Line-up sur cet Album
- Léon Harcore : tous les instruments, chant.
- Guests : Alasdair - Chant sur 3, 5, 6, 7 et 8 / Zacques, Robert - Guitares / Le Grand - Basse / Jéhannum - Batterie / Jon - Saxophone / Jéjé - Chant additionnel.
Style:
Black Metal Avant-gardisteDate de sortie:
21 janvier 2022Label:
Les Acteurs de l'Ombre ProductionsNote du SoilChroniqueur (Quantum) : 8.75/10
« Il sait éviter les écueils du burlesque nostalgique et nous ramène d’une main ferme jusqu’au cœur même du problème : Qui suis-je ? Où cours-je ? En quel état j’erre ? » Agnès Pavy
Pendant longtemps j’ai eu du mal à faire la différence entre le grotesque et le burlesque. Non pas que j’en ignore les définitions, encore que les miennes sont issues d’Internet et de son lot d’inexactitudes, mais j’ai essayé de savoir ce qui séparait vraiment l’un de l’autre. Alors, autant se dire que si l’on se réfère aux deux sens, il existe un but commun : susciter un sentiment de dérangement. Ou a contrario, faire rire. C’est là que les deux termes se rejoignent selon moi sur un même point fort, celui de semer le trouble chez l’amateur artistique qui ne sait pas ce qu’il doit ressentir. Certains riraient comme moi des gags du Capitaine Haddock dans Tintin, ou celui des Looney Tunes, d’autres se montreraient peut-être un peu dérangé et mal à l’aise de voir un tel acharnement sur un personnage irascible comme le bon capitaine ou sur des créatures anthropomorphes. Moi, j’ai toujours été un peu subjugué par les oeuvres artistiques qui sont à double sens profond comme cela, du reste qu’en musique on ne compte pas beaucoup de styles pouvant se targuer de proposer ce procédé. Mais je me demande comment l’on peut tantôt être mort de rire devant un film muet par exemple, ou tantôt ressentir une sur-empathie pour ces personnages qui subissent bien des misères. La question relève de la psychologie et je pourrais sans difficulté vous parler du processus transfériel qui consiste à transférer inconsciemment par les émotions sur un tiers ou sur n’importe quel objet des choses enfouies. D’ailleurs, ce processus, on le vit tous et tout le temps sans s’en apercevoir. Mais une chose est certaine : je n’ai pratiquement jamais rencontré de musiciens ou de groupes capables de transfigurer par la création cette frontière mince entre burlesque et grotesque. On rapporte par ailleurs à tort le burlesque sur un truc grossier et joyeux, alors qu’il n’en est rien. Quoiqu’il en soit, cette chronique était l’occasion pour moi de me frotter à ce qui ressemble à ce fameux groupe que je recherche depuis toujours : il s’agit de Pensées Nocturnes. Et derrière ce nom énigmatique et onirique se cache un album qui sort dans quelques jours et qui se nomme joliment « Douce Fange« .
« Douce Fange » qui relève du procédé littéraire de l’oxymore au passage, c’était la minute je-me-la-raconte-pour-une-fois. Bref! Pensées Nocturnes est un groupe que j’ai toujours honteusement survolé, du fait de mes pérégrinations et des errances, car sans me chercher d’excuses les ami(e)s, on ne peut pas tout écouter, sinon il faudrait être siamois du cerveau et des oreilles ce qui dans le cas présent n’est pas le mien. Mais en tout cas, je suis en mesure de vous dire que Pensées Nocturnes est un one mand band français (cock-a-doodle Doo! Oui j’avais envie de dire cocorico en anglais! D’ailleurs il va beaucoup être question de coq et de poules dans cette chronique), de Paris pour être exact. Prenant son envol de la basse-cour en 2008 ce qui commence à faire quelques années de pratique avancée, le projet est dirigé par sieur Léon Harcore qui a notamment officié dans Valhôll et Way to End. Mais ce qui est important à souligner c’est l’abondante création de Pensées Nocturnes qui se vante à ce jour d’une discographie de pas moins de sept albums! Cela représente une très bonne moyenne et cela montre surtout la belle créativité du gars qui, loin de se contenter d’un projet musical, a su créer une véritable identité artistique, une empreinte de son nom. C’est en cela que cette chronique était l’occasion inespérée pour moi de consacrer de mon temps à ce merveilleux projet, et « Douce Fange » tombe à pic!
