humain, style fémur, qui se trouve juste au-dessus du nom de groupe et d’album. Un artwork qui pousse encore le bouchon plus loin en faisant une perspective visuelle en symétrie- exceptées les coupelles citées et les mains – mais la symétrie se voit étiolée par les usures du temps, les fameuses. On voit bien qu’un énorme soin a été accompli pour accoucher de ce fabuleux et grandiloquent artwork ! Un soin qui vise à rendre le plus réaliste possible – et donc le moins parfait possible – ce qui s’apparente à un vrai symbole ecclésiastique, celui de l’avènement d’A/Oratos et son « Ecclesia Gnostica« . Franchement, c’est un des plus beaux artworks de ce début d’année et le travail autour est absolument exceptionnel. Une véritable œuvre d’art et un excellent choix pour la formation parisienne !
En ce qui concerne la musique, on peut d’ores et déjà dire qu’A/Oratos attaque fort ! L’album démarre tout de suite sur les chapeaux de roue avec en guise de mise en bouche un premier morceau qui donne le ton : ce sera du black metal mélodique. Avec cette alternance de passages en lead guitares, sans se dérober à l’exercice nécessaire de la rythmique pour donner un ton très martial et solennel. Question grandiloquence, le groupe joue énormément sur la dimension mythologique et mystique, avec des passages en clean et des moments très cérémonieux sur des jeux de voix différentes. Cela n’enlève en rien que le black metal est omniprésent notamment sur le caractère incisif des instruments, avec un son très peu bas en fréquence mais le maintien, subtilité inhérente à l’hypothèse d’un black metal très mélodique, d’une basse bien en avant pour apporter ce supplément de basse noirceur qu’il faut pour enrober les guitares très incisives. La batterie qui est extrêmement agressive mais joue surtout un rôle prépondérant dans la rythmique tantôt orientale, tantôt conventionnelle pour le metal, avec l’idée que cette dernière n’est pas qu’un simple métronome, mais bien un élément percussif important pour donner le ton à cette musique pleine de mystères. Je m’attendais par ailleurs à avoir des claviers, ou des samples pour accentuer le côté mythologico-mystique du concept autour d' »Ecclesia Gnostica« , mais à moins d’avoir un souci sur mes différents supports d’écoute, il m’a semblé qu’il n’y en avait pas (du moins au début), ou qu’ils étaient à peine perceptibles, noyés dans les parties guitares et par la basse omnipotente. Après, si l’on en reste sur la composition instrumentale pure, je ne crois pas qu’une présence de claviers soit nécessaire, voire indispensable ! Les mélodies guitares étant incroyablement puissantes et apportant tous les ingrédients idoines pour donner cette coloration mélodique et mystérieuse à la musique black metal. C’est la grande, que dis-je ! L’immense force de ce premier album pour A/Oratos, que d’avoir réussi le tour de force de mélanger black metal mélodique et black metal plus agressif et tranchant. Moi qui suis contre les nouvelles appellations galvaudées pour essayer de se démarquer sur la scène musicale, le terme « gnostique » prend tout de même, je dois l’admettre, un vrai sens dans la composition tant les pistes font la part belle à une dimension cérémonieuse, religieuse et même païenne. On sent que la musique cherche à nous faire passer un message de Salut. Mais j’y reviendrai ! En tout cas, en première intention, l’écoute de cet « Ecclesia Gnostica » sonne comme une énorme claque. La musique est incroyablement riche, d’une rare intelligence de composition, bouleverse beaucoup les codes et c’est tout ce dont on a besoin pour renouveler le cheptel des groupes de black metal en France. Déjà véritablement fanatique de la musique des parisiens, mais en même temps, connaissant les pedigrees de chacun, je ne suis pas surpris non plus ! C’était à coup sûr, une valeur sûre.
La production de ce premier album a été confiée à un homme qui n’est pas non plus un inconnu dans le milieu : Frédéric Gervais, qui a notamment produit des tas de groupes comme Aorlhac, Asphodèle, Ataraxie, Jour Pâles, Helioss, etc. On peut donc dire, au regard des nombreuses excellentes productions dont il peut se targuer, et en particulier dans le milieu du black metal, que notre homme sait maitriser son sujet. Et le résultat ne me fera pas mentir du tout ! Le mixage et le mastering sont tout simplement dantesques. On retrouve tous les ingrédients nécessaires pour façonner un excellent album de black metal à la sauce moderne, soit l’agressivité, l’incision, le tranchant et la froideur, le tout ponctué de quelques incorporations ingénieuses comme les fameux samples que je vais finir par détecter sur un autre support d’écoute plus fiable, le jeu sur les différentes voix, les narrations. Enfin, tout ce qui fait que le black metal peut être considéré aujourd’hui, n’en déplaise aux puristes, comme un style de musique dont on peut bouleverser les codes et offrir sur des plateaux changeants. En fin de compte, je dirais que la production réussit ce fameux mélange qui semblait difficile sur le papier de faire dans le grandiloquent, le cérémonieux, tout en allant sur les bases essentielles de ce type de musique chaotique et tourmenté. Je n’irai pas plus loin, parce que ce type de son aussi soigné et propre, aussi carré, cela se passe de trop de commentaires. Un bijou du genre, vraiment.