De ce que je connais de Pensées Nocturnes, c’était surtout les pochettes. Normal! J’en voyais défiler un paquet de liens. Et j’ai toujours été intrigué par cet univers justement à la fois grotesque dans les exagérations des traits des personnages, au bord de la monstruosité ou de la caricature, et à la fois le burlesque avec ce côté décalé comique dans des sujets quasiment toujours sensibles, sinon tragiques. Pas de dérogation à la règle pour « Douce Fange« ! Il y a bien tout, le personnage ventripotent, charcutier et qui trinque avec le coq devant un tas de hures, la cochonnaille pendante sur le mur, alors qu’en arrière-plan il y a Paris qui est dévastée par la guerre, la boutique même du charcutier étant détruite et pleine de courants d’air. Honnêtement, ma méconnaissance de l’œuvre fait que je n’ai pas saisi s’il y avait une certaine ode à la fierté française avec les parures tricolores sur le nom de l’album et le fait que malgré le chaos les français restent fiers et debout, ou si c’est tout le contraire! S’il y a une forme de cynisme à l’égard des français inconscients du monde qui les entoure, qui préfèrent bouffer et picoler le tout sur un traditionalisme exacerbé avec la charcuterie et le vin! Evidemment pour moi le coq représente bien la France ici. Mais encore une fois, ce genre d’intention artistique n’a de sens que lorsque l’on connait bien le travail du cerveau derrière, et c’est sur un constat de doute que je contemple cette pochette qui est bourrée de sens et qui va probablement m’occuper un moment quand je l’aurai acheté. Parce que je suis comme ça, j’aime comprendre à fond les choses! Maintenant, sur le style en lui-même la pochette est bien sympathique, j’aime beaucoup le style un peu bande-dessinée ancienne qui est presque en tons de gris, et qui ne laisse que le bleu et le rouge transparaître. Sur le style en tout cas j’aime beaucoup! Et je devine en fin de compte que la deuxième option, celle du cynisme à l’égard des traditions françaises, est la bonne pour ce « Douce Fange » bien aigre-doux.
Parce que la musique résume exactement cette marge fine entre burlesque et grotesque, et il va de soi que s’il y a beaucoup de décalage et que ce dernier frôle la chute vers l’humour total, il n’en demeure pas moins que la base séculaire musicale est loin d’être drolatique. Pensées Nocturnes étant signé dans un label qui se nomme Les Acteurs de l’Ombre Productions et qui s’évertue à mettre en lumière les groupes black metal, vous avez donc un début de réponse. Pensées Nocturnes est un groupe de black metal mais auquel j’ajouterai le suffixe d’avant-gardiste. C’est un style que je n’ai quasiment jamais abordé comme tel, mais la musique est tellement variée et expérimentale que même la structuration black metal est assez peu reconnaissable. D’ailleurs, on devine tout de suite que ce dernier s’emploie non pas à être le style principal de l’album mais bien une sorte d’accompagnement. Ou bien même à être sur la même échelle sonore que les parties plus néoclassiques si l’on peut les résumer ainsi. Car en vérité, chaque piste est unique et chaque piste se drape d’un genre de musique différent. On a parfois de la valse, du tango, de la fanfare, du jazz, des vieux claviers analogiques, enfin vous voyez le truc d’ici. Un album d’une richesse composale incroyable! Parce que malgré ces ramifications nombreuses, elles ont toutes la même racine qui se situe sur la même base instrumentale, et sur des passages black metal qui ne sont trahis que par une batterie en blast beat, des guitares très nasillardes et quelques légers instants en high scream. Le reste est une énorme fanfare burlesque et décapante, on s’approche avec parcimonie de la cacophonie absurde! Mais c’est tout le charme de cet album qui amène un concept farfelu avec une musique à la base totalement froide et sinistre. Cela relève pour moi d’ores et déjà du génie, tout simplement. Et la première écoute est remportée haut la main par Pensées Nocturnes!
Pour la production, il est un peu compliqué de savoir avec précision s’il en existe une typique, puisque l’on est sur un black metal avant-gardiste. Alors, de ce que j’ai constaté, et cela restera assez succinct réside dans l’extrême finesse avec laquelle cet album a été conçu, puisqu’il faut se représenter que Léon Harcore est multi-instrumentaliste et a absolument TOUT enregistré! Mais quand je vous dis tout, c’est tout! Il n’est entouré de musiciens qu’en concert, en studio c’est le maître à penser unique. Et quand vous comprenez l’énorme, l’immense boulot qu’un tel album représente en studio, vous avez tout compris. Il faut donc bien se dire que chaque instrument m’apparaît comme étant à sa place en tout cas pour les néoclassiques. Pour le black metal, c’est un tout petit peu plus compliqué mais tout simplement parce que les instruments metal font partie de cet ensemble instrumental dont je parlais. C’est, en gros, comme si vous mettiez alignés tous les musiciens dans une même fanfare. Du coup, du peu que j’ai déduit de mes écoutes, j’ai noté que les moments plus metal sont bien sonorisés aussi. A mon gout, il aurait tout de même fallu un peu moins verser dans le burlesque et rester sur une base metal légèrement plus importante, c’est le seul défaut notable de « Douce Fange » pour moi. Si j’étais méchant, je dirais que cet album n’est pas du metal en fait. Mais en vérité, si. Parce qu’une musique qui met le metal sur le même piédestal que le reste, c’est faire dans le metal! Aussi, la production est d’un luxe inouï concernant les parties néoclassiques, mais reste selon moi à reprendre sur tout ce qui est saturé.
Par contre, il serait aisé de dire que « Douce Fange » est un CD qui veut faire passer un message. Franchement, au vu de la musique et de cette prouesse de rendre du black metal complètement en décalage de son but initial, je me dis que forcément ce n’est pas gratuit du tout. On revit avec un réalisme fou les ambiances de ces années de guerre où probablement qu’il y avait aussi des moments festifs et démesurément joyeux! On a effectivement une vision historique très tragique de cette période et évidemment à un total juste titre, mais que Pensées Nocturnes retranscrivent avec le sentiment d’un immense réalisme cette face cachée de l’Histoire de France, je dis bravo. Simplement bravo! Qu’on aime ou non, cet album est une satire, un moyen de se moquer d’une France moderne en rappelant que même avant on savait être grivois malgré les tempêtes. Mais au-delà de l’aspect philosophique que je ne fais que supputer d’ailleurs, si l’on reste strictement sur la musique, « Douce Fange » est d’une richesse phénoménale. Comme j’en ai rarement entendu, moi qui suis friand d’albums qui savent rester sur une ligne de conduite tout en s’accordant quelques légères déviations, moi qui suis un peu trop cartésien dans l’étiquetage de la musique, j’avoue que cet album chamboule royalement toutes mes croyances à la limite de la psychorigidité. Ce qui n’est pas rien, on ne va pas se mentir! Puis, j’admire sincèrement la manière avec laquelle Pensées Nocturnes tourne en dérision le black metal tout en lui conservant son cynisme et une partie encore chaude de son nihilisme. Et il me serait aisé de m’attarder sur le style, mais c’est tout le sens qui gravite autour qui m’a fasciné. Honnêtement, je ne considère pas « Douce Fange » comme l’un de mes albums de l’année, j’ai aimé l’écouter et la forme est excellente mais pas au point de considérer ce dernier comme un incontournable de 2022. Mais sur le fond c’est indéniablement le meilleur pour le moment. Et rien que pour cela, ça en fait un album extraordinaire.
Pour parler du chant, là encore ce n’est pas une mince affaire. Parce qu’il n’y en a pas qu’un. Léon Harcore se dote de plusieurs techniques vocales tonitruantes, entre le chant d’opérette, les narrations lascives et un high scream qui demeure trop peu présent tant il est bon. J’apprécie néanmoins les choix de placements et les techniques employées dans les instants précis, parce que tout est raccord. Le chant intervient comme un point central dans chaque piste, puisqu’il amène une sorte d’aspect concret à cette fanfare burlesque, en apportant des mots sur les maux qui sont traduits en musique. Pensées Nocturnes nous livrent des pensées à voix haute qui sont par moment tournées en dérision, et par moment dans une authenticité forte, comme des coups de poings sur les tables de l’Histoire. Gros boulot, et je rajoute une nouvelle couleur à la palette déjà ubuesque de l’artiste derrière ce projet énorme.
Pour conclure, Pensées Nocturnes nous livre sur le palier de 2022 un nouvel album, le septième de sa belle discographie, qui se nomme « Douce Fange » et qui ressemble à travers ce nom oxymorique à un véritable clivage total. Proposant un black metal avant-gardiste, vous êtes libres de ne pas le penser d’ailleurs, teinté d’éléments burlesque et néoclassiques, c’est surtout une formidable refonte du black metal qui est amené sur cet album. L’univers artistique tourne autour de l’Histoire de France et de ses sombres heures en apportant ce que tout le monde tend à taire débilement : les moments festifs en décalage avec ce qui se passe dehors. Moi, je considère qu’au travers de cette audace incroyable qui relève du génie artistique, et sous le sceptre du talent incommensurable, Pensées Nocturnes est surtout un projet musical d’une incroyable richesse et d’une intelligence de création incroyable. Pourtant, je m’évertue au travers de quelques menus défauts à ne pas considérer (encore) cet album comme un incontournable de l’année 2022. Mais la note finale est d’une objectivité absolue, et c’est pour cela que je m’auto-cite comme cela m’arrive de faire quand j’écris une phrase qui me semble résumer le tout pendant la rédaction de ma chronique, et ce sera le point final : « Honnêtement, je ne considère pas « Douce Fange » comme l’un de mes albums de l’année, j’ai aimé l’écouter et la forme est excellente mais pas au point de considérer ce dernier comme un incontournable de 2022. Mais sur le fond c’est indéniablement le meilleur pour le moment. Et rien que pour cela, ça en fait un album extraordinaire. ». La messe est dite!
Tracklist :
1. Viens tâter d’mon Carrousel 03:56
2. Quel sale Bourreau 07:25
3. PN mais Costaud ! 06:38
4. Saignant et à Poing 06:12
5. Charmant Charnier 01:45
6. Le Tango du Vieuloniste 04:56
7. Fin Défunt 05:59
8. La Semaine Sanglante 07:33
9. Gnole, Torgnoles et Roubignoles 05:25
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