Les gens pourraient trouver le concept gnostique et très païen, je le maintiens, surprenant. En ce qui me concerne, il n’en est rien puisqu’on sent que la musique est un énorme manifeste pour plaider le Salut dans une sorte de néo-paganisme ou religion monothéistes new age. Connaissant Aharon, le chanteur de Griffon, plus pour son talent et son inspiration manifeste pour la provocation que personnellement (ce que je regrette), je ne suis pas du tout étonné. Pourquoi je parle de provocation ? Je ne parle pas d’une intention première, mais plutôt de ce qui est sous-jacent au concept développé notamment dans les textes du projet. Il y a notamment des mentions de faites sur l’idée de la création d’un deuxième Dieu par exemple, ou des références païennes au hiérophante, ou même une remise en question de son auteur de sa condition humaine comme invention de la présomption de Dieu. Comme vous le savez, je me considère plus ou moins comme païen et ce genre de concept, si provocateur pour certains soit-il, me parle et me touche énormément. Après, je retiens également ce que j’appelle peut-être un peu trop vite les « concepts LADLO« , où le black metal majoritairement produit par le label traite beaucoup des états d’âme, des émotions, de la condition humaine, plutôt que les sempiternels codes sur le satanisme, le nihilisme, etc. Voilà donc un dénominateur commun à toutes les sorties les Acteurs de l’Ombre Productions depuis que je fais des chroniques pour le label. En fait, pour vous la faire courte, le concept est à ce point chiadé et travaillé qu’il en arrive à me toucher personnellement, et je peux donc vous affirmer qu’il s’agit d’un des concepts qui me parlent le plus depuis que je m’évertue à faire de la chronique. Mélangeant différentes références mythologiques, ou ecclésiastiques, voire ce que j’appelle par provocation aussi le révisionnisme religieux, je ne peux qu’applaudir. C’est un peu, sans vouloir faire de comparaison, ce que l’on retrouvait parfois dans Griffon, où on sentait un fort élan de revoir l’Histoire, mais où le frein était un peu mis par prudence. Là, on a l’impression qu' »Ecclesia Gnostica« , parce qu’il s’agit d’un projet faisant la part belle à une sorte de fanatisme religieux ou paganique, se permet non seulement de bouleverser les consciences, mais aussi de faire la nique aux nombreux bien-pensants de la morale française, rigide et impénétrable. Franchement, au-delà du génie artistique pour l’écriture des textes et l’élaboration d’un concept-album qu’est Aharon, son gout pour la provocation et l’audace me laisse pantois d’admiration. Ce genre de concept très élaboré, je ne peux qu’être admiratif. C’est en cela qu’il vous faut impérativement découvrir A/Oratos qui s’annonce d’ores et déjà comme, certes la première, mais aussi la meilleure sortie de 2024 dans le roster du label. Qui avait besoin d’un nouvel élan, et c’est chose faite !
Et bien évidemment, comme je ne m’en suis jamais caché y compris à mon entourage musical direct, je suis un grand fanatique de la voix d’Aharon. Le mec va croire que je veux honorer son fondement mais c’est faux ! C’est juste un constat. Son timbre de voix, une voix de gorge extrêmement enraillée et qui est capable d’aller autant dans les aigus, j’adore. C’est assez rare d’ailleurs d’entendre une voix de gorge (et non un high scream) aussi haute sans s’imaginer que notre ami se démonte les amygdales à coups de pelleteuse. Mais c’est surtout l’intensité de son mixage qui me sidère, parce que, loin de moi l’envie de faire un énième comparatif avec Griffon, mais je retrouve à peu près les mêmes ingrédients qui font que j’adorais son chant. Une sorte de grossissement de la voix qui donne un côté démoniaque mais aussi solennel, presque divin. Sans compter les ineffables émotions dans la voix elle-même, les narrations, le chant en langue grec qui est bluffant. Bref ! On sent que notre chanteur se surpasse davantage encore sur chaque sortie où il participe, et j’imagine déjà le rendu qu’il y aura sur scène avec A/Oratos. En tout cas, « Ecclesia Gnostica » a énormément de chance de se parer d’un chanteur aussi talentueux, d’un parolier aussi inspiré et d’un mec aussi brillant. Allez, on boit un verre mon chou ?
Pour finir ici, les gens qui me connaissent savent qu’étant un grand fanatique de Griffon, cette chronique qui signe je le répète mon partenariat avec Les Acteurs de l’Ombre Productions, ne pouvait s’annoncer que sous le drapeau majestueux de la dithyrambe. A/Oratos propose ici en release du jour chez nous, son premier album nommé pour l’occasion « Ecclesia Gnostica« . Et ce n’est pas pour rien ! Le projet parisien mené par Aharon et Wilhelm (le compositeur principal) annonçait son entrée fracassante sur la scène black metal mélodique française, via ce procédé prosélytique et gnostique qui ne laissera personne indifférent. Bouleversant les codes très rigides des religions monothéistes, proposant un concept quasiment sectaire sur les bords, A/Oratos n’en demeure pas moins un vrai groupe de génie. Fort d’une musique puissantes, grandiloquente et ambiante, la dimension spirituelle qui met en avant la condition humaine et la confrontation à des croyances avilissantes, quand elle est sur un format aussi impressionnant de réussite, ne pourra que faire parler d’elle. Un black metal exceptionnel, pour ce qui s’annonce certes comme la première sortie du label pour 2024, mais surtout comme la meilleure tant l’ouvrage est extraordinaire ! En attendant Griffon, évidemment.
Tracklist :
1. Le Hiérophante 06:33
2. Daath 05:54 Show lyrics
3. Deuteros 06:43
4. Disciplina Arcani 06:17
5. Ô Roi des Eons 06:53
6. De la Gnose Eternelle 04:02
7. Le Septième Sceau 06:20
Laissez un commentaire